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GUILLAUME Ier

Roi de Prusse, empereur allemand, chef de l’État en Alsace-Lorraine de 1871 à 1888, (Pl) (* Berlin 22.3.1797 † Berlin 9.3.1888). ∞ Augusta de Saxe-Weimar (* Weimar 30.9.1809 † Berlin 7.1.1890). Aux compliments que lui adressaient les maires du nord de l’Alsace, où il procédait à une visite d’inspection en septembre 1876, l’empereur Guillaume rappela que son premier séjour en Alsace remontait au début de février 1814, quand, âgé de 16 ans, il accompagnait son père, le roi de Prusse Frédéric-Guillaume III, pour la première campagne de France. C’était rappeler l’ancienneté des revendications des États allemands coalisés à l’égard de l’Alsace. Ainsi, cinquante-six ans plus tard, pour ce roi-soldat, désormais commandant en chef des armées des États allemands alliés, l’annexion de l’Alsace-Lorraine allait de soi, après une guerre victorieuse contre la France. Pour lui, comme pour l’ensemble du haut-commandement prussien et une bonne partie de l’opinion publique allemande, le passé historique de ces anciennes terres du Saint Empire romain germanique, la communauté de langue (il cita la formule «soweitdie deutsche Zunge klingt» dans une lettre à la reine de novembre 1870), les nécessités stratégiques, le droit de la guerre et de la conquête la justifiaient amplement. La loi de réunion de l’Alsace-Lorraine à l’Empire allemand du 9 juin 1871 confia à l’empereur Guillaume Ier le pouvoir d’État (Staatsgewalt): celui de chef de l’État et celui de chef du gouvernement. Mais selon la Constitution, l’empereur n’exerçait personnellement que les fonctions de chef de l’État et celles de chef des armées. Il promulguait donc les lois et les règlements qui lui étaient soumis, avec les rapports du chancelier: ils lui parvenaient par la voie de son cabinet civil. Le gouvernement civil était confié au chancelier de l’Empire. La loi du 31décembre 1871 fit de ce dernier, Bismarck, le ministre d’Alsace-Lorraine, qui supervisait l’activité administrative du président-supérieur en Alsace-Lorraine, Eduard von Moeller ©. Comme dans les affaires civiles de l’Empire, en Alsace-Lorraine, Guillaume Ier laissa gouverner le chancelier, exprimant çà et là un point de vue, dont celui-ci devait tenir compte. Ainsi, pour l’empereur, l’Alsace-Lorraine était d’abord un glacis. Sa constitution lui importait peu, mais elle ne devait pas avoir les attributs d’une souveraineté étatique propre, à l’instar des autres États allemands: ils pouvaient à la longue lui rendre l’indépendance et la ramener à la France. Moeller tenait à ce que l’Alsace-Lorraine soit gouvernée de Strasbourg, et non pas de Berlin, et Bismarck ne supportait pas de hauts fonctionnaires indociles. Moeller tenta de faire appel à Guillaume Ier, pour le gagner à son point de vue dans ce conflit qui l’opposait au chancelier. Mais, après s’y être intéressé (1876), Guillaume Ier s’opposa à son projet de faire de l’Alsace un grand-duché, surtout quand Bismarck lui fit comprendre que ce qui était visé était la constitution d’un «Dauphiné impérial» (Kronprinzenland) qui serait confié à son propre fils, le Kronprinz Frédéric-Guillaume, futur Frédéric III (1877-1878). Guillaume Ier accepta la création d’un Office impérial pour l’Alsace-Lorraine à Berlin, véritable ministère d’Alsace-Lorraine à Berlin (1876), et ne voulut rien faire, quand Bismarck manœuvra si bien qu’il obtint le renvoi du président-supérieur Moeller, toujours coupable aux yeux du chancelier d’avoir saisi directement l’empereur (1879). Il est vrai que Bismarck avait cédé sur la localisation du ministère d’Alsace-Lorraine: il serait désormais à Strasbourg. Il avait su de plus faire un choix fort habile pour le successeur proposé: un des plus anciens collaborateurs et amis de Guillaume Ier, longtemps chef de son cabinet militaire, le maréchal Edwin von Manteuffel ©. Appliquant la nouvelle Constitution de 1879, Manteuffel exerça à Strasbourg les fonctions de Statthalter (gouverneur général) et de commandant en chef du corps d’armée d’Alsace-Lorraine. En sa qualité de Statthalter, il exerçait à la fois les pouvoirs délégués par le chef de l’État (empereur) et le chancelier, et relevait donc de Guillaume Ier et de Bismarck. Mais en sa qualité de commandant en chef, il ne relevait que de l’empereur, chef des armées, et de son cabinet militaire. Ce dernier était alors dirigé par un officier général, Albedyll, qui vouait un véritable culte à son ancien chef, Manteuffel. Cette union personnelle des pouvoirs civils et militaires cessa lors de la mort de Manteuffel en 1884. Guillaume Ier se rendit à plusieurs reprises en Alsace en visite officielle. Le gouvernement allemand donna naturellement à chacune de ses visites un retentissement particulier. Lors de sa première visite, en septembre 1876, Guillaume Ier se contenta d’une visite dans les villes et villages du Nord de l’Alsace, en marge d’une inspection de troupes en manœuvre sur les champs de bataille de 1870. «Dans quelle ville de Prusse suis-je donc?» aurait-il demandé, surpris de la chaleur de l’accueil de la population, au président Moeller. Voilà ce que celui-ci avait rapporté, et qu’avaient amplifié les comptes rendus de presse. Du coup il promit de revenir en Alsace. En mai 1877, il inaugura donc les nouveaux forts de la ceinture fortifiée de Strasbourg, mais aussi les premiers bâtiments de la nouvelle Université, baptisée Kaiser-Wilhelm-Universität: référence affichée à l’inauguration de la Friedrich-Wilhelm-Universität de Berlin inaugurée en 1810 par son père aîné. Nouveau voyage d’inspection en septembre 1879, de Strasbourg à Metz. C’est à la cruauté d’Albedyll – face au boulangisme français, les généraux voulaient faire entendre des cliquetis de sabre sur la frontière de l’Est – que le Statthalter Hohenlohe-Schillingsfurst © attribua le voyage d’inspection en Alsace-Lorraine de septembre 1886, effectué par une chaleur étouffante. Le grand vieillard la supporta très difficilement: son programme dut être en grande partie allégé, et il dut se faire représenter par son fils Frédéric-Guillaume dans de fort nombreuses cérémonies officielles. Ce voyage eut un résultat alors imprévisible: il permit au Statthalter Hohenlohe de présenter à l’empereur le nouveau conseil municipal de Strasbourg reconstitué par accord entre gouvernement allemand et partis strasbourgeois, y compris les protestataires. Et après les élections protestataires de février 1887, et une nouvelle délibération au Conseil des ministres de Prusse sur l’éventualité de l’annexion pure et simple de l’Alsace à la Prusse, Bismarck fit état des réticences de l’empereur Guillaume Ier. Celui-ci avait gardé un excellent souvenir de l’accueil chaleureux que lui avaient réservé les Alsaciens, lors de son dernier voyage, et ne voulait pas leur faire de peine. Bismarck torpilla ainsi un projet qu’il n’avait agité que pour terroriser les Alsaciens et contraindre les protestataires au silence. Bismarck se fondait surtout sur une politique qui lui était commune avec l’empereur: la Prusse devait dominer l’Alsace, mais par le biais des institutions de l’Empire, et se refuser à l’annexion pour ne pas heurter les autres souverains des États fédérés, mais aussi pour ne pas altérer la vieille Prusse, par l’apport de cette province «pas assez allemande». Les visites de l’empereur Guillaume Ier ont donné lieu à une iconographie fort nombreuse, d’estampes, de photographies et de tableaux. Les pièces principales en sont les deux panneaux qui jusqu’en 1918 ornaient les halls d’entrée et de sortie de la gare de Strasbourg, représentant l’Alsace-Lorraine accueillant Guillaume Ier, lors de la visite de 1877 (ci-dessous).

Archives d’État de la RDA, Merseburg, Geheimes Zivilkabinett et Hausarchiv Hohenzollern; Potsdam, Reichskanzleramt, Nachlass Moeller; Archives départementales du Bas-Rhin, Statthalter et Ministerium für Elsass-Lothringen; E. Marcks, Kaiser Wilhelm I., 9e et dernière éd, Berlin, 1943 (auteur de l’article Wilhelm I. dans l’Allgemeine deutsche Biographie, 1895); K. F. Werner, «Fürst undHof im 19ten Jahrhundert», L’Alsace des notables, Strasbourg, 1981, bibliographie; Encyclopédie de l’Alsace, X, 1985, p. 6299-6304.

François Igersheim (1989)