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SCHWEITZER Albert Louis

Théologien, musicien, médecin, philosophe, prix Nobel (★ Kaysersberg 14.1.1875 † Lambaréné, Gabon, 4.9.1965). Fils de Louis Théophile Schweitzer, pasteur, et d’Adèle Schillinger. ∞ 15.6.1912 à Strasbourg Marianne Hélène Bresslau († 1957), fille de Harry Bresslau, professeur d’histoire médiévale à l’Université de Strasbourg, et de Karoline Isay. Quelques semaines après la naissance d’Albert, Louis Schweitzer devint pasteur à Gunsbach. Schweitzer considéra ce village comme son pays où il passa, avec un frère et trois sœurs, une jeunesse heureuse. Études secondaires au Gymnase de Mulhouse, Abitur en 1893, en même temps, étude de l’orgue chez Eugène Munch © et initiation à l’œuvre de Bach. Après l’Abitur, séjour à Paris chez son oncle Auguste Schweitzer dont la femme Mathilde paya ses premières leçons chez l’organiste Ch.-M. Widor ©; ce contact fut décisif pour l’évolution musicale de Schweitzer qui garda une reconnaissance durable à sa tante. Étudiant en théologie à Strasbourg (1893-1898) et en même temps de philosophie. Comme organiste des concerts Bach donnés par Ernest Münch © et le Chœur de Saint-Guillaume, Schweitzer s’initia à l’exécution des passions et cantates de Bach. Il termina les études universitaires par un séjour à Paris, puis à Berlin, et par une thèse sur la philosophie religieuse de Kant (1899). En 1902, il publia sa thèse d’habilitation comme Privat-Dozent à la faculté de Théologie (Das Messianitäts- und Leidensgeheimnis); il fut en même temps vicaire à Saint-Nicolas à Strasbourg. Sur la demande de Widor, il écrivit à l’intention des organistes et des amateurs de musique français: J. S. Bach, le musicien-poète (1905), ouvrage dans lequel il analysa le langage musical du Kantor. Par son ami Fritz Haas, il fut introduit dans un groupe de jeunes gens et de jeunes filles disciples du protestantisme social de Friedrich Naumann (Der Radel-Club), dont firent partie Elly Knapp © et Helene Bresslau; grâce au concours de celle-ci, il affina sa maîtrise de la langue allemande. À l’âge de 30 ans, Schweitzer pouvait envisager une brillante carrière universitaire. En octobre de la même année, il surprit parents et amis par sa décision d’aller comme médecin-missionnaire au Gabon. La genèse de cette décision et les rapports avec la Société des Missions de Paris sont plus compliqués que la relation simplifiée que Schweitzer en donne dans son autobiographie. À l’âge de 21 ans, il avait résolu « de vivre pour la science et l’art jusqu’à [sa] trentième année et de [se] consacrer ensuite à un service purement humain ». En automne 1904, la lecture de l’article d’Alfred Boegner ©, « Les besoins de la Mission du Congo » dans le Journal des Missions, décida de sa vocation. Pourtant, la décision ne fut pas aussi immédiate qu’il l’a écrit. Dans ses lettres à Hélène Bresslau, on suit ses hésitations et ses résistances: « Je ne puis entendre le mot Congo sans trembler ». Peu à peu il se convainquit qu’il s’agissait là d’un ordre direct de Jésus auquel il fallait obéir: « J’y vais [au Congo] pour être avec Jésus. Qu’il fasse de moi comme il voudra, je le trouverai, je le sais ». La décision finale fut prise au printemps 1905. On saisit ici le côté mystique du caractère de Schweitzer Cette mystique se révèle aussi dans la conclusion souvent citée de la Geschichte der Leben-Jesu-Forschung (1905). Dans une longue lettre du 9 juillet 1905 à Boegner, directeur de la Mission de Paris, Schweitzer offrit ses services comme missionnaire, non comme médecin. La Mission refusa cette offre, elle ne voulait pas d’un théologien libéral. En octobre, Schweitzer décida de se faire médecin pour aller au Congo malgré l’opposition de la Mission. Cette décision ne fut donc ni spontanée, ni à l’origine de sa vocation. Le refus de la Mission poussa Schweitzer dans une nouvelle carrière. De 1905 à 1912, Schweitzer fut à la fois étudiant en médecine, professeur, prédicateur, organiste, écrivain; il a décrit cette période comme une lutte de tous les jours contre la fatigue. En même temps, il s’enracina dans la vie intellectuelle allemande. Désormais il se servait uniquement de l’allemand comme l’instrument le plus approprié pour exprimer sa pensée. En 1906 parut la première version de la Geschichte der Leben-Jesu-Forschung ; en 1908, la version définitive du Bach en allemand ; en 1911, Die Geschichte der paulinischen Forschung. Pendant les études médicales, Schweitzer, curieusement, ne s’était pas enquis si la Mission de Paris allait l’accepter comme médecin. Lorsqu’en 1911 il proposa de nouveau ses services, ce fut l’année de la deuxième crise marocaine, la France et l’Allemagne s’étaient trouvées au bord de la guerre. Le comité de la Mission, où dominait l’esprit du «réveil» ne voulut ni du théologien libéral, ni du citoyen allemand. On proposa à Schweitzer de se faire naturaliser français, il refusa et, ayant « trop d’obligations envers l’Allemagne ». Il disposait à Paris d’appuis officiels influents qui lui permirent de lever les obstacles politiques et administratifs. Sa quête de fonds rencontra parmi les professeurs allemands de l’Université de Strasbourg un accueil qui dépassa ses espoirs : au printemps 1912, il put proposer à Bianquis, successeur de Boegner comme directeur de la Mission, de créer au Gabon une œuvre médicale complètement indépendante, à condition que celle-ci lui accordât l’hospitalité sur sa station de Lambaréné-Andende. Néanmoins, les pourparlers faillirent se rompre en mai 1912, mais l’habileté de Bianquis imposa finalement la solution proposée par Schweitzer. Ces dernières et pénibles négociations avaient affecté gravement sa santé jusqu’à l’automne. On doit se demander pourquoi Schweitzer s’est imposé presque de force à un comité qui ne voulait pas de lui, tandis que l’Allgemeiner protestantischer Missionsverein allemand l’aurait accepté les bras ouverts. L’explication la plus plausible est que Schweitzer a ressenti l’appel de 1905 comme un ordre de servir son maître Jésus au Gabon et nulle part ailleurs. Schweitzer et sa femme arrivèrent à Lambaréné en avril 1913. La collaboration de sa femme était indispensable pour l’activité médicale. Le séjour était prévu pour deux ans, la guerre les obligea à rester quatre ans et demi sous l’équateur. Ramenés en France comme internés civils, les Schweitzer se retrouvèrent aux camps de Garaison et de Saint-Rémy de Provence, Vaucluse, et finalement rapatriés en Alsace en juillet 1918. Ce long séjour au Gabon et dans les camps ruina la santé d’Hélène Schweitzer ; atteinte de tuberculose, elle passa des années dans des sanatoria. Toute participation active à l’œuvre de son mari lui étant désormais interdite, elle dut se résigner à un rôle effacé. La défaite allemande de novembre 1918 fut aussi une catastrophe pour Schweitzer. Sa santé était compromise, il était sans ressources et fortement endetté envers la Mission. Une partie de sa famille, de nombreux amis étaient expulsés d’Alsace ou partaient de leur gré. De plus, il était surveillé par la police comme suspect d’autonomisme. Redevenu vicaire à Saint-Nicolas, le retour au Gabon paraissait impossible. L’invitation de l’archevêque luthérien de Suède, Söderblom, le tira de cette misère ; il put exposer en public ses idées sur les rapports entre l’éthique et la civilisation, il rétablit sa santé et sa situation financière par des conférences et des concerts. De 1921 à 1924, Schweitzer publia: À l’orée de la forêt vierge, Les religions mondiales et le christianisme, Souvenirs d’enfance et de jeunesse, et les deux volumes de la Kulturphilosophie. En avril 1924, il put repartir à Lambaréné, sans sa femme, accompagné par l’étudiant anglais Noël Gillespie. Il concevait toujours son œuvre comme une entreprise internationale ; ayant été réintégré dans la nationalité française par le traité de Versailles, il n’avait pas l’intention de s’établir définitivement dans une colonie française, mais de créer un autre hôpital dans une colonie sous mandat britannique. Mais d’abord il fallait relever Lambaréné de ses ruines. Les circonstances obligèrent Schweitzer à rester à Lambaréné qui devint une œuvre internationale par l’origine de ses collaborateurs et celle de ses ressources. Il caressa néanmoins le plan d’un autre hôpital sous une autre souveraineté jusqu’en 1930. L’emplacement réservé à l’hôpital sur le terrain de la Mission était devenu trop petit devant l’afflux des malades, Schweitzer construisit un nouvel hôpital, sur un terrain à lui, environ 3 km en amont sur la rive de l’Ogooué. Désormais la construction absorba une bonne partie de son temps, tandis qu’il abandonnait une partie de son travail médical à ses assistants. À sa mort, l’hôpital comprenait une cinquantaine de bâtiments divers, presque tous en bois. Il avait conçu son hôpital comme un village indigène, le malade devait s’y sentir à l’aise, il était toujours accompagné de membres de sa famille, qui s’occupaient de sa nourriture et des petits soins. Cette méthode permit à Schweitzer de soigner jusqu’à 350 malades avec un personnel européen d’une douzaine de personnes: deux à trois médecins, une dizaine d’infirmières et d’aides. Jusque vers 1939, le bénévolat était la règle, Mathilde Kottmann et Emma Haussknecht, plus tard Ali Silver ont consacré toute leur vie à l’œuvre de Schweitzer. De 1927 à 1939, séjours en Afrique et séjours en Europe alternèrent régulièrement. Ces derniers étaient consacrés à collecter, par des conférences et des concerts dans la plupart des pays européens, les fonds nécessaires pour la construction et l’entretien de l’hôpital qui ne recevait aucune subvention publique. En même temps, il poursuivait, surtout de nuit, les travaux littéraires: La mystique de l’apôtre Paul (1930), Les grands penseurs de l’Inde (1934), ce dernier ouvrage étant un morceau détaché du troisième volume de la philosophie de la civilisation que Schweitzer n’est jamais arrivé à achever. L’autobiographie: Ma vie et ma pensée (1931) est le seul ouvrage écrit à Lambaréné. En 1928, la ville de Francfort lui décerna le prix Goethe ; en 1932, il y prononça le discours commémoratif de la mort du poète. Il donna des conférences philosophiques en Angleterre (Hibbert Lectures, Gifford Lectures), ainsi il fut connu dans le monde germanophone et anglophone. La Deuxième Guerre mondiale et ses séquelles retinrent Schweitzer pendant 10 ans (1939-1949) à Lambaréné, où sa femme l’avait rejoint en 1941 grâce aux envois d’Amérique arrivés à partir de 1942 ; elle y avait fait connaître son œuvre au cours d’un séjour aux USA (1938-1939). En 1949, Schweitzer prononça un discours aux fêtes du deuxième centenaire de la naissance de Goethe à Aspen (USA) et reprit l’édition des œuvres pour orgue de Bach qu’il avait com- mencée avec Ch.-M. Widor en 1912 ; elle fut achevée en 1967 grâce à la collaboration d’Ed. Nies-Berger ©. Schweitzer était maintenant connu mondialement, ses œuvres furent traduites dans toutes les grandes langues et dans beaucoup d’autres. En 1951, il reçut à Francfort le prix de la Paix des libraires allemands et, la même année, il fut élu à l’Académie des sciences morales et politiques à la place du maréchal Pétain ; en 1953, il reçut le prix Nobel de la Paix. À partir de 1945, Schweitzer consacra ses forces et son autorité à mettre les peuples en garde contre le danger de la guerre atomique. Ce fut le sujet de son discours d’Oslo en 1954 (remise du prix Nobel) et des appels de 1958 réunis dans Paix ou guerre atomique. Il renonça à achever le troisième volume de sa philosophie de la civilisation dont restent seulement des fragments et des esquisses. Pendant la guerre, il avait rédigé Reich Gottes und Christentum publié après sa mort. Ses premiers collaborateurs étaient presque tous morts : Emma Haussknecht en 1956 ; sa femme en 1957. En 1959, Schweitzer fit ses adieux définitifs à l’Europe, il déposa des fleurs sur les tombes de D. F. Strauss et de F. C. Baur. Pour son 90e anniversaire, il reçut des messages du monde entier et mourut à Lambaréné après une courte maladie.

Comme théologien, Schweitzer se considérait comme le dernier représentant de « la grande école de Tübingen». Il défendait la thèse de l’eschatologie conséquente : Jésus a partagé la croyance du judaïsme tardif dans la venue imminente du Royaume de Dieu, son message doit être interprété en fonction de cette attente. Il fit admettre cette thèse par la majorité des théologiens, même s’ils n’en tirèrent pas tous les mêmes conséquences. En même temps, Schweitzer fut un mystique qui vénérait en Jésus le maître auquel il faut obéir ; toute sa vie en porte témoignage. Comme musicien, il découvrit le «langage musical» de Bach et préconisa une manière de la jouer qui faisait ressortir l’architecture du morceau par le phrasé. Pour lui, l’orgue idéal était celui de Silbermann © modernisé par Cavaillé-Coll. Ses enregistrements, malheureusement, ne satisfont plus les standards actuels. Comme philosophe, Schweitzer était un moraliste. Il rechercha le fondement rationnel d’une éthique universelle englobant les animaux et même les plantes. Il crut l’avoir trouvé dans le principe du Respect de la vie (Ehrfurcht vor dem Leben). Son éthique était individualiste et aboutit à une mystique. Schweitzer fut un précurseur du mouvement écologiste. Par son action philanthropique à Lambaréné, il fut aussi un précurseur de l’aide au Tiers Monde, même s’il formula les obligations des nations avancées non dans un langage économique, mais dans celui du début du siècle teinté de religion. Par son action, Lambaréné est devenu « un haut lieu de l’humanité ».

Outre les titres cités dans le texte, on peut mentionner encore : Die strassburger Sängerhaus-Orgel, Strasbourg, 1909; Mitteilungen… aus Lambaréné (Ogowe-Gabun, Afrika), I et II, Strasbourg, 1913 et 1914 ; Goethe…, Munich, 1932 ; Kultur und Ethik, Verfall und Wiederaufbau der Kultur, Munich, 1960.

M. Woytt-Secretan, A. Schweitzer, un médecin dans la forêt vierge, Strasbourg, 1947 ; G. Seaver, A. Schweitzer als Mensch und Denker, Göttingen, 1953 ; J, Feschotte, Albert Schweitzer, Paris, 1955 ; R. Brodmann, « La vérité sur Lambaréné », Saisons d’Alsace, n° 14, 1965, p. 120- 158 (portraits) ; A. Fischer, « Un ami nous a quittés, A. Schweitzer », Saisons d’Alsace, n° 15, 1965, p. 391 ; R. Minder, « A. Schweitzer, humaniste alsacien et citoyen du monde », Saisons d’Alsace, n° 18, 1966, p. 141-164 (portraits) ; H. Babel, La pensée d’A. Schweitzer. Sa signification par la théologie et la philosophie contemporaines, Neufchâtel, s. d. ; R. Minder (éd.), Rayonnement d’A. Schweitzer (34 études et 100 témoignages), Colmar, 1975 ; Encyclopédie de l’Alsace, XI, 1985, p. 6784-6785.

† Gustave Woytt (1999)