Synastie, (C) de tailleurs de pierre originaire de Mackwiller, établie depuis 1776 à Hommarting près de Sarrebourg (57). La famille se compose de 22 sculpteurs qui réalisèrent jusqu’en 1939 un nombre considérable de calvaires, de croix de chemin et de monuments funéraires. Leur zone de diffusion couvre le sud de la Moselle et l’Alsace.
- 1. Jean-Nicolas,
(★ Mackwiller 1752), village célèbre pour ses carrières de grès exploitées depuis l’époque romaine. Les premiers tailleurs de pierre de la dynastie furent les frères Louis, Jean-Martin et Jean-Georges Kugler, dont le père, Jean-Georges Kugler fut dit bourgeois de Mackwiller au début du XVIIIe siècle. Louis Kugler eut six fils dont quatre, Jean-Louis, Jean-Nicolas, Jacques et Nicolas apprirent le métier de leur père. La famille fut active dans la région de Mackwiller, Rahling, Lorentzen et Butten. Au milieu du XVIIIe siècle, les comptes de la fabrique de l’église de Sarre-Union, ainsi que les titres de la collégiale de Fénétrange, mentionnèrent à plusieurs reprises des quittances « pour ouvrages de leur profession ». Jean-Nicolas Kugler quitta Mackwiller pour s’établir à Hommarting où il épousa, en 1776, Catherine Siffert, fille de Jean-Michel Siffert, également tailleur de pierre. Jean-Nicolas accomplit probablement sa période d’apprentissage dans l’atelier de son futur beau-père. Comme Mackwiller, Hommarting fut un centre où l’on travaillait le grès, extrait sur place et dans les carrières voisines de Niderviller, Guntzviller et Arzviller. L’arrivée à Hommarting de Jean-Nicolas Kugler marque le début d’une aire préindustrielle qui vit le développement des ateliers de sculpture du grès, notamment pour la production de monuments funéraires dont l’usage se démocratise tout au long du XIXe siècle. « Les Kugler » de Hommarting bâtirent un empire et firent connaître le nom de leur modeste village de Mulhouse à Sarreguemines.
2. Jacques, Michel, Jean et Nicolas,
les quatre fils de Jean-Nicolas Kugler, furent à l’origine de l’importance de la famille. Après une période de formation en Allemagne, notamment à Heidelberg où il passa vingt semaines en 1807 en travaillant chez un maître de la confrérie des Maurer, Steinhauer und Schieferdecker, Jacques Kugler, l’aîné des fils, s’installa à Hommarting. Son atelier produisit en série des croix de chemin et des monuments funéraires d’une bonne qualité. Ses œuvres les plus caractéristiques sont de hautes croix de chemin (Mittelbronn et Mulcey, 1825 et 1826) et des croix colonnes (Weitbruch, 1824). Les fils cadets Michel et Jean Kugler travaillèrent également à Hommarting. Si la production de Michel Kugler semble rester assez populaire, Jean Kugler sculpta d’intéressants calvaires dont les modèles les plus achevés se voient à Réding (1845) et à Obersteigen (1843). La renommée du plus jeune des fils, Nicolas Kugler fut également importante, À son décès en 1864, il faisait partie des huit personnes les plus fortunées de son village natal.
Œuvres : Jacques Kugler : nombreuses croix de chemin et monuments funéraires dans le Sud-mosellan ainsi qu’à Haguenau, Weitbruch (1824), Westhouse-Marmoutier (1831) et Dettwiller (Jean Meyer, notaire, 1822) ; Michel Kugler : croix de Bisping (1818) ; Jean Kugler : calvaires de Réding (1845) et d’Obersteigen (1843) ; Nicolas Kugler : monuments funéraires dans la région de Sarrebourg et à Drusenheim (Théodore Wenger, 1850), tombes de prêtres à Berwiller (curé Schindele, 1852) et Willgottheim (curé Lutz, 1852).
3. Martin et Michel et l’atelier des « frères Kugler »,
deux des fils de Jacques Kugler, Michel et Martin, (? 1814 et 1822), devinrent sculpteurs. Si Michel, qui fut à plusieurs reprises maire de Hommarting à partir de 1855, reste sans postérité, Martin a deux fils, Armand et Christophe, (★ 1860 et 1863) qui après avoir travaillé avec lui, fondèrent le célèbre atelier des « frères Kugler ». La carrière d’Armand fut courte, car il décéda en 1897 à l’âge de 37 ans. Sa mort priva l’atelier d’un sculpteur de talent : le grand Christ du cimetière de Sarrebourg (1897) témoigne de son savoir-faire : cette sculpture, plus grande que nature, est remarquable par des proportions parfaites et un excellent rendu des détails anatomiques. Après le décès de son frère, Christophe continua à développer la production de l’atelier familial, en plus de sa fonction de chef d’entreprise, il fut maire de Hommarting avant et pendant la Première Guerre mondiale. Les productions des ateliers des descendants de Jacques Kugler furent considérables, mais limitées géographiquement au sud du département de la Moselle, la famille ayant en quelque sorte segmenté les marchés. Après avoir produit des monuments funéraires de style néo-classique et néo-gothique, les sculpteurs orientèrent leurs réalisations vers un type original de croix imitant la nature, celles-ci étant composées d’amas rocheux, de troncs écotés et d’un riche décor végétal. Dans les années 1920, à la suite du premier conflit mondial, Christophe Kugler créa tout naturellement des monuments aux morts.
Œuvres : Michel Kugler : monuments funéraires de personnalités militaires et politiques des cimetières de Phalsbourg et de Sarre-Union et des croix de chemin; Martin Kugler (associé pendant un temps avec un sculpteur du nom de Cuny) : grande croix du cimetière de Bénestroff (1865), calvaire d’Oberstinzel (1872) et de nombreuses tombes de prêtres ; Armand et Christophe Kugler : monuments funéraires pour les cimetières des communautés catholiques, protestantes, juives et anabaptistes du Sud-mosellan, remarquables grandes croix des cimetières de Sarrebourg (1897) et de Romelfing (1920).
4. Michel,
aîné des trois fils de Michel, fut sculpteur à Strasbourg à partir de 1847. En 1851, il habita à Schiltigheim dans la Rustgasse. Il y résida encore en 1856, puis s’installa route de Bischwiller avec un ouvrier sculpteur du nom Théodore Kuntz, originaire de Hochfelden.
Cette nouvelle implantation est à mettre en rapport avec la proximité du cimetière Sainte-Hélène. Michel Kugler posséda aussi une maison à Koenigshoffen, près du cimetière Saint-Gall. Si sa production demeure de qualité moyenne, la présence d’ateliers ou de magasins de vente de monuments funéraires à proximité des cimetières strasbourgeois lui assura sans conteste des revenus confortables. Sa mort prématurée en 1863, sans postérité, donna une nouvelle impulsion à la destinée de son atelier : Jacques Kuntz, frère aîné de Théodore, veuf et retiré de l’armée, épousa en 1864 la veuve Kugler, Françoise Loewenstein, et s’associa par la suite à son frère. À son décès en 1892, Jacques Kuntz fut dit Marmorbildhauer.
Œuvres : Monuments funéraires à Hangenbieten (1854), Seltz (1857), Beblenheim (1851) et dans les cimetières Saint-Gall et Saint-Urbain de Strasbourg ainsi que deux grandes croix à Zehnacker (1832) et Soufflenheim (1851).
5. Jean,
second fils de Michel, ∞ 1841 Christine Lang. Il résida d’abord à Hochfelden. En 1851, Jean Kugler eut un ouvrier du nom de Killian Ilg et le couple semblait relativement aisé. C’est probablement à cette époque qu’il fréquenta la famille Kuntz qui exploitait une mercerie sur la grand-route et qui en 1864 reprit l’affaire de son frère à Schiltigheim. En 1861, la famille de Jean Kugler s’installa à Strasbourg, près de la porte d’Austerlitz, aux abords du cimetière Saint- Urbain, étendant ainsi, avec ses frères Michel et Jacques, leur influence commerciale sur le marché des monuments funéraires dans la métropole alsacienne. C’est là que Jean exerça son métier jusqu’à sa mort en 1870, activité continuée par son fils Eugène jusqu’en 1875.
Œuvres : Monuments funéraires à Brumath (1849), Gimbrett (1852), Hochfelden (1848), Hochstett (1849) et au cimetière Saint-Gall à Strasbourg ainsi qu’une croix de chemin à Ettendorf (1844).
- Jacques,
le cadet des fils de Michel, ∞ 1846 Anne Jacquot, fille d’un aubergiste de Moyenvic, Moselle, et acheta une maison à Hommarting. Il ne s’y établit pas car on le retrouve dès 1848 à Koenigshoffen, certainement non loin du cimetière Saint-Gall. Jacques Kugler décéda sans postérité en 1867, il résidait alors avec son épouse au centre de Strasbourg. Si les œuvres de Jacques Kugler sont tombées dans l’oubli, il contribua, avec ses frères Jean et Michel, à l’emprise « des Kugler » sur le marché strasbourgeois.
7. Jean-Sébastien et Jean-Chrysostome,
les deux fils de Jean Kugler se tournèrent vers l’Alsace : l’aîné, Jean-Sébastien, épousa en 1869 Marie-Stéphanie Ricklin, originaire de Dannemarie et s’établit à Strasbourg. Son frère Jean- Chrysostome resta à Hommarting où il épousa en 1862 Barbe Thiébo et y installa l’atelier de production. La collaboration entre les deux frères fut sans faille : les monuments funéraires étaient confectionnés à Hommarting, puis commercialisés en Alsace par Jean-Sébastien. Le travail effectué par les « frères Jean Kugler » fut exemplaire : en effet, avec l’appui de l’atelier de Hommarting, ils concurrencèrent les ateliers alsaciens et se taillèrent une part de marché significative de la sculpture funéraire de la région. Leurs œuvres, signées J. M. Kugler, Kugler-Thiebo, Kugler-Ricklin, ou Kugler frères, se dressent aussi bien dans les cimetières de Masevaux et de Husseren-Wesserling que dans ceux de Kaysersberg, d’Ammerschwihr ou de Riquewihr. Les réalisations des « frères Jean Kugler » contribuèrent à la réputation de leur affaire, ils sculptèrent des monuments funéraires souvent imposants et de qualité, ainsi que de hautes croix de chemin « à l’imitation de la nature », comme la remarquable croix d’Issenheim (1863) à la base de laquelle est représentée Marie-Madeleine pénitente. Pour satisfaire la clientèle, composée notamment d’industriels, d’hommes politiques et de prêtres, la production allia tradition et modèles en vogue. La grande croix du cimetière de Sarre-Union est remarquable, car elle domine de près de 7 mètres le champ des défunts et repose sur un curieux massif rocheux décoré de crânes sculptés. À partir de 1850, ils signèrent de nombreux monuments d’un style très académique, semblant tout droit sortis d’un traité d’architecture : ces tombes à colonne
ionique et ces fines stèles-obélisques en marbre blanc étaient destinées à la clientèle la plus aisée.
Œuvres : Un document publicitaire évoque une liste de clients, dont de nombreuses personnalités : des industriels du Haut-Rhin à Mulhouse (Grosjean), Colmar (Hofer) et Ribauvillé (Weisgerber) ; des représentants de la société civile et leur famille à Sélestat (Bénaret, sous-préfet), Marmoutier (Boosch, maire), Neuf-Brisach (madame Giraudet, épouse du maire), Osthouse (Baron Zorn de Bulach, ancien député et maire), Phalsbourg (Parmentier, maire), Dieuze (Pichon, juge), Château-Salins (Dufays, maire), Vic-sur-seille (Defleurs, fils du président du tribunal), Fénétrange (Westermann, maire) et Réchicourt-le-Château (Germain, juge) ; des professions libérales à Mulhouse (Roth, pharmacien), Sarrebourg (Henriet, notaire) et Sarreguemines (Robin, architecte) ; des militaires en retraite à Strasbourg (maréchal de camp Zaepfel et colonel Steiner), Haguenau (colonel Chompré), Wasselonne (chef de bataillon Roederer) et Sarrebourg (colonel Peydavin) ; des prêtres à Strasbourg (Cazeaux, curé de Saint-Jean) et Rosheim (curés Raes et Koenig). Les monuments funéraires réalisés pour des prêtres furent nombreux : Sarre-Union (Joseph Adam, 1875), Mittelbronn (Louis Jacob, 1877), Hérange (Nicolas Heymes et Joseph Mayer, 1879), Bettborn (Jacques Weber, 1888) et Bourscheid (Étienne Hoeffel, 1878). La production de grandes croix de cimetière et de croix de chemin « à l’imitation de la nature » a également été très abondante : Issenheim (1863), Sarre-Union (1859), Gougenheim, Rohr, Valff, Rosheim, Saint-Nabor (1870), Bergbieten (1871), Fénétrange, Buhl-Lorraine (1875, croix « miraculée » pendant la bataille du 20 août 1914) et Juvelize.
8. Nicolas, Léon, Aloyse et Eugène,
Nicolas, fils de Nicolas Kugler ∞ 1870 Marie Dehlinger. Trois des enfants du couple : Léon, Aloyse et Eugène (★ 1871, 1880 et 1882) furent sculpteurs. L’aîné décéda célibataire en 1906, Aloyse et Eugène perpétuèrent la tradition familiale jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Aloyse installa son atelier à Sarrebourg, tandis qu’Eugène semblait avoir peu travaillé la pierre. La qualité de la production des ateliers des descendants de Nicolas Kugler fut inégale. Si le travail de sculpture fut toujours soigné, leurs œuvres demeurèrent populaires et destinées à une clientèle plutôt rurale. C’est dans la campagne aux alentours de Sarrebourg que se voient les réalisations de ces ateliers.
Œuvres : Nicolas Kugler : Monuments funéraires et croix de chemin dans le pays de Sarrebourg ; Léon Kugler : intéressants calvaires et croix de chemin notamment à Diffenbach-lès-Hellimer (1898) ; Aloyse Kugler : Nombreux monuments funéraires et croix de chemin dans le pays de Sarrebourg et en Alsace-Bossue ainsi que le monument aux morts de Dabo et une statue en l’honneur des libérateurs de la ville de Sarrebourg (1930).
9. Albert,
fils de Christophe Kugler. Il travailla jusqu’en 1923 avec son frère Georges dans l’atelier paternel. Georges mourut prématurément en 1929 à l’âge de 35 ans, Albert continua alors seul tout en tenant avec son épouse un café-restaurant à Hommarting, où il décéda de silicose en 1943. Assurer la succession d’un atelier aussi prolifique que celui de son père, autrefois celui des « frères Kugler », ne fut pas une tâche facile pour l’époque, car les temps avaient changé : en comparaison de celle de ses aînés, l’œuvre d’Albert Kugler fut marquée par les nouvelles modes qui affectent alors le métier : ses réalisations furent souvent banales, composées d’un assemblage de blocs de grès sur lesquels les ornements se réduisaient à quelques décors végétaux : rosaces, paniers ou couronnes de fleurs, feuilles de chêne ou de laurier. L’heure n’est plus à la belle sculpture et la dernière génération des Kugler fut entraînée dans une profonde mutation, abandonnant le savoir-faire familial au profit d’une diversification et d’une modernisation du travail. Si Albert Kugler réalisa encore de beaux christs, comme ceux des cimetières des sœurs de Saint-Jean-de-Bassel ou de Hommarting, l’époque fut celle des monuments funéraires uniformes et tristes qui n’ira qu’en s’amplifiant après la Seconde Guerre mondiale.
Œuvres : Grandes croix des cimetières de Hommarting, (1928) et des sœurs de Saint-Jean-de-Bassel (1935), monument aux morts de Brouviller et nombreux monuments funéraires dans le pays de Sarrebourg.
J.-M. Lang, Une dynastie de sculpteurs lorrains, les Kugler de Hommarting, Metz, 2004 ; idem, « Albert Kugler de Hommarting (1890-1943), dernier représentant d’une remarquable dynastie de sculpteurs funéraires », Les Cahiers Lorrains, n° 3, 2002, p. 283-294.
Jean-Michel Lang (2006)