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WILLO (WILLON)

Abbé d’Ebersmunster (vers 1039-1051). Moine de Murbach, Willo vivait à la cour d’Henri III (1039, empereur 1046, † 1056). Il était habile orfèvre. Les vases de cuivre et les coupes d’étain qu’il plaquait d’une mince feuille d’or paraissaient plus dorés que s’ils avaient été en or massif. Le souverain en fit don à ses vassaux pour les honorer et les récompenser de leurs services. Lorsque les chevaliers découvrirent la supercherie du faussaire, qui, lui, était innocent, ils attentèrent à sa vie. Pour l’éloigner de la cour et le protéger, le souverain, s’arrogeant le droit de nommer abbés et évêques, l’intronisa comme supérieur à Ebersmunster. L’abbatiat avait été vacant et les frères venaient tout juste d’élire un nouveau chef spirituel. Rien n’y fit. Les frères d’Ebersmunster durent accepter contre leur gré le candidat imposé par l’empereur. Intronisé, le nouvel abbé chassa aussitôt tous les moines nobles ou lettrés qui eussent pu lui tenir tête. Il les remplaça par des fils de boulangers, de cuisiniers et de pêcheurs. Un jour, pendant que les frères chantaient la messe, l’intrus descendit dans la cave, découvrit la jauge étalon qui servait à mesurer le vin et en faussa le contenu pour nuire aux frères. Mal lui en prit, car le cellérier avait gardé précieusement chez lui les mesures exactes. Convaincu de fraude et de malveillance, le faussaire ordonna d’un ton rauque aux moines de s’en aller. Ceux-ci ne se laissèrent point faire. Ils prirent le faux abbé par les cheveux, le rouèrent de coups, le traînèrent hors du monastère, l’embarquèrent sur une péniche et le livrèrent aux flots. Échappant à ces périls, le malheureux s’en vint trouver l’empereur, lui raconta ses misères et se plaignit de ses déboires. Fort de ses droits, l’empereur écrivit une lettre à l’évêque Hetzel ou Hermann de Strasbourg (1029-1047). Il lui enjoignit de rétablir le fugitif dans ses droits abbatiaux et de chasser du monastère tous les responsables de sa mésaventure. Créature de l’empereur, l’évêque dut s’exécuter. Il ramena l’indigne abbé au monastère, l’imposa à la communauté, admonesta le chapitre : « Il n’y a point d’autorité qui ne vienne de Dieu et de l’empereur! Dieu peut même employer des méchants pour gouverner les bons, comme il se sert des pécheurs pour éprouver les justes » ! Pour sauver la paix dans la communauté, les moines se soumirent à ces injonctions avec une patience plus grande qu’il n’eût été de mise! Usurpateur pour la seconde fois, Willo simula la régularité durant un certain temps. Une nuit, il entra dans la sacristie, s’empara des ornements précieux, détacha les parchemins de leur ambon et – orfèvre en la matière – s’appropria des pièces les plus précieuses du trésor. Il chargea le tout sur un bateau, descendit l’III et le Rhin jusqu’à la ville de Worms, y dissipa le fruit de ses rapines et n’en revint plus. Mauvais moine, abbé indigne, Willo reste excellent orfèvre. Il est le pionnier de l’orfèvrerie en Alsace. Il enseignait son art à l’un ou l’autre disciple de Murbach ou d’Ebersmunster. Vers 1069, un autre moine de Murbach, Adelgaud, devint à son tour abbé d’Ebersmunster. En 1077, il y fit forger la couronne de l’anti-roi, Rodolphe de Rheinfelden. Cette fois-ci l’empereur Henri IV se chargea en personne d’expulser l’indésirable.

Chronicon Ebersheimense, éd. L. Weiland, dans Monumenta Germaniae Historica,
Scriptores,
t. 23, Hannovre 1874, chap. 24, p. 443; Ph. A. Grandidier, Œuvres historiques inédites, éd. J. Liblin, t. 1, Colmar 1865, p. 133-134 ; C. Gérard, Les artistes de l’Alsace pendant le Moyen Âge, t. 1, Colmar 1872, p. 23-25 ; Sitzmann, Dictionnaire de biographie des hommes célèbres de l’Alsace, Rixheim, t. 2, 1910, p. 998-999; R. Will, « L’orfèvrerie », Alsace romane (Zodiaque. La nuit des temps, t. 22), 1970, p. 315-316.

† René Bornert (2002)