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DREYFUS Alfred

« Officier d’artillerie qu’une tragique erreur a empêché de suivre son chemin », selon ses propres paroles, (I) (? Mulhouse 9.10.1859 d. Paris 11.7.1935).

Fils de Raphaël Dreyfus négociant né à Rixheim, et de Jeannette Libmann, couturière (jusqu’à la naissance de Mathieu). Les parents possédaient une maison au centre de Mulhouse (1 rue du Sauvage) où naquirent les enfants. ? 1890 Lucie Hadamard, fille d’un professeur au lycée Louis le Grand. Alfred Dreyfus séjourna à Carpentras chez sa sœur et fit des études à Grenoble puis à Paris. Reçu à l’École Polytechnique en 1878 ; élève de l’École d’Artillerie de Fontainebleau. Promu capitaine en septembre 1889 et admis à l’École de guerre le 20 avril 1890. Nommé en 1893 à l’État-Major de l’armée, il fut soupçonné d’avoir livré des documents secrets à une puissance étrangère. Le service de contre-espionnage qui relevait du 2e Bureau de l’État-Major était dirigé depuis 1891 par le colonel Sandherr, un ancien saint-cyrien d’origine mulhousienne. Dreyfus fut condamné en 1894 pour trahison à la dégradation et à la déportation à vie. Il fut détenu du 13 avril 1895 au 9 juin 1899 dans l’île du Diable en Guyane. Victime de faux judiciaires et en butte à une opinion publique antisémite, nationaliste et conservatrice, son innocence ne fut reconnue qu’en 1906. Après sa condamnation, rares furent ceux qui s’intéressèrent à son cas, en particulier en Alsace. On doit néanmoins signaler que dès le 5 janvier 1895 – jour de la dégradation – deux Mulhousiens, Théodore Schlumberger et Mieg-Kœchlin intervinrent auprès du gouvernement impérial afin d’obtenir une déclaration de Guillaume II précisant qu’Alfred Dreyfus n’avait jamais livré de document à l’Allemagne. Le chancelier Hohenlohe opposa une fin de non-recevoir à cette requête. Celle de Léon et Jacques Dreyfus, deux frères d’Alfred, en mars 1895, fut pareillement rejetée. Le lieutenant-colonel Georges Picquart (né en 1854 à Strasbourg où il passa sa jeunesse), nouveau chef du service des renseignements au ministère de la Guerre acquit en 1896 la conviction que le vrai coupable était un autre officier, Esterhazy. Il fut incarcéré puis muté.

Le 16 novembre 1897, Matthieu Dreyfus (? Mulhouse 2.7.1857 d. Paris, février 1931) qui habitait Mulhouse et s’occupait de l’entreprise familiale, fournit à Bernard Lazare – né à Nîmes, mais issu d’une famille alsacienne émigrée en Provence – les documents pour dénoncer « une erreur judiciaire » (1897) et décrire « comment on condamne un innocent » (1898). Matthieu Dreyfus publia dans le Figaro une lettre au ministre de la Guerre accusant Esterhazy. Quelques Alsaciens établis à Paris – parmi lesquels l’ancien magistrat Louis Leblois, fils de pasteur strasbourgeois, et Lucien Herr © bibliothécaire de l’École normale supérieure – intervinrent dans le débat, par ambition personnelle ou par conviction profonde. Daniel Nicolas Auguste Scheurer-Kestner ©, vice-président du Sénat, obtint l’ouverture d’une enquête sur Esterhazy ; il fut acquitté.

Émile Zola porta le 13 janvier 1898 l’affaire devant l’opinion publique par sa lettre au président de la République parue dans L’Aurore, sous le titre « J’accuse… » que Clemenceau aurait trouvé. L’affaire Dreyfus se transforma en crise politique et morale. Les anti-dreyfusards groupés en partie dans la Ligue de la Patrie française combattirent pour « la Patrie et l’honneur de l’Armée » ; les dreyfusards réclamèrent, avec la Ligue des droits de l’homme, « la Justice et la Vérité ». Jaurès dénonça en août 1898 l’existence de faux dans le dossier. La Chambre criminelle de la Cour de cassation, présidée par le protestant Alsacien Loew, fut chargée d’examiner la requête en révision, présentée par Lucie Dreyfus, épouse du condamné. Le Parlement vota une loi de circonstance dessaisissant la Chambre criminelle : ce fut la Cour de cassation « toutes chambres réunies » qui cassa le 3 juin 1899 le premier jugement.

Rappelé du bagne, traduit en septembre 1899 devant le Conseil de guerre siégeant à Rennes, Alfred Dreyfus fut déclaré coupable avec circonstances atténuantes et gracié par le président de la République. Une nouvelle demande en révision fut introduite en 1902. Jaurès intervint à la Chambre en 1903. Le 12 juillet 1906 la cour de cassation rendit un arrêt de réhabilitation « attendu en dernière analyse que, rien ne reste debout, et que l’annulation du jugement du Conseil de guerre ne laisse rien subsister qui puisse à sa charge être qualifié de crime ou délit… ». Le Parlement vota le lendemain une loi réintégrant Dreyfus dans l’armée. Il fut nommé chef d’escadron et décoré de la Légion d’honneur. Admis à la retraite en 1907, il reprit le service actif en 1914. Il passa lieutenant-colonel de réserve à la fin de la première Guerre mondiale et vécut dans une retraite absolue.

Dreyfus, Lettres d’un innocent, Paris, 1898 ; ibid, Cinq années de ma vie, 1894-1898, (suivi de) La vie du capitaine Dreyfus par J. L. Lévy, Paris, 1901, 360 p. (réédition Paris, 1962, 295 p.) ; ibid L’affaire Dreyfus, 1906 ; ibid, Souvenirs et correspondance, Paris, 1936, 449 ; Mathieu Dreyfus, l’affaire telle que je l’ai vécue, Paris, 1978.

La bibliographie est particulièrement abondante ; on devrait pouvoir mentionner les témoignages des contemporains et les nombreuses études des historiens sur l’affaire elle-même, mais aussi les recherches sur l’armée, la presse et l’opinion publique, les forces religieuses et l’antisémitisme, etc. Parmi les ouvrages récents, on peut citer P. Miquel, l’affaire Dreyfus, Coll. Que Sais-je? n° 867, Paris, P. U. F., 1959 (nombreuses rééditions) et ibid, Une énigme, l’affaire Dreyfus, Coll. Dossiers Clio, Paris, P. U. F., 1972 et J.-D. Bredin, l’affaire, Col. Presse Pocket n° 2311, 1985, 768 p. L’écho alsacien a été présenté par R. Gauthier, « Les Alsaciens et l’affaire Dreyfus », Saisons d’Alsace, 1966, p. 56-80 (illustrations et portraits) et dans le catalogue de l’exposition Autour de l’Affaire Dreyfus édité par la Bibliothèque municipale de Mulhouse en novembre 1981, 38 p. illustrées ; J.-C. Richez, « L’affaire Dreyfus et l’Alsace », Revue d’Alsace (à paraître).

Jean-Pierre Kintz (1985)