Gauleiter nazi, chef de l’administration civile, (PI, puis gottgläubig (croyant hors confession)) (★ Lindach bei Mosbach, aujourd’hui Eberbach, Bade, 13.10.1895 † Strasbourg 14.8.1946). Fils de Peter Johann Backfisch (à la naissance Backfisch, nom de famille modifié par autorisation du ministère badois de la Justice le 20 janvier 1921), cultivateur, et de Katharina Wagner, ∞ 1930 Anna Luise Theresia (Anneliese) Mayer (C) (★ Fribourg en Brisgau 1906) ; 1 enfant. Élève-maître au Lehrerseminar (école normale) de Heidelberg depuis 1913, il s’engagea pour la durée de la guerre au 110e régiment de Grenadiers en août 1914. Promu officier au front en 1916, il resta dans la Reichswehr en 1919. Muté à l’école d’infanterie de Munich le 21 septembre 1923, il participa au « putsch de la brasserie » du 9 novembre 1923. Condamné le 1er avril 1924 à 18 mois de forteresse et licencié de l’armée, il fut incarcéré avec Hitler à Landsberg jusqu’à l’automne 1924. Désormais libre de faire de la politique, il rentra au pays de Bade, où il reconstitua en mars 1925 le parti national-socialiste interdit. Sa carte de membre de la NSDAP du 29 juillet 1925 porte le n° 11540. Après le retour de la NSDAP à la légalité, il prit le titre de Gauleiter et se fit élire, en 1929, au Landtag, le parlement régional, où il se fit remarquer par sa grossièreté et sa brutalité. À partir du 8 mars 1933, il cumula la direction régionale du parti avec la fonction de ministre président et y ajouta le 5 mai 1933 celle de gouverneur, représentant du gouvernement du Reich (Reichstatthalter).
Dès l’entrée des troupes allemandes en Alsace, sans abandonner ses pouvoirs en Bade, Wagner prit en mains la direction politique et administrative du pays avec le titre de Chef der Zivilverwaltung (chef de l’administration civile). Installé le
18 juin 1940 à la préfecture de Colmar, puis au début de juillet à celle de Strasbourg, il en chassa les préfets français. Le 1er juillet, il rencontra le Führer à Freudenstadt, Bade, au moment où celui-ci envisageait d’annoncer l’annexion de
l’Alsace-Lorraine au cours d’une séance du Reichstag. Dans cette perspective, Wagner fit préparer le pavoisement de la place Kléber, futur Karl-Roos Platz. Le discours du 19 juillet ne fit aucune allusion à l’Alsace et à la Lorraine. Wagner prétendit à son procès que Hitler lui avait révélé l’existence d’une clause secrète de l’armistice par laquelle la France cédait les trois départements au Grand Reich. « Il est prouvé qu’une telle clause n’a jamais existé. Mais on ne peut exclure que le Führer ait menti à son Gauleiter et que celui-ci l’ait cru » (Robert Heitz). Dans un discours-bilan prononcé le 21 juin 1942 pour commémorer le deuxième anniversaire de sa venue en Alsace, il prétendit aussi qu’il y avait eu passation de pouvoir avec le préfet, représentant de la France. Quoi qu’il en soit, Wagner traita les Alsaciens comme si l’annexion était parfaite. Cela ne l’empêchait pas de jouer, vis-à-vis des ministères de Berlin, de l’incertitude de la situation juridique pour échapper au sort commun des dirigeants des Länder du vieux Reich. Au départ, Wagner était subordonné théoriquement au commandant de la VIIe armée, le général Dollmann, qui occupait l’Alsace. Le décret non publié du 2 août 1940 le plaça directement sous les ordres du Führer. Pour entraver les ingérences du ministre de l’Intérieur Frick et des autres autorités centrales du Reich, Wagner et son collègue de Lorraine, Bürckel, obtinrent, au cours d’une nouvelle conférence avec Hitler, le 25 septembre, plus d’autonomie encore. Le décret du 18 octobre 1940 lui donna entière compétence pour organiser l’Alsace. Il ne devait, sous aucun prétexte, être gêné par des entraves juridiques ou des contraintes budgétaires. L’Alsace devait, selon le désir de Hitler, être totalement germanisée dans un délai de dix ans, mais Wagner se faisait fort de parvenir à ce résultat en cinq années.
Rien ne devait détourner de cet objectif ce nazi fanatique, cet « officier politique » borné, mais méticuleux et redoutablement efficace. Anticipant sur la constitution prévue d’un Gau Oberrhein (Région du Rhin supérieur), il profita de l’unité de direction des deux provinces pour faire des ministres, des hauts fonctionnaires et des chefs du parti en Bade les administrateurs et les responsables politiques de l’Alsace. Il limita au strict minimum le recrutement local des chefs de service et des Kreisleiter (chefs politiques des arrondissements) issus de la Heimatbewegung (mouvement autonomiste). Sauf dans les services qui échappaient à son autorité directe (chemins de fer, postes, université), on ne fit guère appel non plus à des Prussiens, contrairement à la période 1871-1918.
La première année de l’annexion de fait ne fut pas uniquement consacrée au rapatriement des évacués et à une brillante remise en marche de l’économie régionale. Il fallait procéder sans attendre à l’aryanisation et à la défrancisation. Au moins 45 000 personnes, juifs, « asociaux », Français de l’Intérieur, Alsaciens trop compromis avec les Français, furent expulsés vers la zone non occupée de juillet à décembre 1940. L’usage de la langue française fut strictement interdit, les inscriptions en français éliminées, tous les monuments rappelant la France furent détruits. En même temps, la monnaie allemande, le droit allemand, le système scolaire allemand, le régime allemand des cultes étaient imposés aux Alsaciens. Le Gauleiter attachait « une importance particulière » à la suppression des prénoms, puis des noms de famille à consonance française. Il consacra également beaucoup d’énergie à libérer les Alsaciens de leurs « coiffures welches », les bérets basques. Il tenta même de faire reculer l’emploi du dialecte au profit de l’allemand standard. La nazification devait progresser parallèlement. Wagner accepta, pendant l’été 1940, l’existence d’un Elsässischer Hilfsdienst (service auxiliaire alsacien) animé par son collaborateur Robert Ernst ©, mais cette organisation, qui ne se référait pas ouvertement au nazisme, fut rapidement dissoute. Dès septembre 1940, il créa l’Opferring Elsass (Cercle de sacrifice) de la NSDAP, où ceux qui aspiraient à devenir un jour membre du parti devaient faire leurs preuves. En même temps, des Alsaciens « méritants » étaient recrutés dans les SS, les SA, etc… Ce ne fut qu’en janvier 1942 que les premiers autochtones furent admis dans le parti proprement dit. Au même moment, l’embrigadement dans la Hitler Jugend (Jeunesse hitlérienne) devenait obligatoire de 10 à 18 ans. Le service du travail (Reichsarbeitsdienst) avait déjà été introduit pour les garçons et les filles de 19 ans le 8 mai 1941.
L’une des fonctions essentielles de la HJ et du RAD était la formation prémilitaire. Il s’agissait, dans l’esprit du Gauleiter, de préparer les jeunes Alsaciens à fournir leur contribution à la victoire finale et à acquérir ainsi les mérites nécessaires pour justifier leur incorporation à part entière dans la Grande Allemagne. Dès le 1er octobre1940, il avait tenté sans grand succès d’inciter aux engagements volontaires dans les Waffen SS. Après un refus initial lié à des scrupules juridiques, le haut commandement céda à ses instances et accepta, à partir d’octobre 1941, d’admettre des engagés alsaciens dans la Wehrmacht, mais là aussi, le succès fut des plus limités. Wagner était désormais décidé à forcer la population par la mobilisation. Hitler donna son accord de principe lors d’une audience accordée à Wagner le 13 février 1942, mais la conférence décisive eut lieu à Vinnitsa, Ukraine, le 9 août . Le 25 août fut promulguée l’ordonnance de Wagner introduisant le service militaire obligatoire en Alsace. Le chef de l’administration civile se désignait ainsi lui-même comme le principal responsable du drame terrible qui, en violation du droit international, a conduit à l’incorporation de force de 105 000 Alsaciens juridiquement français, dont 12 000 furent tués dans les combats et 12 000 disparurent dans les camps soviétiques. Devant le refus obstiné du maréchal Keitel d’incorporer les officiers de réserve de l’armée française, Wagner convint avec Himmler que ceux-ci seraient enrôlés dans les Waffen SS. 42 d’entre eux, qui avaient refusé d’endosser l’uniforme ennemi, furent déportés au camp de concentration de Neuengamme et condamnés à mort, 22 n’en sont pas revenus.
Wagner réprima, sans pitié ni scrupule, toutes les velléités de résistance à ses ordonnances monstrueuses. Il disposait à cet effet depuis juillet 1940 du camp de « rééducation » et de « sûreté » de Schirmeck-Vorbrück (La Broque). C’est pourquoi il refusa jusqu’au 7 juillet 1942 de transférer les « criminels politiques », à l’exception de quelques dirigeants communistes, dans les camps de concentration contrôlés par les SS (dont celui du Struthof-Natzwiller en Alsace) parce qu’ils échappaient ainsi à son autorité. Les « ennemis de l’État » étaient jugés par le Sondergericht (Tribunal spécial) de Strasbourg, à qui Wagner prit l’habitude de dicter à l’avance ses verdicts tout en publiant parfois une nouvelle ordonnance aggravant les peines prévues. C’est ce qu’il appela à son procès Lenkung der Rechtpflege (justice dirigée). Le premier arrêt de mort fut prononcé le 31 mars 1942 à l’encontre du jeune Weinum ©, qui avait lancé une grenade contre la voiture du Gauleiter le 8 mai 1941. Wagner refusa de recevoir ses avocats et de faire usage de son droit de grâce et Weinum fut décapité. Sur un total de 72 condamnations à mort pour crimes politiques, il ne fit grâce que deux fois. Il ne s’inclina qu’à contrecœur lorsque l’exécution des sentences capitales était suspendue, comme pour Robert Heitz ©, sur l’ordre du Führer lui-même. Son comportement fut particulièrement cruel dans l’affaire des 13 jeunes gens de Ballersdorf, qui avaient tenté de rejoindre la Suisse : ils furent exécutés au Struthof et leurs corps furent brûlés en février 1943. Les Alsaciens, qui se réclamaient de leur nationalité française, ne pouvaient être, selon lui, que des traîtres à leur sang, voués au châtiment suprême.
Le 23 novembre 1944, Wagner s’enfuit à la dernière minute de Strasbourg pour ne pas tomber entre les mains des Français, mais il reparut en Alsace dans la poche de Colmar. Le 30 décembre, il annonça à la radio : « Le Reich national-socialiste reviendra (…) ne trahissez pas votre sang allemand. N’aidez pas l’ennemi, aidez l’Allemagne…»
Il se cacha à l’arrivée des Alliés en Bade. Ayant appris le suicide de sa femme détenue à Paris, il se rendit le 29 juillet 1945 à Stuttgart à la police militaire américaine. Il fut remis aux Français et transféré à la prison de la citadelle de Strasbourg en janvier 1946. Inculpé de recrutement illégal de force armée, détention arbitraire, homicides volontaires avec préméditation, il fut traduit avec sept de ses subordonnés, devant le Tribunal militaire de Strasbourg à partir du
23 avril 1946. Il se retrancha en général derrière les ordres reçus de Hitler. Le commissaire du gouvernement, représentant l’accusation, ne fut pas très brillant, ce qui fit dire à un journaliste que « ce grand procès fut un procès sans grandeur ». Il fut condamné à mort le 3 mai 1946. Après le rejet de son pourvoi en cassation, il fut
fusillé au fort Ney le 14 août 1946. Il garda une attitude provocante devant le peloton d’exécution. Après avoir acclamé son Führer Adolf Hitler, l’Allemagne et l’Alsace allemande, ses derniers cris furent des injures à l’adresse de ses juges et de la justice française en général. Ses restes furent inhumés au cimetière de Strasbourg-Cronenbourg, dans le carré des suppliciés. Croix de fer de 1ère classe 1914-1918.
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