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WEILL Joseph

Médecin, résistant, président du Consistoire israélite du Bas-Rhin, (I), (★ Bouxwiller 3.7.1902 d. Besançon 11.3.1988). Fils du grand rabbin Ernest Nathan Weill © et de Clémentine Weil, ∞ 1928 Irène Schwab (★ Gerstheim 6.2.1900 d. Montfaucon, Doubs, 11.2.1981), sœur de Fanny Schwab, collaboratrice de Laure Weil ©. Trois fils médecins : Jacques (★ 1929), professeur à la faculté de Médecine de Tours; Francis (★ 1933), professeur au CHU de Besançon ; Dan (★ 1938), chirurgien à Metz. Élève du collège de Bouxwiller, il passa en 1919 le baccalauréat « formule allemande » et fut reçu premier à l’externat de la Faculté de médecine de Strasbourg avec son frère Élie. Il étudia d’abord la psychiatrie avec le professeur Charles Pfersdorff ©, puis la diabétologie auprès du professeur Léon Blum © qui avait introduit l’insuline en France et défini le rôle du sel dans les maladies internes. Reçu à l’Internat en 1927 et nommé chef de clinique, il abandonna la carrière universitaire après le décès prématuré de son maître. En 1930, il obtint le poste de médecin à la clinique d’accouchement Sainte-Anne, à la Robertsau, et s’installa comme spécialiste des maladies internes et infantiles à Strasbourg, en particulier la diabétologie ; il enseigna également à l’École d’infirmières. Avec d’autres jeunes strasbourgeois, qu’il devait retrouver dans la Résistance, il participa aux activités sociales et éducatives de la communauté juive de Strasbourg, par exemple la création du Centre des jeunes (Merkaz haNoar) et à l’installation du nouveau Home de jeunes filles de la rue Sellénick dirigé par Laure Weil ©. Inquiet des liens entre le nazisme et certains milieux autonomistes alsaciens, il organisa en 1934 un réseau de surveillance en liaison avec les services de contre-espionnage français qui permit plusieurs arrestations, dont celle du Dr Karl Roos ©. Dès 1933, il avait acheté une propriété à Sainte-Radegonde (Chênehutte, Maine-et-Loire) pour accueillir une famille de réfugiés juifs allemands et créer une ferme-école préparant des jeunes gens volontaires pour aller travailler en Palestine.

En 1939, bien que 2e classe non mobilisable, il se porta volontaire pour le service sanitaire et fut affecté à l’hôpital d’étape pour maladies infectieuses de Wangenbourg (Bas-Rhin) qui n’était pas en état de fonctionner. Il rejoignit le sanatorium de Clairvivre, près d’Excideuil (Dordogne), où devait se replier une partie de la faculté de Médecine et des Hospices civils de Strasbourg. Déçu par les médiocres conditions de travail, il s’installa comme médecin à Terrasson (aujourd’hui Terrasson-la-Villedieu), près de Sarlat, où il affronta une épidémie de typhoïde provoquée par une pollution des puits. À Périgueux, il fonda, avec Lucien Cromback ©, le grand rabbin René Hirschler © et la Caisse de Bienfaisance israélite de Strasbourg, une Œuvre de Secours, devenue l’Œuvre d’aide sociale israélite auprès des populations repliées d’Alsace et de Lorraine, plus connue sous le nom d’Aide sociale israélite, dont la direction fut confiée à Laure Weil et à Fanny Schwab ; d’abord limitée au département de la Dordogne, elle s’étendit aux départements limitrophes, puis, après l’armistice, à l’ensemble de la zone sud. Elle fut dissoute en mars 1942 et rattachée à l’Union Générale des Juifs de France, créée par Vichy, sous le nom de Département des Œuvres d’Alsace et de Lorraine. En décembre 1939, J. Weill accepta, en tant que requis civil, les fonctions de chef du bureau d’hygiène à la préfecture d’Angoulême et de commissaire sanitaire des populations évacuées de la Moselle en Charente. Il fut surpris et indigné, comme le fut le jeune sous-préfet Charles Altorffer ©, par les conditions désastreuses de la vie dans les campagnes, l’absence d’hygiène élémentaire des populations rurales, les connaissances médicales totalement dépassées de la plupart de ses confrères et l’inertie de certains élus et fonctionnaires responsables des logements des réfugiés mosellans dont il avait la charge ; il intervint contre les taudis, les maladies infectieuses, en particulier la tuberculose, fléau de l’époque, et créa, avec l’Association des femmes anglo-américaines amies de la France un service d’ambulances mobiles. Mobilisé sur place le 17 avril 1940 comme soldat sanitaire, il fut promu le 15 mai sous-lieutenant au service de santé militaire de Dole (Jura). Libéré de ses fonctions après l’armistice, il regagna Terrasson, mais ne put continuer à pratiquer officiellement la médecine après les lois anti-juives de Vichy; il accepta néanmoins de donner des consultations gratuites, interdites peu après sur plaintes d’autres médecins. Son activité se déroula ensuite sous couvert de l’Œuvre de protection sanitaire des populations, une équipe d’aide médicale volante à domicile, animée par son frère Élie et une équipe de médecins alsaciens dont les docteurs Henri Nerson © et Gaston Revel ©, basée à Terrasson, elle essaima ensuite dans d’autres départements, en particulier à Limoges (Haute-Vienne) avec le Dr Gaston Lévy ©. Son financement était assuré par la Société de Bienfaisance israélite de Strasbourg et la Caisse centrale de l’Est, un organisme créé en 1937 à Strasbourg pour coordonner l’aide aux juifs étrangers réfugiés en France, repliée à Périgueux et dirigée par le rabbin Victor Marx. Toutes ces associations furent dissoutes en mars 1942 et intégrées dans l’UGIF jusqu’au 1er janvier 1944, puis remplacées par un Service Central d’Assistance basé à Lyon.

J. Weill se mit entièrement au service des œuvres juives d’assistance et devint l’une des personnalités les plus actives de la zone sud dans le domaine médico-social. Il accepta de devenir le conseiller médical de la branche française de l’Union-OSE (Œuvre de Secours aux Enfants) repliée à Montpellier, qui avait ouvert progressivement une quinzaine de maisons dans plusieurs départements pour accueillir les enfants juifs orphelins ou confiés par leurs parents ; il en devint en fait le directeur médical pour la zone sud. Il travailla en étroite liaison avec le secrétaire général de l’Union-OSE Lazare Gurvic et une équipe de médecins et d’assistantes sociales où se retrouvèrent un grand nombre d’Alsaciens et de Lorrains, parmi lesquels Andrée Salomon, Georges Loinger, le Dr Gaston Lévy, Julien Samuel, Jacques Cohn, Marguerite Kahn, Gaby Wolf, Ruth Lambert, Edmond Blum et de nombreux autres.

Il fut aussi l’un des principaux organisateurs de l’aide aux familles juives expulsées d’Allemagne et emprisonnées par Vichy, soit dans des camps d’internement, soit dans des camps de travail de la zone sud, en particulier Gurs, Rivesaltes, Agde et les Milles. Dès le 20 novembre 1940, il représenta l’OSE à la Commission d’hygiène, et d’aide à l’enfance et aux vieillards au sein du Comité de coordination pour l’assistance dans les camps, dit Comité de Nîmes, qui regroupait, sous la présidence de Donald Lowrie, représentant de l’ YMCA (Young Men’s Christian Association) une trentaine d’associations philanthropiques françaises, suisses et américaines. Ce comité devait permettre d’améliorer les conditions d’hygiène déplorables des baraquements et des sanitaires, lutter contre la sous-alimentation des internés et faire sortir les enfants et les malades ; certaines sources le désignent comme président de cette commission. Le 12 décembre 1940, il présenta, au nom de l’OSE, le programme de libération provisoire de certaines catégories de personnes, sous forme de congés non libérables grâce aux certificats d’hébergement ; ces documents, accordés avec parcimonie par les préfets, sauf celui de l’Hérault, Jean Benedetti, permettaient de libérer les enfants de moins de 15 ans, les malades et les personnes âgées afin de les héberger dans des homes, des colonies, des sanatoriums ou chez des particuliers ; lchoix était fait par l’intermédiaire des assistantes internées volontaires de l’OSE autorisées à résider dans les camps pour le service social. Constatant l’absence de coordination entre les œuvres juives et le manque d’efficacité de certaines d’entre elles, J. Weill participa, en mars 1941, avec le Comité d’assistance aux réfugiés dirigée par Albert Lévy et Georges Picard, à la création de la Commission des camps des Œuvres israélites d’Assistance aux réfugiés, placée sous l’égide de la Commission centrale des organisations juives d’assistance, elle-même sous le patronage du grand rabbin de France Isaïe Schwartz © ; il présida la Commission de l’Enfance, devenue en 1942 la 3e section de la 5e division de l’Union générale des Israélites de France, créée par le Commissariat aux Questions juives. Ses rapports sur la situation sanitaire épouvantable dans les camps de Vichy, qu’il publia dès la Libération, restent encore la source principale sur les conditions de vie dramatiques des internés. Il obtint aussi que les organisations juives aient une politique d’aide concertée et une spécificité en fonction de leurs compétences. Le sauvetage et l’éducation des enfants devaient être confiés à l’OSE, la formation professionnelle des adolescents par la société ORT (Organisation, reconstruction, travail) qui créa des ateliers d’apprentissage et des fermes agricoles ; le Comité d’Assistance aux Réfugiés fut chargé de former des comités locaux dans les villes proches des camps. Après le rattachement de l’OSE à l’UGIF, en mars 1942, J. Weill aurait été nommé inspecteur sanitaire à la IIIe direction (Santé) située au siège de l’OSE, à Montpellier, et à ce titre, chargé de la coordination des œuvres dans les camps et les maisons d’enfants.

Lors de ses négociations avec les autorités de Vichy, il fut, avec quelques représentants d’organisations, en particulier le Comité américain de Secours de Varian Fry, l’un des rares Français à réclamer la fermeture des camps d’internement ; le 12 février 1941, il affirma, devant Marcel Peyrouton, ministre de l’Intérieur, que les organisations membres du Comité de coordination « n’acceptaient pas le principe des camps comme normal et désirable ». Il participa également aux entretiens entre les œuvres juives françaises et les représentants de plusieurs associations suisses et américaines, comme la Croix-Rouge, les American Friends (Quakers) et surtout l’American Jewish Joint Distribution Committee, une organisation juive américaine d’assistance, dont les représentants au Portugal et en Suisse accordaient principalement les fonds nécessaires au travail médico-social de l’OSE dans les grandes villes et à l’entretien des maisons d’enfants. Voyageant sans relâche dans la zone sud, il effectua aussi plusieurs voyages officiels ou clandestins à Genève. Un rapport de la sécurité militaire de la Dordogne du 27 octobre 1941 décrit avec minutie ses nombreux déplacements, les adresses des immeubles où il se rendait pour participer à des réunions, les transferts de fonds qu’il effectuait vers les camps d’internement, ses relations avec les organisations internationales, son rôle dans les associations juives de secours en Dordogne et dans les camps de Gurs et Rivesaltes ; sa volumineuse correspondance était surveillée. Tout en reconnaissant qu’ « il est un grand philan- thrope », ce rapport, souvent cité, lui reproche, entre autres, « de ne s’occuper que de juifs étrangers ».

En juillet 1942, près de 2000 enfants de moins de 15 ans sur environ 2500 avaient pu être accueillis dans des pouponnières, des maisons d’enfants de l’OSE ou chez des particuliers, avec l’accord de leurs parents ; à la même date, environ 350 d’entre eux avaient pu rejoindre les convois formés par les Quakers et les Unitariens pour l’émigration des enfants aux États-Unis par Casablanca et le Portugal. Le gouvernement américain accorda 1 000 visas temporaires pour les enfants de moins de seize ans, ramenés à 500 enfants sans parents par René Bousquet, le secrétaire général de la police de Vichy ; J. Weill fut reçu à trois reprises par l’amiral Leahy, ambassadeur des États-Unis à Vichy afin de faire débloquer les visas d’entrée. Malgré les interventions de Donald Lowrie, l’OSE ne parvint pas à faire délivrer les visas de sortie de France, en raison du refus opposé par Pierre Laval, dont J. Weill avait réussi à obtenir une audience. En novembre 1942, le débarquement des Américains en Afrique du Nord mit fin aux pourparlers, le navire spécialement affrété repartit presque à vide de Lisbonne et 200 enfants durent regagner les maisons de l’OSE ou d’autres institutions.

Ayant suivi de près la montée du nazisme depuis la publication de Mein Kampf, qu’il avait été l’un des rares français à lire dans le texte, J. Weill n’avait aucune illusion sur les intentions des Allemands. Dès le début de l’année 1942, il avait été informé lors de l’un de ses voyages clandestins en Suisse que les nazis avaient commencé à appliquer le programme d’extermination des juifs dans les pays conquis en assassinant des centaines de milliers de juifs polonais, baltes, ukrainiens et russes, et que ce projet monstrueux était prévu pour s’étendre aux juifs de l’Europe de l’Ouest, sous le prétexte de déportations dans des camps de travail situés à l’Est. Cependant, sauf J. Weill, très peu de personnes crurent que les déportations se termineraient par une fin aussi épouvantable. En France, les premières rafles eurent lieu en zone nord, la plus connue étant celle dite du « Vel d’Hiv », le 16 juillet 1942, puis en zone sud à partir du 26 août ; plusieurs enfants furent arrêtés dans les maisons d’enfants de l’OSE. À peine rentré de l’un de ses voyages en Suisse, J. Weill. participa, du 27 au 30 août, à la commission de criblage dite « de la Nuit de Vénissieux », au cours de laquelle l’OSE et plusieurs organi- sations parvinrent à sauver de la déportation 80 adultes (repris le lendemain) et une centaine d’enfants immédiatement cachés par les Éclaireurs Israélites de France et confiés à l’Amitié Chrétienne du père Chaillet, avec l’aide de l’abbé Glasberg, de Germaine Ribière et de Jean-Marie Soutou, sous l’égide du cardinal Gerlier, archevêque de Lyon. Non sans difficulté, J. Weill parvint à faire admettre par les directeurs des établissements de l’OSE le fait que les maisons d’enfants étaient devenues des pièges mortels qu’il fallait dissoudre le plus rapidement possible, en raison de nouvelles rafles prévisibles; il fallait aussi organiser la dispersion des enfants sous de faux noms. J. Weill participa à l’élaboration du programme de l’action clandestine qui laissait toutefois à l’OSE une façade officielle au sein de l’UGIF. Cette opération devait comprendre la fabrication de faux papiers, le transfert clandestin des enfants dans des institutions ou chez des personnes de confiance, la création de filières de passages vers la Suisse et l’Espagne, tout en gardant des contacts permanents avec les organisations de résistance et avec les enfants cachés. A partir de décembre 1942, l’OSE mit en œuvre le programme proposé par J. Weill, qui fut confié à trois principaux responsables : Andrée Salomon pour les fausses identités, la dispersion et le convoyage des enfants, Georges Garel, un ingénieur, pour la recherche des lieux de refuge et le transfert des fonds d’entretien, GeorgesLoinger pour les passages en Suisse ; l’exécution de ces tâches incombait ensuite à une centaine de personnes, souvent de très jeunes filles. Le réseau formé par Georges Garel permit de cacher environ 1 600 enfants dans des couvents et des établissements religieux du sud-
ouest, avec l’aide de plusieurs associations catholiques, sous la protection du cardinal Saliège, archevêque de Toulouse et de Mgr Théas, évêque de Montauban. L’OSE utilisa aussi les filières clandestines protestantes, en particulier celles du plateau du Vivarais-Lignon. Au total, l’OSE, les Éclaireurs Israélites de France et le Mouvement de la Jeunesse sioniste parvinrent à faire passer en Suisse plus d’un millier d’enfants.

J. Weil ne put assister qu’au début de cette vaste opération clandestine: recherché par la Gestapo, il échappa à plusieurs arrestations les 4, 5 et 11 mars 1943 et décida de se réfugier en Suisse sous le nom de Jean Valois, en bénéficiant de son visa d’entrée unique en qualité de « personne non refoulable », réservé uniquement à 1 460 personnalités autorisées; sa femme et ses trois enfants avaient des visas simples. Aucun n’avait de visas de sortie de France. Ils passèrent la frontière clandestinement le 2 avril 1943 à Annemasse ; la famille fut d’abord internée, puis assignée à résidence à Genève, où l’Union-OSE avait une modeste délégation, dirigée par un phtisiologue, le Dr Boris Tschlénoff. La police suisse ne l’autorisa pas à revenir en France pour aider la Résistance, comme il l’aurait souhaité. En septembre 1943, on lui permit d’exercer une activité en Suisse « à titre honoraire et en considération de sa grande expérience et de sa compétence », en même temps que Lazare Gurvic, le secrétaire général de l’Union-OSE, également réfugié à Genève. Leur champ d’action resta cependant dans les limites étroites définies par la police, c’est-à-dire les relations avec les organisations de bienfaisance et avec les représentants de la communauté juive de Suisse, pour qui J. Weill rédigea des rapports très alarmants sur la situation des juifs en France ; cependant, il ne réussit pas à faire passer ses informations dans la presse en raison de la censure. Il entretint une liaison téléphonique presque quotidienne avec Saly Mayer, le représentant de l’American Joint en Europe, qui résidait à Saint-Gall, afin de définir les besoins de l’OSE clandestine et les transferts de fonds en France, par l’intermédiaire de la Fédération suisse des communautés israélites, établie à Zurich. Il participa à certaines interventions effectuées auprès des autorités fédérales, par la Croix Rouge suisse, plusieurs associations philanthropiques et différentes personnalités pour obtenir un accueil moins rigoureux des réfugiés clandestins, notamment des adolescents de 16 à 18 ans, ce qui fut refusé ; en novembre 1943, Heinrich Rothmund, chef de la division de police, proposa néanmoins l’accueil officiel de 1 500 enfants, sous des conditions draconiennes et à condition que ce chiffre ne soit pas dépassé. On doit aussi à J. Weill un certain nombre d’initiatives pour l’amélioration des conditions de séjour dans les camps suisses d’internement et de travail où l’OSE entreprit d’établir une surveillance sanitaire des jeunes gens et la fourniture de matériels médicaux. Il obtint, en liaison avec une cinquantaine d’associations, la création de conférences de rattrapage pour les médecins internés, de cours de formation au travail social destinés à une centaine de jeunes gens suisses et étrangers à Genève et à Zurich, ainsi qu’un enseignement médical destinés aux infirmières à Lausanne. Il organisa un groupe d’études composé d’une trentaine de personnalités scientifiques et universitaires, chargé d’étudier les problèmes de réinsertion professionnelle des réfugiés après la guerre. L’Union-OSE assura aussi la gestion de deux établissements de réadaptation scolaire, Les Murailles, à Vesenaz et le Home de La Forêt, à Genève. En 1944, l’OSE confia à l’une de ses assistantes sociales réfugiée en Suisse, Ruth Lambert, une enquête, encore inédite, sur la situation des jeunes gens et jeunes filles juifs enfermés dans les dix camps de travail en Suisse et sur leurs projets d’avenir.

De retour en France en avril 1945, J. Weill reprit son activité médicale à Paris, au siège de l’OSE. Il participa à la recherche des enfants cachés et à celle de leurs familles à l’étranger. Il effectua, avec les Dr Gaston Revel et Henri Nerson, plusieurs missions sanitaires dans les camps de personnes déplacées en Allemagne et une mission au Maroc; il représenta l’OSE aux réunions de travail de l’UNRA à Genève. En 1947, il rejoignit sa famille à Strasbourg et rouvrit son cabinet. En 1954, il fut élu président du Consistoire israélite du Bas-Rhin, en remplacement de Lucien Cromback, poste qu’il occupa jusqu’en 1966 et auquel il donna une dimension inédite en relations publiques et interconfessionnelles, jusqu’alors laissées en grande partie à l’initiative du grand rabbin du Bas-Rhin Abraham Deutsch ©, avec lequel ses relations furent parfois orageuses. Il créa des cycles de conférences à l’intention des communautés rurales, encouragea les relations intercommunautaires entre les associations de jeunesse et développa les mesures d’aide éducative en faveur des jeunes travailleurs. Il se montra favorable à un rapprochement avec l’Allemagne d’Adenauer, tout en restant attentif aux résurgences de l’antisémitisme et aux menaces, très réelles à cette époque, de terroristes nostalgiques du nazisme. Il entretint des relations régulières avec le Conseil de l’Europe et participa aux entretiens qui accompagnèrent le concile de Vatican II. Patriote intransigeant, il se montra très regardant sur les devoirs de l’État à l’égard des cultes dits « concordataires ». Ainsi, le 5 juillet 1957, il exigea que le président René Coty visite en habit le chantier de la synagogue de la Paix, comme pour les autres lieux de culte strasbourgeois, et refusa que les assistants à cette cérémonie fassent l’objet d’un contrôle d’identité. L’inauguration officielle eut lieu le 23 mars 1958 en présence de Pierre Pflimlin ©, alors ministre des Finances. À la fin de son mandat, il fut élu président d’honneur du Consistoire.

 

J. Weill rencontra le général de Gaulle à trois reprises : en 1946, pour l’informer de la situation des camps de personnes déplacées en Allemagne; en 1960, lors de sa visite de la synagogue de la Paix, où il lui manifesta ses craintes concernant la situation au Proche-Orient et les dangers du panarabisme ; en 1961, pour l’entretenir des menaces envers la communauté juive d’Algérie. En 1967, il fut très affecté par les propos du général au moment de la guerre des Six Jours, au point de renvoyer ses décorations, avec une lettre de protestation qui resta sans réponse. Après sa retraite professionnelle, il se retira avec son épouse à Besançon pour ne pas être tenté de continuer à exercer ; il y rédigea ses Mémoires, d’abord diffusées en exemplaires limités sous le titre Déjà, puis rééditées en 2002 par les soins de ses trois fils sous le titre de Combat d’un juste. Cet ouvrage apporte d’importantes précisions sur sa vie privée et publique, ses convictions religieuses et sa philosophie personnelle, mais reste plutôt discret sur son activité clandestine. Il faut donc compléter cette période, qui présente encore des imprécisions, par de nombreuses sources d’archives publiques et privées, en France, en Suisse et à New York. Joseph Weill est cité par tous les historiens de la Résistance, de même que tous les membres de l’OSE, pour leur action d’aide aux internés des camps de Vichy et pour leur contribution essentielle au sauvetage des enfants juifs. Il combattit le nazisme dont il avait compris, dès la fin des années 1920, les intentions criminelles, puis la législation anti-juive du gouvernement de Vichy dont il contestait la légalité. Il sut imaginer à temps les bonnes décisions en vue de la protection des enfants et parvint, non sans difficultés, à convaincre les associations de bienfaisance d’entrer dans la clandestinité tout en conservant leur activité normale. Cependant, sa personnalité dépasse le cadre de la guerre. Il fut d’abord un médecin humaniste, spécialiste du diabète, une maladie encore mal soignée en France, partisan d’une éthique rigoureuse et d’un code de courtoisie à l’égard de ses malades, qu’il recevait toujours soigneusement habillé, même en cas d’urgence ; il était intraitable sur les problèmes de déontologie et d’hygiène. Dans ses Mémoires posthumes, il consacre de longs passages, toujours actuels, aux progrès de la médecine, mais aussi à ses erreurs et aux dérives auxquelles sont parfois amenés aussi bien les patients et que les praticiens. Il donna au Consistoire Israélite du Bas-Rhin une dimension politique et une volonté d’intervention dans plusieurs domaines négligés auparavant en raison des urgences et des impératifs de la reconstruction. Juif pratiquant, volontiers moraliste, il resta fidèle aux enseignements de son père, éminent talmudiste, qui avait fait de lui un excellent hébraïsant et auquel il rendit hommage dans un livre. Chevalier (1947), puis officier de la Légion d’Honneur (1955).

Rapport sur la situation des juifs en Allemagne, Genève, Union-OSE, 1945, traduit en anglais sous le titre Report on the situation of the Jews in Germany, Genève, OSE, 1946 ; Contribution à l’histoire des camps d’internement dans l’anti-France, Paris, Éditions du Centre, 1946, 230 p. t 18 n. p. ; En lisant le Livre, commentaire sur la Bible, s.l., 1954 ; Un quêteur d’absolu : Ernest Weill (1865-1947), grand rabbin de Colmar et du Haut-Rhin, Paris, La Pensée Universelle, 1975 ; « Un Résistant authentique et méconnu. À la mémoire de Saly Mayer, 25 ans après sa disparition » La Revue Juive-lsraelitisches Wochenblatt, n° 31, 1er août 1975 ; Déjà !…, Essai autobiographique, Besançon, 1983, tirage limité ; Le Combat d’un Juste, Saumur, Cheminements, 2002, 663 p. + 16 n.p.

Archives nationales, Paris, série AJ 38 ; archives de l’OSE, Paris, fonds des archives historiques (déposées à l’Alliance Israélite Universelle), fonds de l’Union-OSE de Genève, dit fonds Tschlénoff ; Archives départementales des Alpes-de-Haute-Provence, sous-série 6 J (Commission des camps) ; Archives départementales de la Dordogne, séries 1 W et 42 W ; Musée de la Résistance, Besançon, fonds Joseph Weill ; Centre de Documentation Juive Contemporaine, Paris ; Archives d’État de Genève, dossier Joseph Weill ; Archives fédérales suisses, Berne, série N, dossiers Joseph Weill, Mina Schwab et Fanny Schwab ; idem, série II J 15, fonds de la Croix-Rouge suisse ; idem, série II J 55, fonds du Schweizer Hilfswerk für Emigrantenkinder ; Archiv für Zeitgeschichte, Zurich, fonds S/G (Fédération suisse des communautés israélites) ; idem, correspondance de Saly Mayer (microfilm) ; archives de l’American Jewish Joint Distribution Committe, New York, fonds des années 1933-1945; idem, archives du bureau de Saint-Gall (Saly Mayer); Archives du YiVO Institut, New York, fonds de l’UGIF et fonds du comité américain de l’OSE.

Jean Daltroff, notices Laure Weil, Ernest Nathan Weill et Joseph Weill dans Nouveau dictionnaire de biographie alsacienne, fasc. 39, Strasbourg, 2002, p. 4124-4125 et 4129-4130, bibliographie à compléter comme suit : Charles Altorffer, « Au service des réfugiés alsaciens dans le sud-ouest (1939-1945) », dans « L’Outre-Forêt », Revue de l’Alsace du Nord, 1987 ; Asher Cohen, Persécutions et Sauvetages, Juifs et Français sous l’occupation et sous Vichy, Paris, 1993 ; Ruth Fivaz-Silbermann, « Filières de passage en Suisse », Les réfugiés civils et la frontière genevoise durant la deuxième guerre mondiale, Genève, 2000, p. 135-136 ; Ruth Fivaz-Silbermann, « Le sauvetage clandestin des enfants juifs à travers la frontière genevoise, 1942-1944 », Espaces savoyards : frontières et découpages, Actes du 39e Congrès des Sociétés savantes de Savoie, Archamps, 2004, p. 171-181. [Georges Garel], « L’OSE », L’activité des organisations juives en France sous l’Occupation, Paris, 1947, p. 117-179 ; édité à part sous le titre de L’OSE sous l’Occupation allemande en France, 1940-1944, Genève, 1947, rééd. Paris, 1983 ; Lazare Gurvic, « L’OSE, ses buts et ses activités pendant la période 1912-1945 », Mélanges dédiés au Dr B. A. Tschlénoff, Genève, 1946, p. 13-62 ; Anne Grynberg, « Le comité de Nîmes ou les limites de la philanthropie », J. Grandjonc et Therésia Grundtner, Zones d’ombres, 1933-1944, Aix-en-Provence, 1990, p. 433-450 ; Katy Hazan, Georges Weill, « L’Union mondiale OSE et le sauvetage des enfants juifs, de l’avant-guerre à l’après-guerre », Sauveteurs, sauvés, sauvetage, Actes du colloque de Paris, 11-13 décembre 2006, à paraître ; A. Kaspi, Les juifs pendant l’Occupation, Paris, 1991 ; Lucien Lazare, La Résistance juive en France, Paris, 1987, rééd. 2001 ; Georges Loinger, Katy Hazan, Aux frontières de l’espoir, Paris, 2006 ; Martine Lemalet (éd.), Au secours des enfants du siècle, Regards croisés sur l’OSE, Paris, 1993 ; E[ugénie ] Mazour [Masour] et O. [Jacques] Ratner, « L’Union-OSE en France »,  Fifty years of OSE, In Fight for the Health of the Jewish People », New York, 1968, p. 31-115 ; Jacques Picard, La Suisse et les Juifs, 1933-1945, Lausanne, 2000 ; Renée Poznanski, Être juif en France pendant la Seconde Guerre Mondiale, Paris, 1994 ; Bernard Reviriego, Les juifs en Dordogne, 1939-1944, Périgueux, 2003 ; Vivette Samuel, Sauver les enfants, Paris, 1995 ; Jacques, Francis et Dan Weill, Docteur Joseph Weill, sur le site du Judaïsme alsacien www.judaisme.sdv.fr ; Georges Weill, « Le rôle éminent d’Andrée Salomon dans le sauvetage des enfants », Le sauvetage des enfants juifs de France, Actes du colloque de Guéret, 29-30 mai 1996, Guéret, 1996, p. 105-115 ; Sabine Zeitoun, « L’OSE au secours des enfants juifs », ibid, p. 93-104 ; Limore Yagil, Chrétiens et Juifs sous Vichy, 1940-1944, Sauvetage et désobéissance civile, Paris, 2005.

Georges Weill, Ruth Fivaz-Silbermann, Katy Hazan (2007)