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OBERLIN Jean Frédéric (Fritz)

Pasteur, pédagogue, philanthrope, (Pl) (★ Strasbourg 31.8.1740 † Waldersbach 1.6.1826). Fils de Jean Georges Oberlin, précepteur au Gymnase protestant de Strasbourg, et de Marie Madeleine Feltz, fille du professeur de droit Jean Henri Feltz © et de Salomé Kraut. ∞ 6.7.1768 à Strasbourg Marie Salomé Witter (★ Strasbourg 18.12.1747 † Waldersbach 18.1.1783), sa petite-cousine et la sœur d’Eberhardine Witter, épouse de son frère Jérémie-Jacques Oberlin ©. Immatriculé en 1756 à l’Université de Strasbourg, Oberlin devint bachelier en 1758. En 1762, il présenta un mémoire d’histoire et devint maître en philosophie en 1763. En 1765, il prononça ses premiers sermons en public, puis soutint sa thèse de théologie en juin 1767. Durant ces longues études, il eut l’occasion de suivre des cours de langues et d’histoire, mais aussi de mathématiques, physique, astronomie, géographie et histoire naturelle. Cette variété de matières explique en partie l’étendue encyclopédique de ses connaissances et l’éclectisme de sa curiosité. Les deux dernières matières restèrent d’ailleurs toujours pour lui des sujets privilégiés d’étude et d’enseignement. Les contacts d’Oberlin avec le milieu piétiste, qui eut une influence déterminante sur ses idées et son activité, en particulier dans le domaine de la pédagogie, furent établis dès son enfance: un de ses parrains était Franz Christian Lembke, précepteur au Gymnase et prédicateur à Saint-Pierre-le-Vieux de 1735 à 1745, avant d’être destitué à cause de ses références à Zinzendorf, fondateur des Frères moraves. Plus tard, la mère d’Oberlin incita son fils à aller écouter les sermons de Sigismond Frédéric Lorenz ©, qui le bouleversèrent et le gagnèrent aux idéaux piétistes. S’il conserva toute sa vie ses sympathies pour cette doctrine, entrant même en contact épistolaire avec la communauté des Frères moraves de Herrnhut à partir de 1804, il resta néanmoins toujours fidèle à l’orthodoxie luthérienne, qui lui avait été enseignée pendant ses études de théologie. Pour financer ses études, Oberlin fut, de 1762 à 1765, précepteur des enfants du chirurgien Daniel Gottlieb Ziegenhagen, auprès duquel il acquit des notions de médecine. Attiré par la vie militaire, il renonça néanmoins à un poste d’aumônier du régiment Royal-Alsace et accepta de succéder à Jean Georges Stuber © (beau-frère de S.F. Lorenz et lui aussi piétiste convaincu), qui devait alors quitter son poste de pasteur de Waldersbach, au Ban de la Roche. Le 1er avril 1767, Oberlin prit ainsi la responsabilité de cette paroisse, qui comprenait les communes de Fouday, Belmont, Bellefosse, Solbach et Waldersbach. Il en resta le pasteur jusqu’à sa mort, un projet de départ pour l’Amérique du Nord en 1774 ayant échoué à cause de la guerre d’indépendance des colonies anglaises. Situé en zone montagneuse, entre le Champ du Feu et la vallée de la Bruche, le comté du Ban de la Roche était alors une contrée déshéritée cumulant les inconvénients d’un relief prononcé, d’un climat pluvieux et d’un sol peu fertile. Il présentait en outre la particularité d’être une enclave de confession luthérienne dans une zone de parler (patois) roman. Oberlin parvint cependant à mener avec sa communauté paroissiale une expérience sociale remarquable, qui eut un retentissement international et fit du presbytère de Waldersbach, perdu dans les Vosges, un haut-lieu pour les philanthropes de tous horizons. Oberlin a peu voyagé: ses seuls déplacements hors d’Alsace furent une excursion à Emmendingen (pays de Bade) en 1778 pour y rencontrer Schlosser, beau-frère de Goethe qui tenait un institut d’éducation, une autre deux ans plus tard où il rencontra aussi Pfeffel © à Colmar et le pasteur Sander à Köndringen. Il alla aussi rendre visite en 1785 à l’abbé Grégoire, alors curé d’Emberménil en Lorraine. Souvent, Oberlin demandait à ses hôtes de passage de se prêter à la réalisation de leur portrait en silhouette, divertissement fort en vogue à l’époque. Il rassembla et constitua ainsi une sorte de «livre d’or des visiteurs», qui montre bien l’étendue de sa notoriété. Parallèlement, il constitua une véritable collection des silhouettes de ses paroissiens et des membres de sa famille. Après avoir lu les Fragments physiognomoniques de Johann Caspar Lavater (1778) qui l’impressionnèrent beaucoup, il s’inspira de ces théories pour tenter de définir les caractères en analysant les traits du visage. L’interprétation des pierres de couleur et l’étude de la phrénologie de Gall s’inscrivirent dans le même souci qu’avait Oberlin de mieux connaître les hommes pour mieux les aider. S’appuyant sur l’œuvre accomplie par son prédécesseur J.G. Stuber, Oberlin se préoccupa dès le début de son ministère de développer l’instruction, premier facteur de progrès social. La lecture des œuvres du pédagogue tchèque Comenius, de L’Émile de J.-J.Rousseau, les contacts avec l’institution pédagogique du Philanthropinum, fondée en 1774 à Dessau par Basedow, eurent incontestablement une grande influence sur lui. Toutefois, Oberlin fut un novateur en matière d’éducation de la petite enfance. L’initiative qu’avait prise une jeune fille de Belmont, Sarah Banzet, de réunir des enfants et de leur enseigner le tricot appris auprès de Mme Stuber, donna au pasteur l’idée d’employer des jeunes filles pour occuper les enfants trop petits pour être scolarisés. Appelées «conductrices de la tendre enfance», elles réunissaient les petits dans des locaux aménagés à cet effet, les «poêles à tricoter». Elles leur apprenaient à parler français plutôt que patois, à chanter des cantiques, à identifier les animaux et les plantes, à connaître la Bible. C’est à juste titre que l’on considère aujourd’hui ces établissements comme les précurseurs des écoles maternelles. Louise Scheppler © qui avait aidé, puis remplacé après sa mort Salomé Oberlin dans son rôle de maîtresse de maison, devint aussi, à partir de 1779, une de ces conductrices. Puis Oberlin lui confia la mission de passer de village en village pour conseiller ses collègues et coordonner leurs activités, faisant d’elle une sorte d’inspecteur pédagogique avant la lettre. Oberlin s’attacha aussi à organiser pour les élèves un enseignement de qualité, assuré par des maîtres bien formés, dans de vrais bâtiments d’école qu’il réussit à faire construire dans chaque village de sa paroisse. Les adultes ne furent pas oubliés, pour qui le pasteur agrandit à 500 volumes la bibliothèque de prêt créée par Stuber, la plus ancienne bibliothèque populaire connue. Pour accroître ses revenus, Oberlin accueillit aussi des pensionnaires, souvent issus d’excellentes familles alsaciennes ou allemandes, venus au Ban de la Roche pour y perfectionner leur français. Un hôte très particulier fut le poète allemand Jacob Lenz ©, ami de Goethe, conduit en 1778 à Waldersbach par des amis qui espéraient que le pasteur pourrait l’aider à guérir d’une profonde dépression. Toute la maisonnée ayant à souffrir des accès de désespoir du jeune homme, celui-ci fut renvoyé à Strasbourg d’où il repartit l’année suivante pour les pays baltes. Un rapport qu’Oberlin avait rédigé sur le séjour du poète à Waldersbach inspira à l’écrivain allemand Georg Büchner (1813-1837) la nouvelle Lenz (écrite en 1835) où l’on reconnaît par endroits textuellement le récit du pasteur.
L’éducation ne fut pas le seul domaine où s’exerça l’infatigable action d’Oberlin: pour améliorer les maigres ressources des habitants, il s’employa à leur faire appliquer les théories nouvelles des physiocrates, tel Duhamel du Monceau dont il acquit les ouvrages pour la bibliothèque de prêt. Création de prairies artificielles, utilisation rationnelle du fumier, culture de tubercules et racines, plantations et greffes d’arbres, toutes ces nouveautés prônées par les agronomes de l’époque furent encouragées aussi au sein d’une société locale d’agriculture créée par Oberlin en 1778. L’artisanat, qui pouvait procurer des ressources complémentaires, fut développé, en particulier le tournage sur bois et le tressage de la paille. Oberlin s’employa aussi à faire venir des industries, génératrices d’emplois. Après Jean Georges Reber, industriel de Sainte-Marie-aux-Mines, qui avait confié du filage à domicile à des habitants du Ban de la Roche, le suisse Jean Luc Legrand © transféra en 1813 sa fabrique de rubans de soie à Fouday, ce qui donna du travail à 200 personnes. Pour procurer une aide financière à ceux qui voulaient essayer de sortir de la précarité, Oberlin créa en 1782 une caisse d’emprunt. Pour désenclaver la contrée, il entreprit d’améliorer les voies de communication en faisant réparer le pont de Rothau et aménager des chemins. Profondément affecté par la mort de sa femme, décédée en 1783 des suites de son neuvième accouchement, Oberlin rapporta dans son journal qu’il entrait en contact avec elle lors de fréquentes visions, qui s’espacèrent cependant au fil des années. La lecture des ouvrages du Suédois Swedenborg (1688-1772), homme de science, puis visionnaire, et des publications de la mystique anglaise Jeanne Leade (1623-1704) furent à l’origine de ses recherches sur l’autre monde, il fit imprimer la Demeure des trépassés, un des multiples schémas où il résumait ses conceptions des différentes étapes de la «vie» après la mort et de leur relation avec la vie terrestre. C’est la coexistence de cet aspect mystique (peu apprécié de sa hiérarchie et d’ailleurs occulté par certains biographes) avec un esprit très pragmatique qui fit l’originalité de la personnalité d’Oberlin. Celui-ci ne pouvait qu’accueillir favorablement les idéaux de fraternité et d’égalité de la Révolution française. Durant la Terreur, il lui fut néanmoins défendu d’enseigner, puis d’exercer sa fonction ministérielle. Pour contourner cette interdiction, il créa un club des Jacobins, qui se réunissait dans l’église et où il put prendre librement la parole pour faire passer son message. Emprisonné fin juillet 1794 à Sélestat avec son collègue de Rothau, il fut libéré trois jours plus tard à la suite de la chute de Robespierre. Peu de temps après, l’action éducative de Stuber et d’Oberlin fit l’objet d’une mention élogieuse lors d’une séance de la Convention du 20 Fructidor an II (2 septembre 1794). Après cette époque très troublée, les visites se multiplièrent à Waldersbach, devenu une sorte de modèle de société: l’abbé Grégoire, Jung-Stilling (dont Oberlin était un lecteur assidu), le préfet Lezay-Marnésia ©, Mme de Krudener ©, amie du tsar, sa fille Octavie, épouse de François Charles de Berckheim, ancien pensionnaire d’Oberlin entré au service de l’empereur de Russie, et qui fit bénéficier le pasteur d’un sauf-conduit signé par le tsar le protégeant lui et sa maison durant l’invasion des Alliés en 1815. C’est aussi la période où Oberlin s’investit beaucoup dans la diffusion de la Bible, entrant en contact avec la Société biblique de Londres, puis avec celle de Paris et soutenant la création de celle de Strasbourg, soutenant également la Société des Missions de Bâle et Paris. La grande disette de 1817, les atteintes de l’âge et la mort de son fils Henri Gottfried © qui fut aussi son aide et son vicaire, marquèrent le début du ralentissement de l’activité du pasteur qui fut secondé par ses gendres Josué Graf, puis Philippe Rauscher. Mais il était devenu un homme célèbre, et on lui rendit divers honneurs: en 1818 la Société royale et centrale d’agriculture lui décerna sa grande médaille d’or, l’année suivante le roi Louis XVIII le nomma chevalier de la Légion d’honneur. Ses funérailles eurent lieu le 5 juin 1826 en présence d’une assistance considérable. Sa tombe se trouve au cimetière de Fouday, entourée de celle de plusieurs de ses proches: son fils Henri Gottfried, J.-F Legrand, Louise Scheppler. Oberlin était resté durant 59 ans pasteur de Waldersbach. Son gendre Rauscher, son petit-fils Witz, puis son arrière-petit-fils Werner lui succédèrent au presbytère aujourd’hui devenu Musée Oberlin. À travers le monde, de nombreuses institutions éducatives portent le nom d’Oberlin, la plus connue étant «Oberlin College» la première université des États-Unis à admettre des Noirs.
Exceptée sa thèse soutenue le 12 juin 1767, intitulée: De commodis et incommodis studii theologici brevis disquisitio et imprimée à Strasbourg par J. Lorenz, Oberlin n’a jamais rien publié. Il a cependant laissé un important fonds de manuscrits: lettres, sermons, journal et surtout notes sur les sujets les plus divers, qui se trouve aux Archives municipales de Strasbourg (Inventaire Série 15 NA, de J.-Y.Mariotte, 1993). Les documents concernant plus directement la paroisse sont conservés au Musée Oberlin de Waldersbach (entre autres les Annales et le Livre des bourgeois). Les nombreux objets qu’il a lui-même collectés ou confectionnés et qui témoignent de son action sont répartis entre le Musée alsacien de Strasbourg et le Musée Oberlin de Waldersbach où ils doivent être réunis au terme d’une restructuration en projet.
Le nombre de publications sur Oberlin et son œuvre est si important qu’il n’en existe aucune bibliographie exhaustive. La plus détaillée à ce jour est parue dans H. Gutfeldt, Johann Friedrich Oberlin, eine wissenschaftliche Untersuchung seiner Gedankenwelt, seiner Pädagogik und seines Einflusses auf die Welt, s.d. (Diss. Vienne 1968). Toutefois, les erreurs retransmises par la littérature hagiographique (Sitzmann, Dictionnaire de biographie des hommes célèbres de l’Alsace, Rixheim, t.2, 1910, p.382) sont si fréquentes qu’il convient de se référer soit aux toutes premières publications (où s’en trouvent d’ailleurs aussi) parues après la mort du pasteur, soit aux travaux parus ces 15 dernières années, dont les auteurs ont généralement consulté les sources manuscrites: S. Atkins, Memoirs of John Frederic Oberlin, Londres, 1829; D. E. Stoeber, Vie de J.-F. Oberlin, Strasbourg, 1831; C. Leenhardt, La vie de J.-F. Oberlin, Paris, 1911; E. Psczolla, Jean-Frederic Oberlin, trad. française, Strasbourg, 1985 (édition allemande: Gütersloh, 1979); M. Schneider, M. J. Greyer (dir.), Jean-Frédéric Oberlin. Le divin ordre du monde, catalogue d’exposition, Musées de Strasbourg, Mulhouse, 1991. Voir plus particulièrement les contributions de R. Peter et de B. Keller et leurs articles cités dans la bibliographie de l’ouvrage; D. Leypold, S. Hisler, P. Moll, E. Berhaud: Jean-Frédéric Oberlin au Ban de la Roche,Waldersbach, 1991. Ces deux derniers ouvrages présentent aussi l’essentiel des collections de J.-F. Oberlin, conservées au Musée alsacien et au Musée Oberlin; R. Kobloth, «J.-F. Oberlin: chevalier de la Légion d’honneur», L’Essor, n°166, 1995, p.14-16. Des travaux universitaires récents sont à signaler: la thèse de doctorat ès sciences de l’éducation soutenue par L. Chalmel à l’Université de Rouen en 1993: «La petite école dans l’école». L’origine piétiste-morave de l’école maternelle française et la maîtrise en théologie protestante de R.Koeniguer, L’état moral du Ban de la Floche, soutenue à Strasbourg en 1993; F. Gangloff, Vie et mortalité au ban de la Roche au temps du pasteur Jean Frédéric Oberlin 1767-1826, Topographie médicale «Livre des bourgeois», «Annales», Registres paroissiaux, thèse de doctorat en médecine, Strasbourg, 1995, multigr.; F. Perrier-Gangloff, «Vie et mortalité au Ban de la Roche au temps du pasteur Jean Frédéric Oberlin (1767-1826), Topographie médicale, livre des bourgeois, annales, registres paroissiaux, Positions de thèse», Revue d’Alsace, n°122, 1996, p.439-441; En ce qui concerne le séjour de Lenz chez Oberlin: H. D. Weber: Georg Büchner «Lenz» und Oberlins Aufzeichnungen in Gegenüberstellung, Stuttgart,1980, ainsi que le catalogue de l’exposition Georg Büchner, Darmstadt, 1987. Un index des ouvrages sur Oberlin est en préparation sous la direction du professeur B. Keller (Centre d’études et de pratique pédagogiques de la faculté de Théologie protestante de Strasbourg).
Portraits: dans la Revue alsacienne illustrée, 12, 1910, p.84, figure une liste de portraits d’Oberlin. Toutefois, les 16 œuvres mentionnées peuvent être réduites à quatre, les autres n’en étant que des reproductions ou des copies. Deux d’entre elles portent la mention «dessinée d’après nature» . Il s’agit de la gravure de Ch. L. Schuler datée de 1803 où Oberlin est représenté de profil vers la droite et celle de J.B. Beyer datée de 1825 où il est vu de face et porte la croix de la Légion d’honneur. Enfin, la gravure coloriée signée J. Gottfroid Gerhard pourrait s’inspirer de celle de Schuler (toutes au Musée Alsacien). Il existe quelques silhouettes d’Oberlin, l’une de 1800, une autre de 1805, annotée «Qui? Moi?». Un exemplaire de celle de 1800 a été placée en tête d’un ensemble représentant les profils juxtaposés de différents membres de la famille et dont il existe plusieurs variantes (Musée Alsacien, Musée Oberlin, Archives municipales de Strasbourg). Le sculpteur Ohmacht © était allé chez le pasteur en 1820 pour en faire le portrait, qui servit plus tard à exécuter le médaillon en marbre ornant le monument funéraire placé dans l’église de Waldersbach en 1827 et figurant le demi-buste d’Oberlin tourné vers la gauche. Cette version, qui pourrait d’ailleurs avoir inspiré la lithographie de Simon, a donné lieu à une importante production de médaillons, dont certains exemplaires en plâtre étant distribués aux souscripteurs du monument, une autre variante étant éditée en bronze par l’orfèvre Kirstein ©. Un buste en marbre, signé du sculpteur Laurent en 1824 nous présente un Oberlin assez massif, assez différent de celui qui est représenté sur les gravures et assez peu crédible.

Malou Schneider (1996)