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ERCKMANN Jules

(★ Phalsbourg 30.8.1809 †Paris 1876).

Fils aîné de Jean Philippe Erckmann ©. À la mort de sa mère il réclama sa part d’héritage et s’installa à Strasbourg à la tête d’une fabrique de pipes, avec son frère Charles comme associé au service commercial. En 1844 il entra (ainsi que son frère Emile) à la loge « Les frères réunis ». Il organisa en 1846, comme secrétaire, le 2e congrès international des frères maçons. Bientôt il glissa vers la politique, s’en prenant à ceux qui pratiquaient oppression, injustice et fanatisme.

Au lendemain de février 1848 il fonda le club maçonnique de Fraternité républicaine. Cependant sa grande entreprise fut la création du Républicain alsacien ; son frère Emile en assuma la gérance pour les trois premiers numéros. Ce journal s’inspira de La Réforme-, il réclama le droit au travail et à l’instruction et proposa une liste de candidatures aux élections à l’Assemblée constituante dont celle de Jules Erckmann « comme représentant de la classe ouvrière. Celui-ci n’obtint que 5067 voix dans tout le département. Le rétablissement du cautionnement entraîna la disparition du journal le 28 octobre 1848. Jules Erckmann se rapprocha dès lors d’Émile Kuss © et participa à la fondation, le 23 décembre 1848, du Démocrate du Rhin qui avait « pour mission spéciale de soutenir et de propager les idées démocratiques ». Le Démocrate publia en feuilleton, d’avril à juillet 1849, des écrits d’Émile Erckmann et d’Alexandre Chatrian ©, sous la signature d’« Émile Erckmann Chatrian ». Jules Erckmann se retira de l’administration du journal le 10 septembre 1849 à la veille du procès de Metz. Six militants républicains strasbourgeois dont Émile Kuss et Jules Erckmann comparurent du 17 au 22 octobre 1849 devant la Cour d’assises de la Moselle. Ils étaient poursuivis pour avoir formé un complot dans le but de changer ou de détruire le gouvernement, d’exciter les citoyens à s’armer contre son autorité et d’inciter à la guerre civile. Convaincus que la République était menacée, les Rouges avaient tenté d’organiser à Strasbourg et à Colmar la résistance au coup d’État le 14 juin 1849, au lendemain des manifestations parisiennes avec Ledru-Rollin. Il était particulièrement reproché à Jules Erckmann, lieutenant de la Garde nationale, d’avoir cherché à s’emparer du télégraphe optique. Il avait fait battre la générale et ordonné à une compagnie de la Garde d’occuper l’Hôtel de la Préfecture. Après leur acquittement, les membres du Comité démocratique restèrent actifs. Élu membre du conseil de la Chambre de commerce, Jules Erckmann provoqua un incident lors de la réception des corps constitués par le prince-président en visite à Strasbourg en août 1850. Il proposa en effet l’élargissement des prisonniers politiques. Après le coup d’État de 1851, il se réfugia en Suisse où il avait été exilé avant 1848. Sa présence est attestée en 1856.

Dès 1844 il avait entamé une carrière littéraire avec Les disciples d’Escobar, roman touffu dirigé contre les jésuites. Dans Le Père La Vendée (1868), il évoque les dernières années de l’Ancien régime, les grandes époques de la Révolution et de l’Empire jusqu’à la première période de la Restauration incluse, à travers son héros, ce qui n’est pas sans faire penser aux Romans nationaux et singulièrement à l’Histoire d’un paysan ; son Michel suit d’ailleurs le même itinéraire que Michel Bastien. Certains épisodes se situent dans le Palatinat et en Alsace. Les veillées alsaciennes, lui aussi roman patriotique, exalte l’esprit de résistance et de revanche. L’auteur fait revenir d’Amérique, où le coup d’État du 2 décembre les avait chassés, des émigrés alsaciens pour renforcer la lutte contre l’occupant allemand. En résumé, une œuvre littéraire démarquant celle de son frère Émile, qui pour l’essentiel développe les mêmes thèmes, avec quelques nuances et beaucoup moins d’art. Sur quelques points toutefois l’antériorité : avant le Banni il prône la résistance de l’intérieur de l’Alsace, et c’est bien après Les disciples d’Escobar qu’Erckmann-Chatrian entrera dans la voie de l’anticléricalisme et l’antijésuitisme actifs et parfois violents, alors que Le Père La Vendée exalte modération et tolérance. Signalons encore, dans le même genre que les romans précédents, le Barbier sans pareil, et Claudine, histoire d’un enfant naturel.

Les rapports de Jules Erckmann avec son frère Émile apparaissent dominés par la méfiance et même l’hostilité. Sans doute Émile a-t-il apposé sa signature au Républicain alsacien mais l’espace de quelques jours ; et sa correspondance avance deux griefs majeurs contre son aîné : celui d’avoir assombri sa jeunesse en le reléguant, par ses exigences à la mort de leur mère, à l’internat du collège de Phalsbourg ; celui d’avoir tenté, beaucoup plus tard, d’exploiter sans vergogne sa renommée littéraire.

Essai sur le remplacement militaire, Paris, 1844 ; Les Disciples d’Escobar, Paris, 1846 ; Le Père la Vendée, Paris-Bruxelles-Leipzig…, 1868 ; Le Barbier sans pareil, Paris-Strasbourg, 1868 ; Claudine, histoire d’un enfant naturel, 0000 ; Les Veillées alsaciennes. Roman patriotique, Nancy, 1874.

Ch. Staehling, Histoire contemporaine de Strasbourg et de l’Alsace, 1re partie : 1830-1852, Nice, 1884, p. 355- 357 ; P. Muller, La Révolution de 1848 en Alsace avec une biographie des parlementaires alsaciens de 1789 à 1871, Paris-Mulhouse, 1912, p. 355 ; J.-M. Bopp, « Un romancier inconnu, Jules Erckmann à Strasbourg », Saisons d’Alsace, n° 6, 1963, p. 223-231 ; J.-P. Kintz, Journaux politiques et journalistes strasbourgeois sous la Seconde République et à la fin du Second Empire, thèse de doctorat en journalisme, Strasbourg, 1970, 41., multigr., voir index p. 624 et 637a.

Charles Grandhomme (1986)