Général, (C) (★ Mouilleron-en-Pareds, Vendée, 2.2.1889 † Paris 11.1.1952).
Fils de Roger de L. de T., propriétaire, maire de Mouilleron, et d’Anne Marie Louise Hénault. ∞ 22.3.1927 à Paris Simonne Calary de Lamazière (★ Paris 7.11.1906), fille de Raoul C. de L., propriétaire, parlementaire, et de Suzanne Lemaire ; un fils, Bernard (★ Paris 11.2.1928 † Indochine 30.5.1951). Son épouse fut son «annaliste» diligente et son auxiliaire dans l’action sociale.
Comme le colonel de Gaulle ©, mais différemment, L. s’efforça d’agir sur la politique militaire «faiblocharde» (dixit) des responsables. C’est à partir de 1938 qu’il prit vraiment contact avec l’Alsace où il avait combattu en 1915 (blessé à Masevaux) : chef d’état-major du général Hering ©, le colonel de L. vécut entre Strasbourg et Paris. Général de brigade, il obtint le 2.9.1939 le transfert de l’état-major de la 5e armée de Saverne à Wangenbourg, où il resta jusqu’à l’offensive allemande. On lui doit une série de mesures tendant à maintenir la vie économique dans un pays partiellement évacué et placé sous la menace du canon. Commandant de la 14e division d’infanterie sur le front de la 4e armée, entre Forbach et Sarreguemines, il fut mis le 10.5. à la disposition de la 9e armée, glissant alors sur Rethel, où il livra une série de combats entre le 15.5. et le 13.6. La défaite le repoussa loin de l’Est. Devenu commandant de la 13e division à Clermont-Ferrand en juillet 1940, installé au château d’Opme, il créa une école de cadres d’un type nouveau, tout en aidant professeurs et étudiants de Strasbourg dans leurs fouilles de Gergovie. En septembre 1941, il devint commandant supérieur en Tunisie, puis en février 1942 général de corps d’armée à Montpellier où, le 11 novembre, à l’entrée des Allemands dans la zone libre, il déchira le télégramme de Vichy ordonnant aux troupes de rester dans leurs garnisons. Son initiative de résistance ayant échoué, il fut incarcéré. Evadé (2.9.1943), il passa à Londres (17.10.), puis à Alger (20.12.). Nommé commandant de la 2e armée, c’est-à-dire de «l’ensemble des forces terrestres appelées à participer à l’opération X» (décret du 18.4.1944), il succéda en fait au général Juin. C’est alors qu’il s’engagea dans une entreprise à plusieurs épisodes, dans laquelle l’Alsace prit une place privilégiée. D’abord, il y eut le débarquement en Provence, les 15 et 16.8. L’offensive dut tenir compte non seulement de la résistance allemande, mais encore des exigences des alliés américains, qui voulurent la confiner dans une opération de flanc-garde. C’est seulement après la prise de Lyon (3.9.) que L. obtint un regroupement de l’armée B devenant «première armée française». Il installa son PC à Besançon le 23.9. Il avait prévu que son aile droite (Bethouard) pousserait en direction de la porte d’Alsace et de Bourgogne, et que son aile gauche (Montsabert) s’emparerait du Ballon d’Alsace pour déboucher sur Cernay. Mais dès ce même 23.9., le commandement américain le requit de l’appuyer sur la Moselle. Ainsi commença une «bataille de la Moselle», plus communément appelée «bataille des Vosges», qui se poursuivit, âpre, difficile, jusqu’aux 17 et 18.10. (dans laquelle la Brigade Alsace-Lorraine avait été engagée dès le 27.9.). Elle installa les Franco-Américains sur une ligne Ronchamp-Plancher-Le Thillot-Cornimont, soit en vue, mais à distance, de Gérardmer et de Belfort. Il fallut renoncer à la percée par les Vosges. Les opérations, écrit de Lattre à de Gaulle le 19 octobre, n’ont permis le franchissement des crêtes et la descente en Alsace ; mais il existe «une possibilité – que je vous propose de saisir – de donner à l’adversaire un nouveau coup de boutoir en reportant inopinément mon effort» dans la zone de Montbéliard. Ainsi atteindrait-on, au-delà de la Lisaine, la «trouée de Belfort». Voici donc la deuxième bataille livrée par L., et une première bataille d’Alsace, dès le lendemain de la libération de Montbéliard (où L. installa son PC) et de Delle, le 19.11. Une opération très risquée – mutatis mutandis comme celle de Leclerc © au même moment -, puisque les Allemands tenaient solidement Belfort. Incertitude des combats autour de Mulhouse du 21 au 24.11. En utilisant tous ses moyens, L. réussit enfin à assurer, à partir du 27.11., la sécurité des troupes infiltrées dans le Sundgau, après une série d’âpres combats. La réduction de la poche de Colmar semblait possible. Ce fut la troisième grande opération. Elle était entamée, mais le général Devers accorda la priorité au but assigné à sa 7e armée – entrer rapidement en Allemagne. C’était la partie septentrionale du front qui l’intéressait. L. entreprit néanmoins, le 5.12., la manœuvre qui dut «étrangler la tête de pont de la région de Brisach». Encore des combats acharnés, qui se soldèrent par un grignotage au Nord (la ligne Orbey-Kaysersberg atteinte) et au Sud (prise de Thann). Le 16. 12., L. adressa un rapport à Devers pour lui réclamer un renfort minimum de deux divisions et des munitions, sans quoi il lui paraissait « bien difficile d’aboutir ». Simultanément, il alertait le général de Gaulle, lui signalant le malaise qu’il constatait dans une armée fatiguée par quatre mois de campagne ininterrompue, affaiblie par l’incomplet des cadres et consciente, à tort ou à raison, de «la non-participation du pays à la guerre». Il lui fallut accepter une nouvelle pause. Eclata alors «l’alerte de Strasbourg». Devant les progrès des Allemands à travers l’Ardenne, Devers écrivit à L. le 28.12. qu’il devait retirer rapidement le gros de ses troupes «sur la position principale des Vosges», et ce avant le 5.1., ce qui signifierait l’évacuation de toute la plaine d’Alsace. L. ne voulut voir là d’abord (le 31.12.) qu’une hypothèse, mais au PC américain de Vittel il constata, le 1er janvier, que l’opération était bel et bien en cours. Ce même jour, de Gaulle riposta à Devers en écrivant à L. : «L’armée française ne saurait consentir à l’abandon de Strasbourg. Dans l’éventualité où les forces alliées se retireraient de leur position actuelle…, je vous prescris de prendre à votre compte et d’assurer la défense de Strasbourg». Dans une situation difficile – subordination au commandement américain et obéissance au Gouvernement français -,L. pressa Devers de «faire l’impossible pour défendre Strasbourg avec la dernière énergie». On connaît la lettre de de Gaulle à Eisenhower du 2.7.1945, doublée par le renouvellement des ordres à L. le 3 : «tenir votre position actuelle et tenir également Strasbourg», etc. Eisenhower céda. Le général de L. fit afficher le 6.1. dans les rues de Strasbourg une proclamation célèbre qui rassura et galvanisa civils et militaires. En fait, il prit la responsabilité d’une opération en quelque sorte symétrique, mais de sens opposé, de celle qu’il avait réussie en Haute-Alsace : défendre le saillant de Strasbourg, de Haguenau à Bischwiller, Gambsheim et La Wantzenau. Il lui fallut tout le mois de janvier pour gagner cette quatrième bataille d’Alsace. Enfin, avant même la fin de celle-ci, L. se retourna vers le Sud et, entre le 20.1. et le 2.2., réduisit la poche de Colmar, en épargnant cette ville. On ne rappellera ici que d’un mot la sixième phase des offensives de la 1re armée : celle de la poussée au Nord de Haguenau, qui libéra complètement l’Alsace du Nord entre le 12 et le 21 mars et prépara l’entrée en Allemagne. Après avoir baptisé son armée «l’armée Rhin et Danube» lors de son passage à Karlsruhe, L. rentra glorieusement à Strasbourg, par Kehl, le 16.4. Ce fut pour lui ce jour-là une conclusion de prestige, une sorte de triomphe romain. « Son » armée dissoute (août), il fut nommé inspecteur général (novembre), puis commandant en chef des armées de terre de l’union occidentale. Il assuma, de décembre 1950 à novembre 1951, les fonctions de haut-commissaire et de commandant en chef en Indochine, malgré la maladie qui le rongeait. De son attachement à l’Alsace, les preuves sont multiples : ses séjours dans la villa mise à sa disposition rue Erckmann-Chatrian, sa citoyenneté d’honneur de Strasbourg et de Colmar, la création de l’école des cadres de Rouffach précédant celle de l’école militaire de Strasbourg – une originalité – et encore cette Fondation Bernard de Lattre, dont il tint à inaugurer la maison de repos, dans le Haut-Rhin, en 1951, à la veille de disparaître. Maréchal de France à titre posthume (1952).
Histoire de la Première Armée française. Rhin et Danube, Paris, 1949; Ne pas subir. Ecrits 1914-1952, Paris, 1984; Reconquérir. Ecrits 1944-1945, Paris, 1985; La ferveur et le sacrifice. Indochine 1951, Paris, 1988. Dinfreville, Le roi Jean, Paris, 1967; S. de Lattre, Jean de Lattre, mon mari, 2 vol., Paris, 1971-1972; F. L’Huillier, La libération de l’Alsace, Paris, 1975.
Fernand L’Huillier (1994)