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TWINGER von KOENIGSHOFEN Jakob

Enseignant, notaire, chroniqueur, prêtre, archiviste, musicien (★ 1346 † 27.12.1420). Fils de Fritsche von Koenigshofen et de Metze, frère de Henselin von Koenigshofen, boulanger. Son vrai nom est donc von Koenigshofen ; il semble avoir pris celui de Twinger en mémoire du Stettmeister Johann Twinger © († 1376), qu’il appelle dominus meus generosus, ce qu’il faut comprendre comme bienfaiteur, en aucun cas comme parent. On suppose que Johann Twinger a rendu possible ses études, sur lesquelles on ne sait rien, pas plus que sur ses débuts dans la vie active. Il est attesté en 1379 comme juriste (défendant les intérêts du clergé strasbourgeois contre son évêque) et en 1394 comme notaire impérial et apostolique. Son manuel de comput, à l’usage des écoles, et son dictionnaire, qu’il destine aux enfants (parvuli), prouvent qu’il a aussi été enseignant, mais cet aspect de son activité n’a laissé aucune trace dans les archives. Il n’a été ordonné prêtre qu’à 36 ans (1382), a été pléban (vicarius perpetuus) de Saint-Martin de Strasbourg à une date inconnue, apparemment aussi vicaire du Grand Chœur, et titulaire à la cathédrale d’une chapellenie à la collation de l’Œuvre Notre-Dame, détenue en 1349-1350 par Closener ©. De 1384 au moins à 1395, il est rector de Drusenheim (titulaire de la cure, pas forcément desservant effectif ; en 1394, il vit à Strasbourg : Hegel I 159 n. 3), et chanoine de Saint-Thomas de Strasbourg de 1395 à sa mort. Dans cette dernière fonction, il a fait preuve d’une activité inlassable, dirigeant le chant liturgique, dressant le catalogue de la bibliothèque du chapitre, mettant de l’ordre dans ses archives, copiant plusieurs cartulaires et censiers, veillant à la tenue et à la conservation des comptes, s’occupant activement de la gestion des biens du chapitre, et aussi de ceux de l’hôpital strasbourgeois dit de Phine (1396) et du reclusoir de Saint-Gall (1410), qui en dépendaient. Tout se passe comme si Koenigshofen, conscient que son admission à Saint-Thomas, du fait de ses origines modestes, représentait pour lui une chance exceptionnelle, avait fait tout son possible pour la mériter. Le chapitre reconnut son dévouement en le qualifiant, dans son épitaphe, de fidelis canonicus, mais n’alla pas jusqu’à lui conférer une dignité, pas même celle de chantre ou d’écolâtre, pour lesquelles pourtant nul n’était plus qualifié que lui.

L’ardeur de Koenigshofen au travail se manifeste aussi dans ses écrits, dont les sujets sont étonnamment variés, et dont le point commun est de chercher à divulguer à un plus large public un savoir déjà élaboré, plutôt qu’à faire preuve d’originalité. Son Vocabularius intègre celui de Closener, mais le développe considérablement par des emprunts à d’autres ouvrages analogues et à des recueils de formules mnémotechniques (Merkverse). C’est un dictionnaire latin-allemand des noms et adjectifs, qui vulgarise les commentaires et les sommes grammaticales du XIIIe siècle à l’usage des élèves (en fait plutôt des enseignants) des écoles latines. Il en existe trois versions autographes (après 1382, 1390, 1408), chacune plus complète que la précédente ; la dernière montre que l’intérêt de Koenigshofen pour l’enseignement a survécu à son entrée à Saint-Thomas. C’est aussi pour ses élèves de Strasbourg qu’il dit avoir rédigé son Computus novus chirometralis, un manuel élémentaire de comput, encore inédit, qui existe en deux versions, courte (1390) et longue (1394). Son Tonarius seu libellus de octo tonis est un bref traité de chant liturgique, rédigé après 1413 à l’usage du chapitre Saint-Thomas, hors duquel il est resté inconnu. C’est une défense et illustration de la monodie grégorienne traditionnelle, dont l’étude approfondie reste à faire. Mais la célébrité de Koenigshofen est due avant tout à sa chronique allemande, dont il a commencé la rédaction au plus tard en 1382, et dont il existe trois versions. La version C, la plus longue, sert de base à l’édition de Hegel. L’auteur y a travaillé jusqu’en 1415 ; il n’en existait qu’un manuscrit (brûlé en 1870). La version A, rédigée en 1386-1390 et publiée par Schilter, est plus brève ; B est une version remaniée de A, enrichie d’éléments empruntés à C, et rédigée en 1390-1395. A et B ont connu une très large diffusion, dont témoigne le nombre de manuscrits conservés : plus de 50, voire de 80 en comptant les versions incomplètes. Le succès de Koenigshofen a plusieurs causes : le choix qu’il a fait de l’allemand, pour être compris des laïcs ; un style agréablement narratif, non dénué d’humour, faisant une large place à l’anecdote ; la combinaison réussie de l’histoire universelle avec l’histoire locale, qui s’exprime dans un plan d’ensemble simple : après un premier chapitre consacré aux trois premiers empires universels, l’histoire du quatrième, celui de Rome, est subdivisée en histoire des empereurs (de César à Wenceslas : chap. 2) et des papes (chap. 3) ; l’histoire locale reprend la même subdivision (histoire des évêques, puis de la Ville de Strasbourg : chap. 4-5) et est enracinée dans l’histoire universelle par ses fondateurs mythiques, Trebeta et saint Materne. Le 6e chapitre est un index alphabétique qui, aussi insuffisant qu’il puisse paraître aujourd’hui, facilitait grandement la consultation de l’ouvrage et servait aussi de résumé. Ce plan peut servir aux chroniques d’autres régions (en conservant les chap. 1-3 et en remplaçant les chap. 4-5, comme Koenigshofen le suggère lui-même : Il 621), et de fait, il a inspiré les chroniqueurs Justinger, de Berne (ancien élève de Koenigshofen), Etterlin, de Lucerne, Koelhoff, de Cologne, et d’autres. Koenigshofen a même été traduit en tchèque. Par ailleurs, chacun des chapitres 2 à 5 peut être continué au-delà du XIVe siècle (Koenigshofen a commencé la tâche lui-même). Aussi bien la majorité des manuscrits conservés comporte-t-elle des adjonctions ou des modifications, ce qui montre combien la chronique de Koenigshofen a été ressentie par ses lecteurs comme une invitation à la poursuivre. Koenigshofen est aussi l’auteur d’une chronique latine, commencée avant 1382 et continuée jusqu’en 1419, et dont l’unique manuscrit a brûlé en 1870. Son plan était plus touffu que celui de la chronique allemande. Elle aussi comportait un index. La majorité des commentateurs — dont Hegel (I 199), avec de sérieux arguments, et récemment G. Melville (col. 1183) — y voient une simple collection de notes destinées à la rédaction de la chronique allemande, mais Hanauer (p. 572) et Köster (p. 105) font observer que Koenigshofen y a traduit en latin des textes rédigés en allemand, et que par conséquent il s’agissait à ses yeux d’un ouvrage indépendant, destiné aux clercs, comme la chronique allemande l’était aux klugen leygen. L’exceptionnel succès de Koenigshofen a éclipsé Closener, dont il a repris et développé l’œuvre, lexicographique aussi bien qu’historique. On ne sait rien des relations personnelles entre les deux hommes, et on ne peut que s’interroger sur le fait que, dans la dernière version de son Vocabularius, Koenigshofen ne reconnaît plus sa dette envers son prédécesseur. D’Ellenhard © à Closener © et de celui-ci à Koenigshofen, il y a une continuité de l’historiographie strasbourgeoise, et son siège est l’Œuvre Notre-Dame, dont Ellenhard était administrateur, dont Closener et Koenigshofen ont été chapelains, et à laquelle Koenigshofen a légué les manuscrits originaux de ses chroniques. Mais l’Œuvre Notre-Dame est une institution para-municipale, et derrière elle on croit percevoir l’influence du Conseil de Strasbourg. La seule chose sûre est cependant que Johann Twinger ©, qui a demandé à Closener de traduire le Bellum Waltherianum (éd. Hegel, I 89), est aussi le bienfaiteur de Koenigshofen, et que ces deux clercs donnent raison à la Ville contre l’évêque et à l’empereur contre le pape. Koenigshofen, de plus, fait plusieurs fois l’apologie du gouvernement des métiers (O. Richard). Divers auteurs ont souligné combien sa chronique répond aux besoins des milieux dirigeants de Strasbourg — et d’autres villes d’Empire — en mettant à leur disposition, d’une façon assimilable et plaisante, une vision de l’histoire qui les légitime et donne sens à leur action. Quant à savoir si Closener et lui ont spontanément répondu à une attente inexprimée, ou donné suite à une suggestion, voire à une commande du Conseil, les sources ne nous le permettent pas. C’est en tout cas son expérience pédagogique — dont témoignent aussi ses autres œuvres — qui, jointe à son talent d’écrivain, a permis à K. de satisfaire un si large public.

K. Kirchert, D. Klein (éd.), Die Vokabulare von Fritsche Closener und J. Twinger von Koenigshofen, Überlieferungsgeschichtliche Ausgabe, 3 vol., 1995; F. X. Mathias, Koenigshofen als Choralist, Strasbourg-Graz, 1903 [p. 92-154, éd. et trad. du Tonarius redécouvert par M. Vogeleis]; J. Schilter (éd.), Die Alteste [sic] Teutsche so wol Allgemeine als insonderheit Elsassische und Straßburgische Chronicke von Jacob von Koenigshofen…, Strasbourg, 1698 [éd. non critique de la version A, avec des continuations des XVe et XVIe siècles, des notes historiques et des annexes] ; [L. Schneegans, A. W. Strobel (éd.)], Code historique et diplomatique de la ville de Strasbourg, I. Chroniques d’Alsace, 1, Chroniken von Closener und Koenigshofen, Strasbourg, 1843 [choix de fragments des deux chroniques, reclassés par ordre chronologique, sans appareil critique ; p. 21-60 bonne notice sur Koenigshofen par L. Schneegans] ; C. Hegel (éd.), Die Chroniken der oberrheinischen Städte, Stra?burg, 1-2 (Die Chroniken der deutschen Städte, 8-9), Leipzig, 1870-1871 (excellente éd. critique de Closener et Koenigshofen ; importante introd., annexes, index, glossaire] ; L. Dacheux, « Koenigshofen, Fragments de la chronique latine », Bulletin de la Société pour la conservation des monuments historiques d’Alsace, 15, 1892, p. 283-300, et in Fragments des anciennes chroniques d’Alsace, 4, 1901, p. 1-20 ; L. Dacheux, « La chronique de la maison de l’Œuvre Notre-Dame », Bulletin de la Société pour la conservation des monuments historiques d’Alsace, 12, 1886, p. 90-99 [étude de l’original de la version A, conservé à la Bibl. du Grand Séminaire de Strasbourg], Mss du Computus : cf. Klein et Melville, in fine.

Urkundenbuch der Stadt Strassburg, V et VII, index sous Twinger et Koenigshofen; Ch.  Schmidt, Histoire du chapitre de Saint-Thomas, Strasbourg, 1860 ; J. Kindler von Knobloch, « Beiträge zur Geschichte des elsässischen Adels », Bulletin de la Société pour la conservation des monuments historiques d’Alsace, 10, 1878, p. 285-290 ; A. Schulte, « Closener und Koenigshofen, Beiträge zur Geschichte ihres Lebens und der Entstehung ihrer Chroniken », Stra?burger Studien 1, 1883, p. 277-299; A. Hanauer, « Koenigshofen », Revue d’Alsace, 55, 1904, p. 561-585; K. Köster, « Jakob Twinger von Koenigshofen, Eine Bibliographie », in P. Wentzcke (éd.), Schicksalswege am Oberrhein [= Elsass-Lotringisches Jahrbuch 22], 1952, p. 101-111 ; ; H. Schoppmeyer, « Zur Chronik des Stra?burgers Jakob Twinger von Koenigshofen », D. Berg et H. W. Goetz (éd.), Historiographia Mediaevalis, Festschrift für F. J. Schmale, 1988, p. 283-299; D. Klein, G. Melville, « Jakob Twinger von Koenigshofen », K. Ruh et al. (éd.), Die deutsche Literatur des Mittelalters, Verfasserlexikon, 2e éd., 9, 1995, c. 1181-1193 [av. bibl. récente] ; O. Richard, « Histoire de Strasbourg, Histoire pour Strasbourg. Sur la chronique allemande de Jakob Twinger von Königshofen », à paraître dans Revue d’Alsace, 127, 2001 [av. bibl. récente],

Bernhard Metz (2001)