Professeur de clinique chirurgicale à la faculté de Médecine de Strasbourg (★ Paris 16.5.1898), fils de Georges Adolphe Jules Weiss (1859-1931) © et de Louise Courtois de Vicoze (1863-1954), marié en 1930 à Nicole Muller-Fazende originaire d’une famille d’industriels de la vallée de la Bruche, 3 enfants : Édouard (1932) du nom de son oncle tué en 1914, Florence (1935), Élisabeth (1941). Alfred Weiss, cadet de ses deux frères eut une jeunesse et une adolescence heureuses dans un milieu parisien aisé et fut élevé dans l’ardent patriotisme de son père qui au milieu de son intense activité scientifique n’oubliait pas sa terre natale d’Alsace. Alfred fut élève au lycée Janson de Sailly et passa en juin 1914 la première partie « latin-sciences » de son baccalauréat. Il avait seize ans à la déclaration de guerre et se destinait à la médecine comme son frère aîné qui interrompit ses études dès la
déclaration de la guerre et s’engagea comme sous-lieutenant dans les chasseurs à pied ; il fut tué devant Arras le 23 octobre 1914. Lorsque Alfred eut terminé en juin 1915 son baccalauréat (section mathématiques) il était encore trop jeune pour s’engager et fit une année de rhétorique supérieure. En juin 1916, il put enfin être enrôlé, exécuta trois mois de stage à l’École de Fontainebleau et jeune aspirant fut affecté dans un régiment d’artillerie à cheval qu’il rejoignit au Chemin des Dames, puis ce sera Verdun, l’Étang de Vaux avec des bombardements incessants. Le souvenir de ces heures terribles restera gravé dans sa mémoire. Au printemps 1917, Alfred Weiss fut nommé lieutenant et décoré de la Croix de guerre. Il participa aux combats de Lorraine au ßois le Prêtre. En mai 1918, il fut obligé de faire un séjour en hôpital à la suite d’une intoxication à l’ypérite. Il avait repris son service quant survint l’Armistice du 11 novembre 1918. Le 22 novembre 1918 il entra avec son régiment dans Dambach tout près de Barr, le berceau de sa famille. En 1937, il sera promu chevalier de la Légion d’honneur à titre militaire. Convaincu par son père, dans le souvenir de son frère aîné, il s’inscrivit à la faculté de Médecine et passa en 1921 le premier concours de l’internat que son père avait créé malgré quelques résistances des chefs de service alsaciens. C’est d’ailleurs l’un d’eux qu’il choisit : le professeur Albert Stolz nommé dans la 2e chaire de chirurgie implantée dans un service hospitalier de la ville non universitaire du temps allemand. Alfred Weiss passa sa thèse de doctorat en 1924 : La dérivation de la bile dans les ictères non néoplasiques des voies biliaires. Contribution à l’étude des indications et des techniques opératoires. Il fit ses quatre années d’internat à Strasbourg puis il compléta sa formation chirurgicale par un assistanat chez les professeurs Antonin Gossset et Pierre Duval à Paris.
Il bénéficia ensuite d’une bourse de la Fondation Rockefeller auprès de laquelle son père le doyen avait suscité un vif intérêt pour la faculté de Strasbourg et obtenu des crédits très importants. Au cours de son année de fellowship, il fréquenta plusieurs grands services et surtout à Saint-Louis celui du professeur Graham le premier chirurgien à avoir pratiqué une pneumonectomie et auprès duquel Weiss va acquérir son enthousiasme pour la chirurgie thoracique. Il ira aussi à Bruges chez le professeur Seebrechts s’initier à l’anesthésie rachidienne.
A compter du 1er décembre 1926, ayant réussi le concours, il fut nommé professeur agrégé de chirurgie générale. (ll avait à peine 30 ans). Pendant 10 ans, il consacra l’expérience qu’il avait acquise à la formation théorique et surtout pratique des internes, des chefs de clinique et des attachés qui fréquentaient le service de son maître Stolz. Celui-ci prit sa retraite en 1938 et le 1er avril 1939, Alfred Weiss lui succéda officiellement comme professeur de clinique chirurgicale et directeur de la clinique chirurgicale B.
Mais la guerre survint et les 1 et 2 septembre 1939, la ville de Strasbourg fut évacuée en 48 heures. Les malades de la clinique chirurgicale B furent répartis dans un premier temps dans quelques hôtels réquisitionnés au Hohwald, une villégiature vosgienne des Strasbourgeois, avant de rejoindre vers les 10-12 septembre par train l’hôpital de Clairvivre en Dordogne, lieu prévu pour le repli des Hospices civils de Strasbourg. Alfred Weiss fut appelé à rejoindre sa formation comme médecin capitaine chef de l’ambulance chirurgicale lourde 426 initialement stationnée à Épinal. Après huit mois de « drôle de guerre », l’offensive allemande se déclencha et l’armée française débordée fut incapable d’arrêter l’avancée des troupes allemandes. À l’Armistice, la moitié de la France fut occupée mais Alfred Weiss avait réussi à rejoindre Albi où il fut démobilisé après avoir sauvé son ambulance du désastre. Il rejoignit alors Clermont-Ferrand où était repliée l’Université de Strasbourg. Dans le vieil Hôtel-Dieu, il fut chargé des salles militaires et put opérer ses malades privés à la policlinique, un bâtiment tout neuf qui contrastait avec la vétusté de l’hôpital public. Fidèle au patriotisme familial, Alfred Weiss participa aux mouvements de Résistance qui s’organisèrent. Dès 1943, il opéra clandestinement des blessés du maquis. Début 1944, en raison de la multiplication des arrestations, il jugea prudent de se réfugier dans le Béarn. Son attitude pendant la guerre 1939-1945 lui valut une 2e Croix de guerre et la rosette d’officier de la Légion d’honneur à titre militaire en 1949.
En mars 1945, ce fut le retour à Strasbourg. Weiss entreprit la restructuration de la clinique chirurgicale B entouré d’un agrégé, de quatre chefs de clinique, sept internes, d’une quinzaine d’externes, tous nommés aux concours qui seront rétablis dès fin 1945. Dans un curriculum vitae rédigé par lui et conservé dans les dossiers de la faculté de Médecine, il définit les secteurs où son activité a du se déployer 1) Réintégration et renaissance de la faculté de Médecine : réorganisation de la clinique chirurgicale B. 2) création et animation du laboratoire Pautrier, centre de recherches chirurgicales 3) Présidence de la Société des Amis de l’Université. Cet énoncé évoque les qualités d’organisateur héritées de son père le doyen Georges Weiss mais sa sécheresse ne rend pas compte des qualités humaines d’Alfred Weiss, de son élégance et de sa distinction innées aussi frappantes en salle d’opération par sa manière d’opérer que dans ses rapports humains. Il alliait une prestance distinguée à un regard vif et pétillant d’intelligence d’où se dégageait un charme sympathique auquel n’étaient pas insensibles ses élèves, « mes jeunes » avant qu’ils ne deviennent les « anciens ».
Le premier secteur était évidemment le plus lourd. Alfred Weiss se retrouvait à la tête d’un service de 300 lits avec en plus en sous-sol un service de détenus de 35 lits. Pour adapter et rénover des structures qui avaient vieilli, il profita de l’expérience acquise lors de son voyage aux États- Unis et des contacts qu’il avait gardés avec les services « visités »: c’est ainsi qu’il créa la première unité en France de soins intensifs.
S’il a toujours souligné l’importance de la chirurgie générale à la base de toute formation, il a su diriger ses élèves vers des spécialisations indispensables: en les passant en revue, nous citerons seulement le nom de ses élèves qui dans ces spécialités ont atteint le rang professoral, sans oublier pour autant ceux nombreux qui ont fait des carrières réussies dans des services hospitaliers ou des cliniques privées. Dans le domaine de la chirurgie viscérale, pour lequel il avait gardé un intérêt majeur, citons les professeurs L. F. Hollender, J. Grenier, M. Adloff, D. Jaeck à Strasbourg. M. Gillet à Besançon puis Lausanne. Au cours de son voyage aux États-Unis, Weiss avait assisté à la naissance de la chirurgie thoracique. Il s’y intéressa personnellement en particulier dans le cadre de la chirurgie de la tuberculose pulmonaire et le relais fut pris par le professeur J.-P. Witz et par le professeur Ph. Reys qui dirigea un service conventionné à l’hôpital de Colmar après 4 années de coopération à Kaboul. La chirurgie orthopédique a été représentée par le professeur E. Schvingt. En ce qui concerne la neuro-chirurgie Weiss avait trouvé à son retour en 1945 un médecin grec D. Philippidès qui avait fait ses études médicales en Allemagne, était devenu Privat Docent de neuro-chirurgie et avait été affecté à Strasbourg en 1943. Ses qualités humaines et sa compétence en neuro-chirurgie incitèrent Alfred Weiss à lui confier un secteur de neuro-chirurgie où se forma le professeur B. Montrieul qui devint professeur de neuro-chirurgie à Clermont-Ferrand. À Strasbourg, la neuro-chirurgie fut individualisée au pavillon Clovis Vincent attenant à la clinique neurologique. Le professeur F. Buchheit y succède à D. Philippidès devenu entre-temps professeur associé.
En 1953, la clinique chirurgicale B fut dotée d’un laboratoire de recherches dans une construction neuve et proche d’elle. En effet le professeur L. Pautrier, président de la Société des Amis de l’Université avait pu récolter des fonds pour construire un centre de recherches chirurgicales baptisé Raymond Poincaré et divisé en 2 étages, l’un pour la clinique chirurgicale B qui lui donna le nom de laboratoire Pautrier, l’autre pour la clinique chirurgicale A, le laboratoire Leriche. Alfred Weiss l’équipa progressivement dans un sens adapté aux recherches poursuivies. Le laboratoire comprend 3 sections: une section de chimie biologique pour les examens de routine, un centre d’investigations fonctionnelles cardio-respiratoires, un centre d’investigations fonctionnelles digestives par les isotopes radioactifs. Ces deux derniers ont permis à des médecins de la clinique de poursuivre des recherches. Leur importance attira des aides des institutions nationales pour la recherche, de la Sécurité Sociale et même du Public Health Service Américain qui a largement subventionné et partiellement équipé le centre d’investigation pour les phénomènes d’absorption digestive. De tels centres purent également fonctionner en raison de la gestion par les directeurs de cliniques des fonds correspondant par exemple aux examens de biologie pratiqués pour les patients hospitalisés. Le laboratoire Pautrier groupera 14 médecins, une pharmacienne, 13 laborantines et 3 secrétaires ainsi que des travailleurs bénévoles français et étrangers désireux de participer aux recherches.
Enfin à la mort du professeur Pautrier, le comité de la Société des Amis de l’Université se tourna vers le professeur Alfred Weiss et lui demanda de le remplacer. Il se laissa convaincre par les nombreuses personnalités appartenant au monde universitaire, économique et à la municipalité dans le souvenir de son père qui avait tant œuvré pour l’université.
Alfred Weiss eut aussi le souci de répondre aux besoins d’une jeunesse estudiantine toujours croissante, en prise avec des difficultés. Il subordonna son acceptation définitive à la promesse de lui fournir les aides nécessaires pour construire une grande cité universitaire dont la création répondait à une urgente nécessité. La première pierre fut posée en mai 1963 et la cité ouverte aux étudiants à la rentrée d’octobre 1964.
Mais les taches de la Société nécessitaient une quête incessante de fonds pour aider les laboratoires de recherches, donner un appui aux manifestations de l’université, aider les étudiants soit par des secours pour les plus démunis, soit par des bourses d’échange annuelles avec certaines universités américaines. Toutes les qualités humaines d’Alfred Weiss lui permirent de prendre une part active à la recherche de ses fonds pendant toute la durée de sa présidence jusqu’en 1972.
Au cours de cette brillante carrière, Alfred Weiss fut l’objet de nombreuses distinctions: il fut par exemple commandeur des Palmes académiques en 1969. Il fut appelé à participer à de nombreuses sociétés françaises et étran-gères. Membre de l’Académie de Chirurgie il présidera en 1965 le congrès français de chirurgie. Membre de l’Académie de Médecine il est également fellow de l’American College of Surgery. Membre de l’Académie Mexicaine de Chirurgie, de la Société de Chirurgie de Montréal pour ne citer que les sociétés les plus importantes. Mais sa plus grande joie il la vécut le 19 février 1968 quand le président de l’Ordre national des médecins, son ami de longue date le professeur de Vernejoul. lui remit la cravate de commandeur de la Légion d’honneur. Malheureusement les derniers mois de son activité furent ternis par les évènements de mai 1968 : s’ils affectèrent moins la faculté de Médecine que le Palais universitaire, l’atmosphère de cette période désordonnée choquera profondément son sens de l’autorité et de la bienséance. Par ailleurs son départ en retraite le 30 septembre 1969 correspondit également avec l’application intégrale à Strasbourg des dispositions réglementaires sur les services hospitalo-universitaires. Les grands ensembles strasbourgeois furent fragmentés en services spécialisés et indépendants. Dès sa retraite acquise, Alfred Weiss admis à l’honorariat se retira à Paris, la ville de ses jeunes années. Il
partagera son temps libre entre Paris et Biarritz donnant libre cours à sa passion du golf. Plus tard, il fut attiré par le soleil d’Alicante. En 1978, il dut se soumettre en catastrophe à une intervention dont il se remit mal malgré les soins attentifs de son ami le professeur Kuss. En mars 1979, la vérité lui fut dévoilée, il l’accepta stoïquement et après un dernier séjour à Biarritz où de très violentes crises douloureuses l’obligèrent à rentrer à Paris ; il décéda le 14 septembre à l’âge de 81 ans. Selon ses dernières volontés, il fut enterré comme son père dans la plus stricte intimité au petit cimetière protestant de Barr.
Digne fils de son père, Alfred Weiss fut un « grand patron » dans toute l’acceptation du terme. Son souvenir restera gravé dans le cœur de ses élèves et il a laissé à Strasbourg avec le laboratoire de recherches Pautrier et la cité universitaire des souvenirs tangibles de son esprit d’ouverture et d’initiative. Tous ceux qui l’ont connu, garderont le souvenir de cette élégante silhouette qui montrait un vif intérêt pour tout ce qui l’entourait.
Louis François Hollender et Emmanuelle During-Hollender, Chirurgiens et Chirurgie à Strasbourg. Édition Coprur, 2000, « La clinique chirurgicale B », p. 195-199 ; Histoire de la Médecine à Strasbourg. Ouvrage collectif publié par la faculté de Médecine de Strasbourg sous la présidence du doyen honoraire J.-M. Mantz, mise en œuvre et coordination Jacques Heran. Éditions de la Nuée Bleue, Strasbourg, 1997, 2e édition révisée en 1998, L. F. Hollender, « La Clinique Chirurgicale B d’Alfred Weiss », p. 690-691.
François Isch (2002)