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WINTERER Auguste Bruno Landelin

Prêtre et homme politique, (C) (★ Soppe-le-Haut 28.2.1832 † Saint-Pierre près Epfig 30.10.1911). Fils d’Antoine Winterer, maître tisserand, et de Christine Hummel. Après des études au collège épiscopal de Lachapelle-sous-Rougemont et au Grand-séminaire de Strasbourg, Winterer fut ordonné prêtre en 1856. La même année, il fut nommé vicaire à Bitschwiller-les-Thann, puis à Saint-Martin de Colmar en 1861. Nommé administrateur de la paroisse de Guebwiller en mars 1866, il fut nommé curé de Saint-Léger de Guebwiller, érigé en paroisse, en juin 1867. Il se lia avec l’industriel catholique ultramontain, Émile Keller ©, dont il soutint la candidature au Corps législatif contre le candidat officiel en 1869. En août 1871, il fut nommé curé-doyen de Saint-Étienne de Mulhouse, fonction qu’il exerça jusqu’à sa mort. Devant la rapide croissance de la population catholique de Mulhouse, il favorisa la création de deux nouvelles paroisses, la paroisse Saint-Joseph dans les cités ouvrières et la paroisse Sainte-Geneviève. En mai 1908, il fut élevé à la dignité de protonotaire apostolique. Le Kulturkampf scolaire inauguré en Alsace-Lorraine par Bismarck© dès 1872- 1873, ainsi que l’insuffisance de candidats catholiques laïques amenèrent Winterer à se présenter aux élections au Reichstag de 1874 dans le cadre d’un accord entre catholiques et républicains-radicaux protestataires. Élu dans la circonscription d’Altkirch-Thann, il la représenta au Reichstag, sans interruption, jusqu’en 1903 où il se retira pour laisser la place à Eugène Ricklin ©. Comme ses collègues Joseph Guerber © et Jacques Ignace Simonis ©, il intervint à la tribune du Reichstag pour dénoncer la politique scolaire et la dictature en Alsace-Lorraine. En 1879, Winterer fut élu membre du Landesausschuss d’Alsace-Lorraine pour la circonscription de Mulhouse-campagne. Il y fut un porte-parole si redouté de l’opposition que l’administration allemande s’efforça en vain de l’éliminer lors de l’élection de 1882. La même année, l’ambassadeur de Prusse auprès le Saint-Siège intervint pour interrompre la procédure de nomination comme protonotaire apostolique, car Bismarck craignait qu’elle n’apparût comme une approbation de son action politique.

Il fut régulièrement réélu au Landesausschuss jusqu’à sa disparition en 1911. Jusqu’à sa mort, Winterer resta attaché aux souvenirs de la protestation et se déclara hostile à la création de partis politiques en Alsace-Lorraine, tant que celle-ci n’aurait pas obtenu un statut d’autonomie. Il refusa ainsi d’adhérer à l’Elsass-Lothringische Landespartei, puis au Centre alsacien-lorrain. Il n’était cependant pas fondamentalement hostile à la création de partis politiques, comme en témoignent ses contacts avec les congrès nationaux de la Démocratie chrétienne à Lyon (en particulier en 1898) et sa participation, en 1898, au congrès de la Ligue démocratique belge. À Mulhouse, Winterer s’en tint au « pacte protestataire » de 1873-1874 qui laissait le siège de Mulhouse-ville au Reichstag à la bourgeoisie protestante libérale. Il pensait que seul un candidat libéral pouvait vaincre les socialistes et craignait qu’une candidature catholique ne suscitât un courant anticlérical dans la bourgeoisie mulhousienne. C’est pourquoi il fit échouer, en 1890, le projet d’une candidature du curé de Saint-Joseph, Henri Cetty ©. L’élection du socialiste Hickel © ne fit que le confirmer dans sa conviction et il fut en partie responsable de l’échec de l’abbé Cetty contre le socialiste Bueb © en 1893. Après l’intermède de 1898 où il lança une candidature catholique en la personne de Léon Vonderscheer ©, il revint, en 1903, à sa politique traditionnelle de soutien du candidat libéral. En 1907, après l’échec d’un accord sur un candidat avec les libéraux, il soutint mollement le syndicaliste catholique Fischer ©. Il adopta la même stratégie aux élections municipales, s’attachant simplement à accroître progressivement la part des catholiques au conseil municipal.

Le contact avec des populations ouvrières amena Winterer à s’intéresser très tôt à la « question sociale ». Dès 1878, il publia un ouvrage, promis à plusieurs rééditions, Le socialisme contemporain, où il définissait la « question sociale » comme un problème essentiellement religieux et moral, découlant de l’irréligion, fruit elle-même du libéralisme et des idées modernes. Il condamnait les théories économiques libérales et la « théorie politique de l’omnipotence de l’État » qui, selon lui, avait préparé la voie au socialisme. Tout en défendant la propriété privée, voulue par Dieu, il dénonçait la concentration des richesses qui accroissait le nombre de prolétaires. Pour lui, la solution de la « question sociale » et de la « question du socialisme » était dans la liberté retrouvée de l’Église et dans la restauration d’une société chrétienne pratiquant les vertus de la charité et de l’espérance dans la vie future comme juste consolation des pauvres. Il reprit ces analyses dans de nombreuses brochures, dans la Revue catholique d’Alsace de Nicolas Delsor, dans ses interventions au Landesausschuss d’Alsace-Lorraine et dans ses discours devant les assemblées du Volksverein für das katholische Deutschland. Malgré une méfiance fondamentale à l’égard de l’État moderne, il acceptait dans la Revue catholique d’Alsace d’avril 1889 l’intervention de l’État dans le domaine des assurances sociales (accident, maladie), à condition qu’elle ne menât pas à des « conclusions socialistes » et ne fit pas perdre à l’ouvrier « l’esprit de prévoyance, d’économie qui contribue tant à le moraliser ». Au Landesausschuss d’Alsace-Lorraine, Winterer intervint aussi en faveur des paysans et des classes moyennes, en particulier en 1883, 1884 et 1885. Winterer entretenait une vaste correspondance avec les principaux représentants du catholicisme social en France, en Belgique et en Suisse. Il participa à divers congrès sociaux en France et en Belgique, en particulier aux congrès de Liège en 1886, 1887 et 1890. Malgré sa méfiance à l’égard de tout ce qui venait d’Allemagne, il soutint activement le Volksverein für das katholische Deutschland et signa le Manifeste de Mayence du 25 novembre 1890, qui marquait le lancement de la grande organisation sociale du catholicisme allemand. Winterer participa aux travaux de l’Union de Fribourg de Mgr Mermillod et fut l’un des experts consultés lors de l’élaboration de l’encyclique Rerum Novarum. Il appuya dans la paroisse Saint-Étienne de Mulhouse l’action de l’abbé Roellinger © qui développa le Cercle catholique de jeunes gens à partir de 1873. La congrégation mariale, fondée en 1869 par l’abbé Clemens, fut totalement transformée par la création de sections spécialisées : section musicale, gymnique et théâtrale, section de patronage, et surtout section de cours du soir pour la formation professionnelle des jeunes ouvriers et employés. Il s’opposa, cependant, jusqu’en 1890 à la création d’un cercle d’adultes. Après le succès des socialistes aux élections au Reichstag de 1890 à Mulhouse et la création d’un journal socialiste, Winterer lança, le 4 octobre 1890, un hebdomadaire catholique, le Mülhauser Arbeiterfreund, dans lequel il développa son programme politique et social jusqu’en 1911. Ses positions n’ayant guère évolué et une presse quotidienne catholique s’étant développée, la diffusion de l’hebdomadaire déclina progressivement jusqu’à 1000 exemplaires en 1911, après un maximum de 9000 exemplaires en 1898. En 1896 et 1900-1901, Winterer fut un des plus violents dans le clergé alsacien à dénoncer le projet de création d’une faculté de Théologie catholique à l’Université de Strasbourg, car il craignait l’emprise de l’État allemand sur le clergé. Il fut nommé conseiller d’État par le gouvernement en 1908.

Nombreuses biographies de saints en français et en allemand pour l’édification. L’abbaye de Murbach, Guebwiller, 1867 ; Die Heilige Odilia oder das christlische Elsass im 7. und 8. Jahrhundert, Rixheim, 1871 (6e réédition en 1903) ; La persécution religieuse en Alsace pendant la Grande Révolution, 1789- 1801, Rixheim, 1876 ; La presse alsacienne et le cléricalisme, Rixheim, 1877 ; Le socialisme contemporain, Paris-Rixheim, 1878, 1894, 1901 ; Histoire de Sainte-Odile ou l’Alsace chrétienne au VIIe et au VIIIe siècle, Paris, 1879 ; Trois années de l’histoire du socialisme contemporain, Paris-Rixheim, 1882 ; Le danger social ou deux années de socialisme en Europe et en Amérique, Paris, 1885 ; Ueber die Frage der Landwirthschaft in Elsass-Lothringen, Rixheim, 1885 ; Le socialisme international. Coup d’œil sur le mouvement socialiste de 1885 à 1890, Paris-Mulhouse, 1890 (traduction allemande) ; Die Katholiken in Mülhausen, Rixheim, 1895 ; Arbeit und Religion. Ein kleiner sozialer Katechismus, Rixheim, 1897 ; Quelques saints d’Alsace et les principales époques de sa vie religieuse, Rixheim, 1897 ; Ueber die Soziale Frage und die Soziale Gefahr. Rede gehalten am 12. Oktober 1898 in der allgemeinen Versammlung des katholischen Volksvereins in Strassburg, Rixheim, 1898 ; Die Sozialdemokratie. Was sie lehrt und was sie will, Rixheim, 1903 ; Le socialisme allemand et ses dernières évolutions, Paris, 1903.

Papiers Winterer et papiers Wagner, Archives de l’évêché de Strasbourg ; Mülhauser Arbeiterfreund, 1890-1911 ; Revue catholique d’Alsace, 1911, p. 655-663; H. Cetty, Mgr Winterer, Mulhouse, 1912; J. Wagner, « Le Journal politique de Mgr Winterer », Revue catholique d’Alsace, 1933 ; Haegy, Das Elsass von 1870-1932, Colmar, I, p. 64, (portrait) ; J. Hincker, Les catholiques et les élections à Mulhouse de 1890 à 1914, maîtrise de théologie, Strasbourg, 1973; François Igersheim, L’Alsace des notables, 1870-1914, Strasbourg, 1981 (index) ; Christian Baechler, Le parti catholique alsacien 1890-1939. Du Reichsland à la République jacobine, Paris-Strasbourg, 1982; Encyclopédie de l’Alsace, XII, p. 7761-7762 ; Sitzmann, Dictionnaire de biographie des hommes célèbres de l’Alsace, Rixheim, t. 3, 1984, p. 98 ; Dictionnaire du monde religieux dans la France contemporaine, L’Alsace, sous la dir. de B. Vogler, Paris, 1987, p. 466-467 ; Cl. Muller, Dieu est catholique et alsacien. La vitalité du diocèse de Strasbourg au XIXe siècle, Strasbourg, 1987 ; R. Oberlé, Cl. Muller, « Monseigneur Winterer et son temps. La correspondance du chanoine Winterer », Annuaire historique de la Ville de Muhouse, 1988 ; Ch. Herrmann, La pensée sociale de l’abbé Winterer, maîtrise d’histoire contemporaine, Strasbourg, 1994.

Christian Baechler (2002)