Évêque de Strasbourg (1065-1077) (★ château d’Achalm ? Wurtemberg, près de Reutlingen vers 1045 † près de Hirsau, Wurtemberg, 14.11.1077, enterré à la cathédrale de Strasbourg). Le plus jeune fils des dix enfants du comte Rudolf von Achalm et de la comtesse Adelheid von Mumpelgard (Montbéliard)-Wulflingen, Bavière. Destiné à la cléricature. Élève à l’école cathédrale de Spire et membre du chapitre de Spire. Nommé évêque de Strasbourg par le jeune empereur Henri IV en mars 1065, à l’âge de 20 ans. Durant les premières années de son épiscopat, Werner séjournait alternativement dans son évêché et à la cour impériale. D’avril 1071 à mai 1072, il se trouvait le plus souvent dans l’entourage du jeune souverain et partageait la vie légère des courtisans. De retour dans son diocèse, il prit femme et vivait avec une concubine. Il vendait des bénéfices ecclésiastiques pour de l’argent. Les canons condamnaient ce crime sous le nom de simonie. Le pape Alexandre Il le cita au synode de carême de 1073 à Rome. Par calcul ou par conviction, Werner prit l’attitude d’un pénitent, s’accusa lui-même de concubinat et de simonie. Une telle attitude de soumission à Dieu et à son vicaire sur terre méritait un jugement clément : Werner se vit seulement interdire durant quelque temps l’exercice de la fonction épiscopale. L’énergique Hildebrand, devenu pape sous le nom de Grégoire VII (1073-1085), promoteur de la réforme appelée « grégorienne » de son nom, se révélait intransigeant envers les évêques simoniaques et concubins. Le 12 décembre 1073, Grégoire VII cita l’archevêque Siegfried de Mayence, avec six de ses suffragants, dont l’évêque Werner de Strasbourg, au synode quadragésimal pour le printemps de 1074. Werner se rendit une seconde fois à Rome. De nouveau, il se vit interdire temporairement l’exercice de son ministère épiscopal. Par ce verdict clément, le pape cherchait peut-être à détacher l’évêque Werner du clan impérial et à le gagner au camp pontifical. La fameuse « querelle des Investitures » n’allait pas tarder à opposer l’Empire et le sacerdoce, les deux partis de Dieu, en Francie orientale et occidentale. Peut-être le pape eût pu réussir son pari, si l’évêque Werner sur le chemin de retour n’avait pas été humilié par deux femmes. La duchesse Béatrice et sa fille Mathilde de Tuscie ou de Toscane arrêtèrent l’évêque et le firent jeter en prison. Plus papistes que le pape, ces deux réformatrices estimaient l’attitude papale trop clémente. Le pontife rappela ces dames à l’ordre et il leur enjoignit de libérer l’évêque captif. Werner n’en était pas moins froissé. Son honneur blessé le poussa définitivement dans le parti impérial, opposé au pape et à ses réformes. Grégoire VII fit un dernier geste de bonne volonté à son égard: le 29 octobre 1074, il chargea l’évêque Werner de Strasbourg et l’évêque Burchard de Bâle de régler un conflit entre les deux neveux du pape Léon IX, Hug et Gerhard von Egisheim, à propos de l’avouerie du monastère de Sainte-Croix-en-Plaine. Le geste de conciliation arrivait trop tard. L’évêque ne demandait plus à ses clercs de choisir entre l’autel et leur concubine. Il les encourageait même à prendre femme. Le pape Grégoire VII l’admonesta dans une lettre du 8 décembre 1074. L’évêque Werner refusa de comparaître une nouvelle fois à Rome au synode de carême de 1075. Cette assemblée le suspendit de ses fonctions épiscopales. Ces mesures romaines augmentèrent le ressentiment anti-papal en Allemagne. Menacé d’excommunication et de déposition, l’empereur réunit le 24 janvier 1076 un synode d’évêques allemands à Worms. L’évêque Werner de Strasbourg était du nombre. Le concile allemand déposa le pape. Le pontife excommunia l’empereur. Pour endiguer la défection des évêques et la révolte des princes, Henri IV se résolut à prendre le chemin de la pénitence et du calcul politique. Il partit à la rencontre du pape. De passage aux évêchés de Strasbourg, de Bâle et de Lausanne, l’empereur se fit accompagner par les évêques de ces diocèses, qui lui restaient dévoués. Cette fidélité valut à l’évêque Werner de Strasbourg d’être présent à Canossa le 28 janvier 1077, lorsque le pape Grégoire VII releva l’empereur Henri IV de l’excommunication. De retour dans son diocèse, Werner dut faire face à Rodolphe de Rheinfelden, que les grands du royaume avaient proclamé roi le 13 mai 1077. L’abbé Adelgaud d’Ebersmunster avait fait forger la couronne du nouveau souverain. L’évêque conduisit une expédition contre l’abbaye rebelle, en chassa l’abbé félon, profita de l’occasion pour saisir de précieux parchemins, afin de mettre main basse sur les propriétés monastiques. Les jours étaient comptés à l’évêque en rupture de ban. Au mois de novembre 1077, il partit en campagne contre l’abbaye de Hirsau, qu’il considérait comme un repaire de « papistes ». Punition divine ou simple accident, on ne sait, l’évêque tomba de cheval et étouffa dans sa lourde armure. Pris dans le dilemme d’opter entre la monarchie sacrale de l’Empire et la hiérarchie politique de la papauté, l’évêque Werner se trouva devant un choix impossible à trancher. Le drame de sa vie personnelle et épiscopale découle de cet antagonisme, qui fut clarifié seulement par le concordat de Worms en 1122 entre l’Empire et la Papauté.
Sources : Regesten der Bischöfe von Strassburg, Innsbruck, 1908, t. 1, n° 295-331, p. 280-289 ; Chronicon Ebersheimense, éd. L. Weiland, dans Monumenta Germaniae Historica, Scriptores, t. 23, Hannovre, 1874, chap. 25, p. 443-444 (l’auteur confond les évêques Werner I et Werner II) ; E.-C. Scherer, « Bischof Werner II. (1065-1077) », Die Strassburger Bischöfe im Investiturstreit. Ein Beitrag zur elsässischen Kirchengeschichte, Bonn, 1923, p. 27-67, cite en note de nombreux textes ou références de sources contemporaines.
Bibliographie : Ch. Wackenheim, Les évêques de Strasbourg, témoins de leur temps, Strasbourg, 1976, p. 20-21 ; F. Rapp (dir.), Le diocèse de Strasbourg, Paris, 1982, p. 37 ; Encyclopédie de l’Alsace, XII, 1986, p. 7721 ; Ph. Dollinger, « Strassburg in salischer Zeit », Die Salier und das Reich, t. 3, Gesellschaftlicher und ideengeschichtlicher Wandel im Reich der Salier, hg. v. St. Schweinfurter und H. Seibert, Sigmaringen, 1992, p. 153-164, surtout p. 156-157.
† René Bornert (2002)