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LOUIS XIV

Roi de France et de Navarre, (C) (★ Saint-Germain-en-Laye, Yvelines, 16.9.1638 † Versailles, 1.9.1715).

Surnommé Dieudonné à sa naissance ; fils du roi Louis XIII (1601-1643) et d’Anne d’Autriche (1601-1666). ∞ I 9.6.1660 à Saint-Jean-de-Luz, Pyrénées-Atlantiques, Marie-Thérèse d’Autriche (★ Madrid, 10.9.1638 † Versailles 31.7.1683); 6 enfants, dont seul survécut le Grand Dauphin (★ 1661 † 14.4.1711), qui mourut sans avoir régné. Il 9.10.1683 à Versailles (mariage clandestin) Françoise d’Aubigné, marquise de Maintenon (1635-1719), veuve du poète Scarron (1610-1660). Objet d’une instruction quelque peu négligée mais d’une éducation politique soignée (Mazarin fut son parrain), roi à cinq ans, Louis a été marqué par la Fronde (1648-1653), qui avait vu en Alsace la tentative du gouverneur, le comte d’Harcourt ©, de constituer un état rhénan indépendant, à l’instar de Bernard de Saxe-Weimar. Reprenant la politique de Richelieu, le roi étendit et fortifia les frontières du royaume, combinant force et diplomatie. L’Alsace changea de destin aux traités de Westphalie (1648), de Nimègue (1679) et de Ryswick (1697). Quatre traits définissent les rapports du souverain et de l’Alsace.

 

1. La dépendance des politiques alsaciennes et impériales

Derrière l’Alsace se profilait l’Empire, mirage et réalité. Dès 1646, il était question de tenir l’Alsace en fief, pour permettre au jeune roi de siéger à la Diète. En 1652, s’agissant de l’élection du roi des Romains, Mazarin évoqua la possibilité, pour le roi, « en qualité de landgrave d’Alsace », d’envoyer quelques députés à la Diète (lettre à Le Tellier du 4 septembre 1652). En 1658, la candidature à l’Empire fut ouvertement déclarée, des tractations financières eurent lieu avec les électeurs, la Ligue du Rhin qui engloba l’évêque de Strasbourg fut constituée, des arbitres furent nommés pour apprécier les droits du roi à l’égard de la Décapole. Cette politique connut des inflexions après 1673, mais ne changea véritablement qu’après 1685-1688, quand la révocation de l’Édit de Nantes eut aliéné à Louis XIV la plupart des états protestants allemands et que les horreurs de la guerre dressèrent contre lui l’opinion européenne, opinion dont il eut tendance à minimiser l’importance. L’hypothèque diplomatique — le respect des traités — a pesé de tout son poids sur la politique de Louis XIV en Alsace.

 

2. La connaissance « physique » du pays et la continuité de l’action administrative et militaire

Si le mot qu’on lui prête (« quel beau jardin ») n’a sans doute pas été prononcé, il eût pu l’être au cours d’un des trois voyages en Alsace du roi et de sa suite. En 1673 (par le col de Sainte-Marie-aux-Mines avec les trois « reines », Marie-Thérèse, Mlle de La Vallière, Mme de Montespan), il s’agissait de « mettre à la raison » les villes de la Décapole, dont Colmar, dont les murailles furent détruites. En octobre 1681, il s’agissait de recevoir la reddition de Strasbourg négociée par Louvois © : la ville n’étant pas prête, en attendant l’arrivée de l’évêque qui devait « réconcilier » la cathédrale, la suite royale (400 carrosses venus par Saint-Dié) s’attarda à Fribourg-en-Brisgau (ville française entre 1679 et 1697), Brisach, Ensisheim (où les XIII cantons suisses et Mulhouse saluèrent le roi), avant l’entrée solennelle, le 23 octobre 1681, dans la capitale de l’Alsace; le retour eut lieu par Saverne. En 1683, venu par Belfort, le roi passa en revue les compagnies de cadets et inspecta les fortifications, dont la citadelle de Strasbourg. Dans ses voyages, le roi affirma sa résistance physique, sa faculté à remplir ses « devoirs de roi », son souci de l’obéissance exigée de tous sans distinction, son sens de la pompe et de la propagande monarchique par le spectacle, le discours, les médailles, les rapports avec l’étranger (1662: renouvellement de l’alliance avec la Suisse).

 

3. La définition d’une ligne politique à la fois ferme et souple

Il s’agit d’une part de la mise en avant de sa légitimité : aucun doute ne s’élevait à ses yeux sur les droits de la France en Alsace, car, héritier de Clovis et de Mérovée, relevant l’épée de Charlemagne, le roi assurait la sécurité du pays (« clausa Germanis Gallia ») ; le roi fait, d’autre part, preuve d’efficacité, par l’affirmation et la mise en œuvre du rôle de l’État monarchique, catholique, mercantiliste et hiérarchique, expression d’une société d’ordres dont le dénominateur commun était l’obéissance, et le lien, le serment, garant du loyalisme à l’égard de la personne du souverain. Il mena une politique prioritaire qui tenait à l’essence même de la monarchie, fille aînée de l’Église : ce fut le retour de la province nouvellement constituée à la foi catholique ; le symbole en fut la « réconciliation » de la cathédrale (1681) et une action combinée de la nouvelle administration civile implantée dans le pays (intendant et subdélégués) et de l’administration religieuse, séculière (le grand vicaire) et régulière (les Jésuites qui tenaient les collèges et l’Université épiscopale ; les Capucins). D’autres mesures d’ordre économique se rattachaient plus directement à une volonté de rupture avec le Saint Empire; elles étaient moins le fruit de l’inspiration personnelle du monarque et relevaient davantage des Colbert © présents en Alsace dès 1656 (en tant qu’agents des Mazarin auxquels le roi avait accordé les terres d’Alsace relevant de la maison d’Autriche). « Croisé attardé de la Contre-Réforme », Louis a certainement rêvé d’une conversion en masse de la population protestante, rêve qui participait du souci de sa « gloire » de monarque chrétien face aux Habsbourg et à un moment où il était « en froid » avec la papauté. Autre politique prioritaire: le rôle donné à la noblesse (mais sans lui concéder aucune responsabilité administrative) et à l’armée (l’épée fut reine dans les salons comme à la Cour) ; le régiment du Royal-allemand en fut l’expression. Louis trouva enfin dans l’octroi des fiefs un instrument de ralliement, l’unité étant réalisée, là encore, dans la personne royale.

 

4. Le sens de la « différence » et des limites du pouvoir absolu

La formule « Ne pas toucher aux usages de l’Alsace » que nous avons vu écrite par le contrôleur général en marge d’une lettre de l’intendant en 1701 exprimait dans sa concision la volonté du monarque; elle a assuré le maintien de formes qualifiées de « républicaines » par les intendants successifs, fonctionnaires tout-puissants, d’une part au sein des organismes municipaux (magistrats des villes), d’autre part dans les cadres de la vie rurale et seigneuriale aux coutumes bien établies, héritées du Saint Empire et maintenues telles quelles (rôle des baillis, droit féodal, rôle du Conseil souverain expression du « roi justicier », fonction souvent de l’intérêt de l’État plus encore que de la reconstruction du pays). Dans la même ligne s’inscrivirent la réponse aux questions linguistiques nées de l’existence d’un dialecte germanique (mise à part l’ordonnance de La Grange © en 1695) ainsi que la définition, dans le domaine économique, de la « province à l’instar de l’étranger effectif » (les péages intérieurs ayant disparu).

Dans ces rapports entre le roi et la province alsacienne se tissèrent des liens entre l’imaginaire et le réel, le principe et la pratique. Il est certes délicat d’apprécier l’action personnelle du monarque: l’étranger — et Leibnitz notamment – dénonçait la « Turquie française » et l’absolutisme, origine de tous les maux, d’un règne où la guerre avait modifié l’échelle des valeurs, d’une volonté de puissance qui voulut ignorer les cas individuels, d’un esprit classique épris d’unité, d’ordre, de discipline et de clarté au sein d’un monde dont le particularisme et le pluralisme étaient la règle.

R. Reuss, Louis XIV et l’Église protestante de Strasbourg (1685-1686), Paris, 1887; H. Gillot, Le règne de Louis XIV et l’opinion publique en Allemagne, Nancy, 1914 ; Chr. Pfister, « Louis XIV en Alsace », Saisons d’Alsace, n° 17, 1953, p. 9-63; G. Livet, « Comment les Alsaciens du XVIIe siècle voyaient l’Alsace et comment les Alsaciens voyaient la France », Bulletin de la Société des études du XVIIe siècle, 25-26, 1955, p. 103-130 ; idem, « Louis XIV et l’Allemagne », ibidem 46-47, 1960, p. 29-53 ; G. Livet éd., Recueil des instructions données aux ambassadeurs et ministres de France, XXVIII, Etats allemands, 3 vol., Paris, 1962, 1963,1966 ; J. C. Rule éd., Louis XIV and the craft of Kingship, Ohio Press, 1969; G. Livet, Louis XIV et la Suisse, Paris, 1983 ; L’Europe, l’Alsace et la France. Mélanges G. Livet, prés, par J. Bérenger, R. Marx, P. Racine, B. Vogler, Colmar, 1986 (en particulier: J.-M. Boehler, « La campagne alsacienne au carrefour des influences, XVIIe et XVIIIe s. » p. 47-56) ; F. Bluche, Louis XIV, Paris, 1986; G. Livet, L’intendance d’Alsace, 2e éd., Strasbourg, 1991.

† Georges Livet (1995)