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ERCKMANN Émile

Ecrivain (★ Phalsbourg 20.5.1822 † Lunéville 14.3.1899).

Frère de Jules Erckmann © et 5e et dernier enfant de Jean-Philippe Erckmann ©. Émile passe d’abord une petite enfance heureuse entre ses parents et le ménage Sébastien Florentin Carbinier, capitaine en retraite, (cf Vieux de la vieille et correspondance). Les années de collège de Maître Nablot portent la trace de son expérience du collège de Phalsbourg, où l’existence triste qu’il est contraint d’y subir, aigrit son caractère, sa « captivité de Babylone ». Il y fait toutefois des études sérieuses sous l’influence d’un professeur de rhétorique et de philosophie « plein de prestige », Perrot, qui encouragera sa vocation littéraire naissante. Après son baccalauréat et une année consacrée à la réflexion, Emile entreprend des études de droit à la Sorbonne, s’« inquiétant plus de philosophie, de littérature et de théâtre (et aussi d’histoire) que de jurisprudence ». Au cours d’une convalescence au pays natal, il lie amitié avec Chatrian ©.

En automne 1847 il reprendra ses études, juste à temps pour assister aux préliminaires de la révolution et aux journées de Février, en témoin sinon en combattant. Il y découvrira le goût de la politique active, d’abord fondateur d’un éphémère club à Phalsbourg, puis surtout rédacteur du Républicain alsacien de son frère Jules, journal voué à « l’amélioration du sort du peuple et à son éducation », assez vite déçu d’ailleurs en raison de la tournure prise par les événements mais dont l’expérience ne sera pas perdue pour son œuvre littéraire.

Les circonstances empêchent la représentation de Georges à Paris, interrompent celle de l’Alsace en 1814 à Strasbourg, sans décourager Erckmann et Chatrian maintenant associés. Mais n’ayant pas réussi malgré de nombreuses tentatives à se faire recevoir au théâtre dans la capitale, bien qu’ils se fussent mis à la remorque de Michel Carré et du Bons sens, ils passent au conte.

Ce n’est qu’en 1856 que Chatrian parvient à placer Le bourgmestre en bouteille à L’Artiste d’Ed. Houssaye (si l’on excepte Schinderhannès publié au Journal des faits en 1852), puis le Requiem du corbeau, L’oeil invisible, enfin surtout L’illustre Docteur Mathéus à la Revue de Paris, qui formeront un recueil sous le titre de Les aventures de l’illustre Docteur Mathéus. Les Contes de la Montagne (1866) réunissent Les lunettes de Hans Schnaps (Revue française), Le rêve du cousin Elof (Monde illustré), La montre du doyen (Revue européenne), Hans Storckus (Constitutionnel), Les trois âmes, Les fiancés de Grinderwaid. Après son succès au Constitutionnel, Hugues-le-Loup formera le noyau d’un nouveau recueil, les Contes fantastiques (1860), où à un « surnaturel » de teinte souvent pythagoricienne assez discrète l’auteur mêle comme dans les autres contes une peinture concrète et juste de la vie familière. Ce dernier trait s’affirme dans La Taverne du jambon de Mayence (1862) et Combat de coqs, Combat d’ours. Maître Daniel Rock apporte la première œuvre forte sinon tout à fait originale, drame grandiose qui figure la lutte titanesque entre les puissances du passé et celles du progrès, non sans résonances ambiguës si la décision tombe en faveur du présent (1860). Seront édités cette année-là les Contes des bords du Rhin.

Le fou Yégov ou l’Invasion (1861) dans la Revue des Deux-Mondes inaugure les grandes œuvres « viriles » aux « grands caractères » et « nobles passions » (dixit Chatrian), du moins avec des traits originaux qui iront s’accentuant: pittoresque cadre vosgien, souvent poétique, personnages de condition modeste, vivants et divers, nettement dessinés, style simple et ferme action également simple, tendance vers un didactisme moral et politique, avec un narrateur placé à l’intérieur même de l’univers qu’il fait revivre « l’histoire montrée à travers un homme » (Hatzfeld). Madame Thérèse, qui exalte les progrès de l’esprit nouveau parmi les peuples étrangers, associe avec bonheur la veine sentimentale à la veine idéaliste et patriotique. Le Conscrit de 1813 (Débats) évoque le déclin de l’Empire jusqu’à la campagne de France, suivi la même année 1864 par Waterloo (Débats), de la 1re Restauration à la chute définitive de Napoléon, et complété (pour former une sorte de trilogie) par le Blocus (Débats) en 1866, amalgame des souvenirs des sièges de Phalsbourg en 1814 et 1815. L’invasion y avait préludé en célébrant la résistance des montagnards des Vosges. Toutes ces œuvres, où se trouvent unis, selon la formule de J. Gaulmier, « un réalisme minutieux » à l’instar des Champfleury, Flaubert et autres, mais « sans grossièreté », à une « salubre ferveur humaine » héritée du romantisme et teintée des convictions philosophiques et politiques de l’auteur, républicaines et démocratiques certes, mais relativement modérées, sur- tout dans le domaine social, comme ce sera encore le cas dans celles de même inspiration qui leur feront suite, constitueront dès 1867 chez Hetzel, devenu leur éditeur, les Romans nationaux.

L’Histoire d’un homme du peuple, parue au Siècle, en cette même année 1865 marque un durcissement des tendances républicaines et indirectement antibonapartistes de l’auteur, que confirme en 1867 (à la Presse) et 1868 (Siècle) l’exaltation de l’épopée révolutionnaire (livres 1- 2-3 de l’Histoire d’un Paysan), compromise par le Premier Empire et son désastre final (livre 4). Entre temps, avec L’Ami Fritz (1864), Erckmann-Chatrian a produit son chef-d’œuvre dans le genre sentimental et populaire. Signalons encore La Maison forestière (1866), Le Juif polonais (1867), Les confidences d’un joueur de clarinette (1865), le volume des Contes populaires (1866) et l’Histoire d’un Sous-Maître (1870), qu’il consacre aux problèmes de l’éducation repris et développés dans Les Deux frères (1873), et Les années de collège de Maître Nablot (1874).

La défaite va susciter des œuvres plus âpres et volontiers polémiques : l’Histoire du plébiscite (Le Soir, 1872), violemment hostile à Napoléon III comme à Bismarck et à l’Allemagne, ainsi que plusieurs Contes vosgiens (1876), suivis dans la même veine du Brigadier Frédéric et, dans un ton plus sombre encore, du Banni (1879) dont le propos majeur est d’exalter la résistance à l’occupant. Parallèlement, Maître Gaspard Fix (Rappel, 1875), Le grand-père Lebigre, plus discrètement les Deux frères, centré sur une dramatique haine familiale, avec leur couleur anti monarchique et anticléricale plus nettement accusée, parfois violente (cf aussi …Suez sur ce dernier point), s’engageant dans les luttes autour de la République naissante, en même temps qu’ils complètent, avec Annette et Jean-Claude, Les Vieux de la Vieille, la peinture de l’époque (fin de la Restauration, 1830, Monarchie de Juillet, Seconde République, débuts du Second Empire). Mentionnons encore, dans des genres tout différents, Un coup d’œil sur l’esprit humain (1880) et L’Art et les grands idéalistes (1885). Erckmann avait fini par s’installer à l’Ermitage, aux portes de Saint-Dié, qu’il quittera pour Toul en 1879. Mais, vaincu par une terrible nostalgie, (à laquelle un voyage en Orient, source de l’Histoire d’un chef de chantier à l’isthme de Suez (1876) et, très indirectement, d’Une campagne en Kabylie, (1873), ses deux romans « exotiques », n’avait apporté qu’une diversion toute provisoire), d’ailleurs assombri par des déceptions d’ordre politique et d’ordre littéraire, il reviendra vivre à Phalsbourg entre 1882 et 1889, non sans inconvénient pour son image auprès des Alsaciens-Lorrains de Paris et même de son amitié avec Chatrian, déjà endommagée par le boulangisme et de petites indélicatesses de son associé. Après la rupture avec ce dernier, il se proposera encore de combler une lacune dans sa fresque historique en évoquant les victoires de l’Empire, maintenant que celui-ci ne peut plus renaître de ses cendres : après La première campagne du grand-père Jacques (1892), La campagne de l’oncle Jean (1893), réunis avec La mère Hulot et Kaleb et Chora (1891, Temps), tout imprégné des souvenirs de son adolescence, en un volume intitulé Alsaciens et Vosgiens d’autrefois, dans la note usuelle mais sans le souffle de jadis. Enfin paraissent en 1895 les Fables alsaciennes et vosgiennes, sans illusion mais non résignées. L’infatigable combattant pour la restitution de l’Alsace-Lorraine à la France pourra se réjouir d’un retour de la faveur populaire à la veille de sa mort.

Les papiers d’Erckmann se trouvent à la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg, mss 4993-5049 (don du professeur Henri Weiss ©, directeur de l’École supérieure du Pétrole.

Pour la bibliographie de ses œuvres et celle le concernant voir Hector Talvart et Joseph Place, Bibliographie des auteurs modernes de langue française (1801-1934), t. V, Paris 1935, p. 201-214. Pour les œuvres complètes d’Eckmann-Chatrian, cf. in G. Benoit- Guyod, La vie et l’œuvre d’Erckmann-Chatrian, Paris, 1963, la bibliographie classée méthodiquement par Bernard Mahieu et in Saisons d’Alsace, n° 6, 1963, « Redécouverte d’Erckmann-Chatrian ». Voir également la notice Chatrian de ce dictionnaire.

Quelques compléments et rappels : J.-J. Barbey d’Aurevilly, Les œuvres et les hommes, t. IV, 1865 et Romanciers d’hier et d’avant-hier, 1905 ; E. Scherer, Études sur la littérature contemporaine, t. III, Paris, 1885 ; T. Roche, La paix et la guerre dans l’œuvre d ‘Eckmann-Chatrian, 1922 ; L. Schoumacker, Erckmann-Chatrian, Étude biographique et critique, Paris, 1933 ; Exposition, Paris, Hôtel de Rohan, 1949. Cinquantenaire Erckmann-Chatrian… Hommage de Charles Braibaut. Lettres inédites d’Erckmann présentées par Régine Pernoud. Bibliographie par Bernard Mahieu. Guide de l’exposition, Paris, 1949, 60 p. ; G. Benoît-Guyod, La vie et l’œuvre d’Eckmann-Chatrian (t. XVI des Contes et Romans nationaux et populaires, Paris, 1962-1963 ; F. Kniffke, « La place de l’artisan dans l’œuvre d’Erckmann-Chatrian », Artisans et ouvriers d’Alsace, Publ. de la Société savante d’Alsace et des Régions de l’Est, t. IX, 1965, p. 253-263 ; W. Schneider, Erckmann-Chatrian, Geschichte und Geschichtsdarstellung in den « Romans nationaux », Mainz, 1970 ; Revue Europe, janvier-février 1975 ; F. Raphael, Présence du juif dans l’œuvre d’Erckmann- Chatrian. Mythe et témoignage. Revue des Sciences sociales de la France de l’Est, n° 5, 1976, p.

Charles Grandhomme (1986)