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WEISS Jules Adolphe Georges

Professeur de physique médicale à la faculté de Médecine de Paris, chercheur de renom, puis refondateur et doyen de la faculté de Médecine de Strasbourg après le retour de l’Alsace à la France, est né le 26 avril 1859 à Bischwiller (Bas-Rhin). Son père Auguste Weiss né en 1831 à la Petite-Pierre, dans les Vosges du Nord, était notaire comme un de ses frères Émile Weiss à Phalsbourg qui devait être le grand-père de Madame Louise Weiss. La mère de Georges Weiss, Sophie Bossert née en 1837 était originaire de Barr et issue d’une famille de vignerons aisés. En 1867, la famille Auguste Weiss s’installe à Strasbourg, le père de Georges Weiss ayant acheté une étude notariale rue de la Haute-Montée. Le jeune Georges Weiss fut inscrit dans les classes primaires du lycée impérial (actuellement Fustel de Coulanges) mais il se montra immédiatement hostile à la discipline et aux formes d’enseignement qu’il subissait : ses résultats ne s’améliorèrent pas lorsqu’on le plaça comme demi-pensionnaire. En 1870, il fut très impressionné par le spectacle pénible de l’arrivée dans Strasbourg des restes des régiments décimés dans les batailles de Wissembourg et de Froeschwiller alors que les troupes allemandes venant du nord et celles traversant le Rhin commençaient le siège de Strasbourg et ses terribles bombardements. À l’occasion d’une trêve organisée pour permettre l’évacuation des civils, Mme Weiss partit avec son fils dans sa famille de Barr. Après la signature du traité de Francfort en 1871, Auguste Weiss ayant opté pour la France fut démis de ses fonctions notariales et partit à Nancy avec sa famille où il reprit une nouvelle étude. Le jeune Georges Weiss supporta très mal cet exil forcé et fit à l’âge de 12 ans avec un camarade une fugue pour retourner à pied sur Strasbourg. Les deux fugitifs furent retrouvés au bout de quelques jours à Mutzig. Ses études secondaires au lycée de Nancy furent aussi difficiles que ses débuts à Strasbourg. À cause de son désir d’indépendance et de critique, il ne put s’adapter à l’étude scholastique du français et des langues mortes : seules les mathématiques et les sciences exactes suscitaient son intérêt : placé en internat par mesure disciplinaire sous menaces de renvoi, il réussit pourtant à obtenir son baccalauréat en 1878. Après une année de préparation au lycée Condorcet à Paris, il entra à l’âge de 20 ans en 1879 dans les premiers à l’École Polytechnique : il en sortit 2 ans après parmi les premiers. Il s’inscrivit à l’École nationale des Ponts et Chaussées en 1884, il en sortit ingénieur des Ponts et fut affecté à la construction du chemin de fer de Montauban à Brive mais cette carrière fut très brève : il avait rencontré Charles Gariel (1841-1924), comme lui polytechnicien et ingénieur des Ponts, chargé de cours de physique à l’École des Ponts et professeur agrégé puis titulaire de physique médicale à la faculté de Médecine de Paris. Georges Weiss s’y inscrivit et dès 1888 fut nommé chef de travaux pratiques de physique. Il soutint en 1889 sa thèse de médecine « Contributions à l’étude de l’électrophysiologie » : il est lauréat de la faculté de Médecine avec médaille de bronze, il est reçu un an après agrégé de physique médicale à Paris.

À cette époque en 1890 Georges Weiss épousa la fille d’un banquier protestant de Toulouse Louise Courtois de Vicoze (1868-1954). De cette union naquirent trois fils : Édouard (1891-1914) qui se destinait à la médecine, Henri (1893-1978) professeur à la faculté des Sciences de Strasbourg et créateur de l’École nationale Supérieure des Pétroles, et Alfred Gustave (1898-1979) professeur de clinique
chirurgicale à la faculté de Médecine de Strasbourg.

À partir de 1890 jusqu’au début de la guerre de1914-1918, Georges Weiss développa ses qualités de chercheur à la fois au laboratoire de physique médicale de la faculté de Médecine et à l’Institut fondé par E. Marey (1830-1904) l’inventeur des méthodes graphiques (le tambour de Marey) et de la chronophotographie permettant la décomposition des mouvements. Georges Weiss développa tout d’abord les recherches correspondant à sa thèse de doctorat sur l’électrophysiologie, en particulier sur les propriétés d’excitabilité du nerf et du muscle. Il établit en 1901 une relation quantitative entre le temps de passage du courant et la quantité d’électricité nécessaire pour amener le nerf ou le muscle au seuil d’excitation : cette relation est connue sous le nom de « loi de Weiss ». Pour arriver à cet énoncé, il avait dû mettre au point un dispositif très ingénieux pour obtenir des temps de passage de courant très brefs ; c’est le rhéotome balistique de Weiss ; une balle tirée par une carabine à air comprimé coupe successivement deux fils métalliques, la section du premier établissant le courant, celle du second l’interrompant. Weiss pouvait ainsi obtenir des courants très brefs inférieurs à la milliseconde : plus le temps de passage du courant est court, plus il faut augmenter la quantité d’électricité nécessaire pour obtenir une réponse. Ces travaux ont été à l’origine de la définition de la chronaxie par Lapicque (1909) qui obtenant des courants brefs par décharges de condensateurs put définir une technique utilisable en clinique pour apprécier le caractère normal ou pathologique de l’excitabilité du nerf et du muscle.

Georges Weiss a également réalisé des travaux novateurs dans le domaine de l’ophtalmométrie, il a donné le premier une interprétation claire du phénomène de l’ombre pupillaire permettant de déterminer le degré de réfraction (phénomène de skiascopie). Une définition nouvelle des puissances en dioptries lui permit d’établir une classification de la valeur des amétropies de l’œil et de l’amplitude d’accommodation.

Dans le domaine de l’énergétique biologique ses travaux ont porté sur l’énergie musculaire et les différents facteurs faisant varier le rendement.

Enfin à l’Institut Marey, il réalisa en 1910 un dispositif ingénieux qui permet d’obtenir simultanément l’enregistrement de l’électrocardiogramme et des bruits du cœur, documents d’un intérêt clinique évident.

L’importance de ces travaux se doubla d’une intensive activité de publication: Techniques d’électrophysiologie chez Masson en 1892 ; secrétariat de la rédaction d’un Traité de physique biologique où participent tous les grands noms de l’époque ; Précis de physique biologique, 2 éditions chez Masson 1905 et 1910 ; Leçons d’ophtalmométrie, Masson 1906 ; enfin un livre intitulé Physiologie générale du travail musculaire et de la chaleur animale. Masson 1909.

Devenu membre de l’Académie de Médecine en 1907, il participa à de nombreuses commissions, il est le secrétaire annuel de l’Académie en 1909-1910. C’est à cette date qu’il accèda à la chaire de physique biologique de la faculté de Médecine de Paris et donna sa leçon inaugurale le 27 novembre 1911.

Mais la guerre de 1914 où Georges Weiss vit la possibilité de reconquérir l’Alsace, interrompit cette magnifique période d’intense activité scientifique. Dès le début de la guerre, il prit un engagement volontaire à la Manufacture d’Armes de Puteaux et pendant toute la guerre dirigea à l’arsenal la fabrication de matériel d’artillerie : canons de 75 et canons de 135 long. Son fils aîné Édouard, étudiant en médecine au seuil de l’internat s’engagea dans les chasseurs à pied avec le grade de sous-lieutenant et fut tué devant Arras le 23 octobre 1914. La nouvelle de sa mort fut naturellement un coup terrible pour Georges Weiss, sa femme et ses deux fils, mais ils trouvèrent l’énergie nécessaire pour assumer leurs responsabilités respectives.

Après de lourdes années, l’Armistice de novembre 1918 et la victoire de la France et
de ses alliés allait relancer dans une toute autre direction l’activité et les talents de Georges Weiss. Après l’Armistice du 11 novembre, le président de la République Raymond Poincaré, proposa à son chirurgien personnel, le professeur Édouard Quénu (1852-1933) d’étudier les modalités de résurrection de la faculté de Médecine de Strasbourg ; après un voyage exploratoire sur place il se récusa proposant le nom d’un de ses collègues de la faculté de Paris, le professeur Georges Weiss qui avait à ses yeux l’avantage d’être un bon organisateur et l’atout d’être Alsacien. Le 11 décembre 1918, le ministre de l’Instruction publique Léon Bérard envoya Georges Weiss à Strasbourg pour examiner l’état dans lequel se trouvait la faculté de Médecine et le 9 janvier 1919, il le nomma « administrateur provisoire de la Faculté ». Les tâches qui lui incombaient étaient considérables : constituer un corps professoral  ; assurer la transition de l’enseignement médical pour les Alsaciens ayant déjà commencé leurs études du temps allemand, organiser un curriculum adapté au règlement français pour les jeunes qui allaient s’inscrire. À l’époque les facultés de Médecine accueillaient les étudiants ayant réussi le P. C. N. (enseignement d’une année de Physique-Chimie-Sciences naturelles délivré par les facultés de Sciences), modalité que n’approuvait pas Georges Weiss qui aurait souhaité recevoir les futurs médecins dès leur première année d’études, ce qui ne se réalisa pas avant 1968.

Pour le recrutement des enseignants, Georges Weiss eut les pleins pouvoirs. En 1919, vingt chaires furent créées: 5 attribuées à des Alsaciens, 3 à des Nancéens, 10 à des Parisiens, l’ophtalmologiste venait de Limoges. La 20e chaire, celle de Clinique infantile fut finalement attribuée seulement en 1924 à Paul Rohmer auquel le doyen Weiss reprochait d’avoir accepté un poste de professeur en Allemagne en 1913. À côté des titulaires furent nommés des chargés de cours dont les postes furent progressivement pourvus d’agrégés nommés au concours selon la réglementation universitaire française. Une 2e chaire de Clinique médicale fut créée en 1921 et attribuée à un Genevois J. M. Bard, qui céda rapidement la place à P. Merklen. Dès la nomination de ces professeurs titulaires, Georges Weiss fut élu doyen de la faculté de Médecine le 15 octobre 1919.

Du point de vue pédagogique le doyen Weiss insista sur l’importance de la formation clinique théorique et pratique. Il ne négligeait pas pour autant la nécessité d’une formation de base dans les disciplines fondamentales: anatomie, histologie, embryologie, chimie et physique biologiques, physiologie. Il s’attacha aussi à l’organisation de stages hospitaliers assez précoces pour tous les étudiants. Dans cet état d’esprit, il tint à rétablir l’internat des hôpitaux créé en France au début du XlXe siècle ouvrant par un concours des postes d’assistants auprès des médecins des hôpitaux.

Mais des directeurs de clinique d’origine alsacienne auraient préféré garder le système allemand où le « patron » choisissait ses assistants. Pour tourner ces difficultés, le doyen Weiss fit voter par le conseil de faculté la création d’un externat et d’un internat de faculté: les concours débutèrent en 1921 mais à ce moment-là la situation de ces internes était précaire car ils étaient « payés » sur des fonds de faculté. C’est seulement au cours des années, qu’ils furent pris en charge par les instances hospitalières. Un autre point très délicat nécessita toute la diplomatie et l’énergie du doyen Weiss: celui des rapports de la faculté et des cliniques universitaires avec l’administration hospitalière coiffée par une commission administrative sous la présidence du maire ou d’un adjoint par lui délégué.

Du temps allemand, les cliniques universitaires avaient leur gestion propre et l’hôpital avait uniquement la charge des services municipaux non universitaires. Il fallait donc obtenir des hôpitaux la gestion administrative de tous les services hospitaliers. Les traitements universitaires des professeurs, des agrégés, des chefs de clinique ne tenaient pas compte du plein temps hospitalier de fait lié à la présence toute la journée des professeurs titulaires qui s’ils étaient cliniciens avaient droit à une activité privée: consultations et hospitalisation qui leur fournissaient des ressources non négligeables. Cette situation ne devait être rationalisée qu’après 1945 avec la réforme hospitalo-universitaire de 1958 inspirée par le professeur Robert Debré, d’origine alsacienne qui fut courtement après 1918 chargé de cours de bactériologie à Strasbourg. Mais il faut reconnaître que le maintien de la présence permanente des professeurs titulaires à la fois dans les services cliniques et dans les instituts de sciences fondamentales héritée du système allemand défendu par Georges Weiss a été une source de développement de la qualité des soins et des activités de recherche. Du point de vue hospitalier, elle a permis de pallier à une baisse du nombre des hospitalisés dans les années qui suivirent immédiatement la guerre.

Pour le développement des activités hospitalières et de recherche, il fallait rénover des bâtiments existants, terminer des travaux arrêtés par la guerre et doter des laboratoires des services hospitaliers et des instituts de moyens performants: ce fut le dernier et non des moindres des problèmes à résoudre pour le Doyen Weiss. Il prit son bâton de pèlerin pour aller prendre contact à New York avec la Fondation Rockefeller. La renommée qu’il avait acquise par ses recherches personnelles et la qualité reconnue des médecins et chercheurs qu’il avait recrutés à la faculté de Médecine de Strasbourg lui permirent d’obtenir des crédits importants (3 millions de francs) à la condition toujours exigée de la Fondation d’une action vigoureuse du quémandeur pour obtenir des sommes équivalentes. En 1925, il créa la Société d’Encouragement à la Recherche Scientifique de la Faculté de Médecine de Strasbourg pour gérer les fonds Rockefeller et les sommes importantes qui furent obtenues par son intervention auprès des industriels et financiers locaux. Il fut ainsi possible de participer à la terminaison des travaux de la clinique oto-rhino-laryngologique (1927) dans une aile de laquelle s’installèrent le secrétariat de la faculté, le bureau du doyen et une salle pour les conseils et les soutenances de thèse, de construire un institut d’histologie pour l’équipe animée par le professeur Bouin qui dut se contenter à son arrivée des locaux partagés
entre l’anatomie, l’anatomie pathologique et l’histologie dont le départ donna de l’espace aux deux autres occupants. On put aussi adjoindre à la Clinique médicale B un amphithéâtre et un laboratoire pour les examens biochimiques des malades mais surtout pour des recherches avec une petite animalerie. Ce laboratoire prendra le nom de Léon Blum (1878-1930) qui y fit ses travaux permettant de traiter avec de l’insuline extraite de pancréas de bœufs, des malades diabétiques sur les traces de Banting et Best.

Une animalerie fut aussi adjointe à l’Institut de physiologie. Enfin une nouvelle salle d’opération fut construite à la clinique chirurgicale A avec un laboratoire de recherches. Ces quelques exemples illustrent bien tous les progrès réalisés de 1919 à 1930 sous le décanat de Georges Weiss.

S’intéressant aux problèmes sociaux, Georges Weiss put informer le gouvernement des aspects positifs et des reproches que l’on pouvait faire aux régimes d’assurance maladie introduits en Alsace au moment de leur création en Allemagne par Bismarck en 1883.

Il ne put rester insensible aux problèmes posés par le développement de l’autonomisme alsacien; il essaya d’en comprendre la genèse pour l’expliquer à ses collègues de l’intérieur mais il ne transigea pas avec la notion d’une Alsace française qui l’avait guidée au fil des années. Mais Georges Weiss fut rejoint par le cours des années et arriva l’heure de la retraite le 1er octobre 1929; pour un homme dont la vie avait toujours été trépidante, la retraite est toujours une dure épreuve mais il la surmonta, reprenant chez son collègue le professeur Nicloux des travaux abandonnés en 1914 sur les échanges respiratoires des petits homéothermes. Il put aussi mieux profiter de sa propriété campagnarde achetée en 1914 à Mittelbergheim, pittoresque village viticole proche de Barr, ville natale de sa mère, constituée par une belle maison à colombages en bordure sud du village dominant le vignoble, d’où son nom de « Schloessel », « le petit château » où sa femme se retirera. Cette retraite fut brutalement interrompue par la maladie en septembre 1930. Atteint d’un mal inexorable qu’on réussit à lui cacher, Georges Weiss devait s’éteindre en son domicile strasbourgeois le 23 janvier 1931. Selon ses dernières volontés, il fut enterré au cimetière protestant de Barr dans la plus stricte intimité de la famille et de ses amis.

Parmi les distinctions qui l’ont honoré citons seulement la cravate de commandeur de la Légion d’honneur qu’il porte sur le portrait que peint Nils Forsberg fils, exposé dans la Salle des Actes de la Faculté pour perpétuer le souvenir d’un homme « modèle de probité intellectuelle et de conscience professionnelle » (Martin Schaller).

Martin Schaller, Georges Weiss (1859-1931) doyen de la faculté de Médecine. Sa vie et son œuvre (thèse de doctorat en médecine, 1978, n° 205) ; Histoire de la médecine à Strasbourg. Ouvrage collectif publié par la faculté de Médecine de Strasbourg sous la présidence du doyen honoraire J. M. Mantz, mise en œuvre et coordination Jacques Heran, éditions de la Nuée Bleue, Strasbourg, 1997, 2e édition révisée en 1998 ; Strasbourg entre les 2 guerres mondiales (1918-1939), p. 470-569, « G. Weiss le créateur de la nouvelle faculté française », p. 487.

François Isch (2002)