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STURM Johann (Jean)

Humaniste, pédagogue, diplomate, théologien (★ Schleiden, dans l’Eifel, Rhénanie, 1.10.1507 † Nordheim 3.3.1589). Fils de Wilhelm Sturm, administrateur des revenus de Dietrich IV, comte de Manderscheid-Schleiden, et de Gertrud Hüls. ∞ I 1539 à Paris Jeanne Pison dite Auxois († Strasbourg). ∞ II à Strasbourg? Margaretha Wigand. ∞ III 18.11.1572 à Strasbourg Elisabeth von Hohenburg, veuve de Jeremias Stoeffelin. Études primaires à Schleiden, avec notamment comme condisciple Jean Philippson, dit Sleidan ©, qui le retrouva plus tard à Strasbourg. Études secondaires à Liège de 1521 à 1524 (collège de Saint-Jérôme), où Sturm suivit les méthodes nouvelles des Frères de la Vie commune, puis à Louvain de 1524-1529 (collège trilingue), où il commença à éditer, avec Rescius, des textes classiques et patristiques. Études supérieures à Paris (droit et médecine, puis rhétorique et dialectique). Sturm donna, en marge du Collège royal fondé en 1530, des cours de rhétorique (il commenta notamment Cicéron) et de dialectique (se rattachant à Rodolphe Agricola) qui reçurent un franc succès, et collabora avec l’imprimeur Wechel ; il fut probablement à l’origine de la première édition d’Hermogène en grec (1531). Erasmien, puis gagné aux idées de la Réforme, protégé par Marguerite de Navarre, Sturm entra au service des frères Du Bellay, et participa aux tentatives de rapprochement entre François Ier et les luthériens allemands (1534-1535). Appelé par Bucer © en 1536 à Strasbourg pour enseigner la rhétorique et la dialectique (l’art de « discuter de façon probable »), Sturm y arriva le 14 janvier 1537. Durant plus de 50 années (et non sans avoir envisagé à plusieurs reprises de s’établir ailleurs), il y alterna les périodes de publication intense et les engagements au service de la cité. En février 1538, Sturm rédigea un mémoire relatif à l’enseignement à Strasbourg, où il prônait de regrouper les écoles latines existantes, qui furent chapeautées par une Haute École pour les études supérieures; à la fondation du Gymnase qui concrétisa ce projet, on lui confia le rectorat, qu’il conserva jusqu’en 1582. Chanoine du chapitre de Saint-Thomas à partir de 1540, Sturm en fut prévôt à partir de 1554.

Tout en éditant des textes classiques, des manuels scolaires et en exposant ses propres idées sur l’enseignement, Sturm intervint activement dans la politique extérieure de Strasbourg (échanges épistolaires avec Sadolet, membre de la commission à laquelle le pape Paul III avait confié la tâche de corriger les abus dans
l’Église, et Latomus, participation aux colloques religieux de 1540-1541 : Haguenau, Worms et Ratisbonne, missions à la cour de France en 1544-1546), et intercéda auprès du cardinal Du Bellay en faveur des protestants de Metz (1543). Après la victoire de Charles Quint (1547) et la publication de l’Intérim (1548), Sturm se concentra sur la production pédagogique. La décennie 1553-1563 le vit à nouveau absorbé par la politique, et notamment par l’introduction de la Réforme en France (lutte entre les Valois et les Habsbourg; nouvelles négociations, entre l’Empire et la France, relatives au sort des protestants de Metz; plaidoyer écrit relatif aux Vaudois du Piémont ; première guerre de religion). À partir de 1564, Sturm réorienta ses efforts sur le Gymnase; il obtint, en 1566, de l’empereur Maximilien II, la transformation de la Haute École en Académie et publia à nouveau manuels scolaires, traités pédagogiques et éditions de textes. Au plan strasbourgeois, un grave conflit au sujet de la Cène et de la prédestination, lié aux opinions de son ami Hieronymus Zanchi ©, l’opposa dès 1561 à Johann Marbach © ; cette querelle atteignit son paroxysme dans les années 1571-1575 (Marbach reprocha à Sturm ses sympathies non seulement pour les calvinistes et les zwingliens, mais aussi pour les « papistes ») ; elle reprit avec Pappus © (dans une dispute académique traitant de l’hérésie, Sturm avait contredit les thèses anti calvinistes de Pappus), de 1578 à 1581, et aboutit à la destitution de Sturm comme recteur du Gymnase. Ses dernières années furent particulièrement sombres: en procès avec la Ville de Strasbourg, Sturm était par ailleurs frappé de cécité et criblé de dettes (lors de la première guerre de religion, il avait garanti pour les huguenots d’importants emprunts, qui ne furent que partiellement remboursés). Il s’était retiré dans son manoir de Nordheim.

L’œuvre de Sturm, vaste (155 titres répertoriés par Jean Rott ©) et diversifiée (d’amples traités savants voisinent avec des écrits plus brefs et moins spécialisés), se déploie dans de multiples genres littéraires: 1. Edition de textes classiques (Lucien,
Chrysostome, Cicéron, Platon…), mais aussi d’auteurs pédagogiques (Dialectique de Mélanchthon, 1538 ; Dictionarium mathematicarum de Dasypodius, 1573 ; Underricht der hochteutschen spraach, d’Oelinger, 1573…) ou de théologiens (Capiton, Bucer, Calvin : préface à l’éd. de 1543 de l’lnstitutio christianae religionis) contemporains de Sturm ; 2. Commentaires d’orateurs ou de théoriciens de l’art oratoire (notamment Cicéron et Hermogène) ; 3. Traités de rhétorique (De universa ratione elocutionis rhetoricae, 1576…), de dialectique (Partitionum dialecticarum libri IV, 1539-1543…) et de stylistique ; 4. Écrits programmatiques sur l’éducation et l’enseignement (De literarum ludis recte aperiendis, 1538 ; Nobilitas literata, 1549 ; Classicae epistolae, 1565 ; Academicae epistolae, 1569…) ; 5. Manuels scolaires, instruments pédagogiques (Neanisci, 1565, Onomasticon puerile, 1566…) ; 6. Écrits de controverse religieuse (Epistola ad Cardinales (de emendatione Ecclesia, 1538 ; Epistola de refutatione Tridentioni concilii, 1565 ; Antipapi, 1579-1581…) ; 7. Écrits politiques, relatifs notamment à l’évêché de Strasbourg (De morte Erasmi episcopi Argentinensis epistolae, 1569) et au problème turc (De bello Adversus Turcos perpetuo commentarii. Epistolae de Turcico bello, publication posthume : 1598) ; 8. Écrits de circonstance, notamment de réconfort (Consolatoria ad Senatum Argentinensem de morte Jacobi Sturmii, 1553).

Écrits politico-religieux : Comme bon nombre d’humanistes, et quoiqu’ayant opté clairement pour la Réforme, Sturm chercha la conciliation des Églises, la concorde entre hommes savants et pieux ; à la suite de Bucer, il fut partisan de la convocation d’un concile libre, composé d’interlocuteurs choisis parmi des hommes d’une sage modération. Les controverses avec les luthériens : homme de la première génération de la Réforme, admirateur de Luther et ami de Mélanchthon, Sturm ne partagea pas
les formulations relatives à la Cène de l’orthodoxie luthérienne, mais rejoignit les positions de Martin Bucer, refusant notamment que l’on comprenne ubiquité et consubstantiation dans un sens purement matériel. Dans la profession de foi qu’il soumit au chapitre de Saint-Thomas le 15 octobre 1561, Sturm demanda que l’on ne professât pas de doctrine qui contrevînt aux enseignements de Jésus-Christ ou aux lois de la nature. Il s’opposa aux expressions doctrinales de la Formule et du Livre de Concorde (1577 et 1580). Par ailleurs, face à Pappus, il défendit le statut de la philosophie et de la dialectique, dons de Dieu ; plus fondamentalement, pour Sturm, la philosophie antique annonçait le christianisme.

À l’instar d’Erasme ou de Luther, Sturm prit position par rapport au problème turc ; mais au contraire du second, qui prônait une guerre purement défensive et spirituelle (combat par la prière et la repentance), Sturm prôna, après la victoire de Lépante (1571), des mesures militaires concrètes : coalition entre tous les peuples de la chrétienté, sans considération pour les différences de confession ; création d’une armée de métier — avec institution d’une académie militaire, que financerait un impôt proportionnel à lever sur tous les habitants de l’Empire; encerclement de la Turquie par des colonies militaires.

Le pédagogue : Maintes publications situent Sturm « au premier rang des grands pédagogues du XVIe s. » (J. Rott). Les écrits : parmi les écrits programmatiques, on relèvera De amissa dicendi ratione (qui examine les causes du déclin de l’éloquence depuis Rome, et demande le retour au latin de l’Antiquité), et le De literarum ludis recte aperiendis, qui, développant le bref mémoire de février 1538, expose les idées de Sturm sur le but et l’organisation du Gymnase, sans négliger pour autant le rôle éducatif des parents. Sturm révisa son plan d’études en 1565 et l’exposa dans ses 24 Classicae Epistolae (adressées aux scolarques et aux enseignants strasbourgeois, elles insistent notamment sur la nécessité d’un lien confiant entre l’élève et le maître) ; il les compléta par les Academicae epistolae (1569) : adressées à des destinataires plus larges, dont le Magistrat de Strasbourg, elles traitent aussi de questions administratives.

D’autres écrits exposent ses conceptions de l’éducation des princes et de la noblesse : Nobititas literata (1549), pour inspirer aux seigneurs l’amour de l’étude, traité développé dédié aux frères Philippe et Anton Werter, et qui renferme des conseils détaillés sur les bons auteurs grecs et latins et sur la manière de les lire (composition, métrique), et deux traités plus concis, De educatione principum (1551), dédié au duc Guillaume de Juliers-Clèves et De nobilitate anglicana (1551, à Roger Asham).

Sturm publia lui-même des instruments de travail élémentaires : une grammaire pour les petites classes, ou encore un Onomasticopuerile, renfermant les expressions les plus usuelles.

Les visées et les principes pédagogiques : Sturm exprima son idéal, qui était aussi le but des études, dès le De literarum ludis (1538) : « une piété fondée sur le savoir et l’éloquence (sapiens et eloquens pietas) ». Humaniste chrétien, Sturm concevait l’homme dans ses rapports tant avec Dieu qu’avec la Cité et exaltait la notion de « bien général ». Le savoir approfondi (sapientia) doit déboucher sur une formation morale et religieuse (pietas). C’est la perfection du langage (eloquentia) qui mettra ces connaissances en valeur: Sturm attachait autant de prix à l’élégante correction du discours qu’au beau style; convaincu que, dans l’exercice de l’éloquence latine, les Modernes étaient très inférieurs aux Anciens (au premier rang desquels Cicéron), Sturm s’attacha principalement à réhabiliter la rhétorique: c’est là « le but suprême et le principe directeur » du programme d’études qu’il propose.

Méthodes et contenus: éduqué par les Frères de la Vie commune, Sturm s’inspira d’un certain nombre de leurs méthodes éducatives: enseignement divisé en stades progressifs (huit classes ; le Gymnase en compta neuf, puis dix), chaque classe étant
confiée à un seul professeur et divisée en décuries, ayant chacune son chef ; adaptation au niveau différencié des élèves (notion de la juste mesure) : examens semestriels, classes homogènes… ; appel constant à la mémoire (afin d’acquérir la copia verborum ; les élèves se constituaient des cahiers individuels de vocabulaire et de sentences) ; recours à l’émulation ; représentation de pièces de théâtres (drames latins) à des fins récréatives, mais aussi dans le dessein d’exercer l’éloquence. Aux collèges parisiens, Sturm emprunta la pratique des disputes scolaires; comme Erasme, il composa des dialogues. L’enseignement était donné en latin, l’apprentissage de la grammaire précédant l’explication d’auteurs ; à l’instar d’Erasme, Sturm ne se souciait guère des langues modernes. Tout comme Cicéron, la Bible doit être méditée sans cesse ; l’instruction religieuse débute par l’histoire de Jésus (neuvième), pour aboutir à la lecture de chapitres de Moïse en hébreu (première), en passant par des extraits du Nouveau Testament en grec. L’impact : le Gymnase et la Haute-École de Strasbourg attirèrent, dès le XVIe s., des élèves de tout l’Empire, mais aussi de France, de Suisse, d’Angleterre, d’Italie, de Bohême et de Pologne ; en 1545, les dix classes auraient compté 644 élèves (chiffres que maints historiens jugent toute- fois exagéré). Sous l’influence directe de Sturm ou non, de nombreux collèges s’inspirèrent plus ou moins de son programme: Lauingen (Bavière), Heidelberg, Augsburg, Memmingen, Lausanne, Genève, Nimes, Hornbach (Palatinat), Thorun (Pologne), etc. L’influence du rhéteur Sturm ne le céda en rien à celle du pédagogue (cf. Fumaroli, op. cit.).

Manuscrits, correspondance : la correspondance de Sturm a été partiellement copiée par Ch. Schmidt © (mss 2881-2883 de la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg), et complétée par J. Rott ; voir aussi Politische Correspondenz der Stadt Strassburg im Zeitalter der Reformation, t. Il-lll, bearb. v. O. Winckelmann, Strasbourg, 1887-1898, + t. IV-V, bearb. v. H. Gerber u. W. Friedensburg, Heidelberg, 1928-1933.

Éditions : voir J. Rott, « Bibliographie des œuvres imprimées du recteur strasbourgeois Jean Sturm », Actes du 95e Congrès national des sociétés savantes (Reims, 1970). Section de philologie et d’histoire jusqu’en 1610,1.1, Paris, Bibliothèque nationale, 1975, p. 319-404 ; Jean Sturm, Epistolae classicae sive Scholae Argentinenses restitutae, trad. et publ. avec un commentaire et des notes par J. Rott, Paris-Strasbourg, 1938.

Articles de dictionnaires et d’encyclopédies : Ant. Meyer, Biographies alsaciennes avec portraits de photographie, I, n° 44, p. 242 ; Sitzmann, Dictionnaire de biographie des hommes célèbres de l’Alsace, Rixheim, t. 2, 1910, p. 847-849 ; Bopp, Die evangelischen Geistlichen in Elsass-Lothringen, 1959, n° 5161, p. 540 ; Encyclopédie de l’Alsace, XII, p. 7170 et s.

Études : Ch. Schmidt, La vie et les travaux de Jean Sturm, premier recteur du Gymnase et de l’Académie de Strasbourg, Strasbourg, Paris et Leipzig, 1855 (reprint Nieuwkoop, De Graaf, 1970) ; W. Sohm, Die Schule Johann Sturms und die Kirche Straßburgs, Munich-Berlin, Oldenburg, 1912 ; C. Vasoli, « Richerche sulle Dialettiche del Cinquecento. III. Sturm, Melantone e il Problema del Metodo », Rivista critica di Storia della Filosofia 21,1966, p. 123-177 ; W. Melczer, « La pensée éducative de Jean Sturm dans les Classicae epistolae », J. Boisset (éd.), La Réforme et l’éducation, Toulouse, 1974, p. 125-141 ; J. Rott, « Le recteur strasbourgeois Jean Sturm et les protestants français », in Actes du colloque L’amiral Coligny et son temps (Paris, 1972), Paris, 1974, p. 407-425 ; R. Faerber, « La pensée religieuse de Jean Sturm », in Strasbourg au cœur religieux du XVIe siècle, éd. G. Livet et F. Rapp, Strasbourg, 1977, p. 189-196 ; A. Schindling, Humanistische Hochschule und freie Reichsstadt. Gymnasium und Akademie in Straßburg 1538-1621, Wiesbaden, 1977 ; Th. A. Brady (Jr), Ruling Class, Régime and Reformation at Strasbourg 1520-1555, Leiden, 1978, notamment p. 184-195 ; M. D. Nikolaou, Sprache als Welterschliessung und Sprache als Norm. Überiegungen zu R. Agricola und J. Sturm, Neuwied, 1984 ; A. Schindling, « L’école latine et l’Académie de 1538 à 1621 », in G. Livet, P. Schang (éd.), Histoire du Gymnase Jean Sturm : berceau de l’Université de Strasbourg 1538-1988, Strasbourg, 1988, p. 19-158 ; Th. Vetter, « Jean Sturm. Rencontre avec le médecin, la maladie et les médecins », Annuaire de la Société des Amis du Vieux-Strasbourg, 19, 1989, p.61-83 ; O. Millet, Calvin et la dynamique de la parole. Essai de rhétorique réformée, Paris, 1992, notamment p. 117-121, 694-700 ; R. Faerber, « Bucer et Jean Sturm », C. Krieger, M. Lienhard (éd.), Martin Bucer und Sixteenth Century Europe, Leiden, 1993, t. I, p. 329-341 ; L. Bussière, « Sturm 1507-1589 », id., Les pédagogues protestants, t. II : Luther, Sturm, Calvin, Guebwiller, 1994, p. 39-77 ; L. W. Spitz, Barbara Sher Tinsley, The Reformation and Humanist Learning. Johann Sturm on Education, Saint-Louis (Missouri), 1995 (présentation et traduction d’écrits de Sturm sur l’éducation, précédés par une brève biographie, p. 19-44, et suivis par une analyse de la réception de l’œuvre de Sturm dans les travaux contemporains, p. 341-363) ; M. Fumaroli (dir.), Histoire de la rhétorique dans l’Europe moderne 1450-1950, Paris, 1999, notamment p. 101-106 (C. Vasoli, « L’humanisme rhétorique en Italie au XVe siècle », p. 46-129), 346 et s, (M. Magnien, « D’une mort, l’autre (1536-1572) : la rhétorique reconsidérée », p. 341-409). Rôle social de Jean Sturm : « Strasbourg, cité refuge » 350e anniversaire des Traités de Westphalie, par J.-P. Kintz et G. Livet, Presses universitaires de Strasbourg, 1999, p.482 et 509 n. 39.

Matthieu Arnold (2000)