Géomorphologue et historien ruraliste (★ Strasbourg 13.3.1929). Fils d’Émile Vogt, inspecteur central des Contributions indirectes, et d’Élisabeth Jung. Jean Vogt a été à la Direction fédérale des Mines et de la Géologie d’AOF (Afrique occidentale française), puis au Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). Il est également historien du monde rural rhénan. Après une formation universitaire classique (licence ès lettres, mention géographie, diplôme d’études supérieures en 1951, thèse de 3e cycle en 1963), il a réalisé un parcours aussi dense qu’atypique. Après deux années d’assistanat à l’Université franco-sarroise (1953-1954) et un bref séjour au CNRS (démission en 1955), il a rejoint le Service géologique d’AOF, puis, après la disparition de ce dernier, le BRGM qu’il devait quitter en 1985 dans un contexte de crise et de désaccord tant sur le fond que sur la forme. « Par refus du corporatisme et du conformisme», il a renoncé à la fonctionnarisation offerte par le ministère de la France d’Outre-Mer ainsi que différentes propositions universitaires (1959, 1966). Depuis 1985, il poursuit son activité à titre personnel et bénévole. Sa vocation a été éveillée à l’Université de Strasbourg par le professeur Jean Tricart © qui a su lui transmettre à la fois la passion des archives et les « réflexes de terrain » qui l’ont conduit à pratiquer la géomorphologie fondamentale et appliquée et à mettre ainsi en lumière l’imbrication constante des aspects physiques et humains moyennant le recours à une indispensable interdisciplinarité. Une telle ouverture devait conduire Jean Vogt à faire le tour du monde au cours de nombreux voyages d’études, de missions à l’étranger, de colloques ou de recherches dans les dépôts d’archives, sans qu’il soit toujours possible de faire la part entre l’activité professionnelle et des recherches personnelles: de la vallée du Rhin aux Alpes du sud ; de la région de Toulouse à la Bretagne ; des Pays-Bas à l’Espagne ; de Milan à Damas ; des États-Unis, des Guyanes, du Brésil et du Chili à l’Arabie, au Zaïre, à Madagascar, à la Malaisie, à l’Australie et surtout à la Nouvelle Calédonie… et la liste n’est pas exhaustive. Étroitement liés à cette mobilité hors du commun, les thèmes
abordés, d’une grande variété, s’organisent autour de quatre axes : 1. En collaborant avec les géologues et les ingénieurs des mines, il a cherché à apporter ses propres éclairages. Ses travaux sur les gîtes d’altération et détritiques ainsi que sur les formations superficielles ont servi à la cartographie géologique et donné lieu à des rapports sur les problèmes du diamant australien ou brésilien, des bauxite africaines, du nickel néo-calédonien, entre autres. 2. En matière de sismicité et de néotectonique, il a assuré la coordination du Projet de la carte sismo-tectonique de la France (CEA, EDF, BRGM) dans le contexte du programme nucléaire français, ce qui l’a conduit à prendre ses distances par rapport à une « science affirmative » et à combattre le « catastrophisme taziévien » (du nom d’Haroun Tazieff qui propageait une « psychose sismique »), enfin à entreprendre une révision de la « sismicité historique » malgré l’opposition du professeur Jean-Pierre Rothé ©. Dans ce domaine, il a multiplié après 1985 les consultations à titre bénévole et participé à divers arbitrages (URSS, tunnel sous la Manche, etc.). 3. Le problème des « risques naturels », du reste élargi à l’étude des tempêtes, devait conduire Jean Vogt, dans une perspective géotechnique, à s’intéresser aux mouvements de terrain, souvent associés d’ailleurs aux séismes, en collaboration avec Michel Humbert. C’est à titre personnel qu’il s’est penché sur l’érosion historique des sols (en Alsace, mais également en Périgord, en Allemagne, etc.). Marginales, ces activités ont alimenté de nombreux articles sans épuiser le dossier. L’ensemble des travaux de Jean Vogt impliquait la fréquentation de multiples bibliothèques et fonds d’archives tant en France qu’à l’étranger (Zurich, La Haye, Harvard, Fidji, pour n’en citer que quelques-uns). Il a donné lieu à de nombreux textes dont beaucoup sont restés inédits.
4. Sans être historien de profession, il a apporté une contribution essentielle à l’histoire d’Alsace, Jean Vogt étant considéré comme l’un des meilleurs ruralistes de l’espace rhénan, avec de multiples travaux sur l’évolution des cultures et des assolements du Moyen Âge à nos jours, sur l’élevage et le commerce du bétail, sur la tenure et la propriété, sur les conflits sociaux, révélateurs de processus techniques, d’enjeux économiques et de réflexes mentaux. Reposant sur des sources, des interprétations et des cheminements différents, le « désaccord historique » avec Étienne Juillard © portait essentiellement sur l’ancienneté de l’assolement biennal et la nature de la « révolution agricole » ainsi que sur le rôle de la propriété bourgeoise dans la campagne alsacienne. Affichant une totale indépendance d’esprit vis-à-vis des institutions et des écoles, des rituels et des clichés, Jean Vogt a étayé ses démonstrations par l’analyse fouillée de sources d’archives, souvent méconnues ou inexplorées, d’une prodigieuse richesse. Son œuvre, immense quoique très dispersée, a mis l’accent sur la nécessité d’éclairages nouveaux pour l’histoire rurale dans un contexte élargi dépassant le microcosme alsacien.
Bibliographie sommaire : Sélection de travaux portant sur la géomorphologie, la sismologie et l’érosion des sols : « Protection des sols et modes de tenures dans l’ancienne agriculture », Bull. CTHS, section de géographie, 1957, p. 118-129 ; « Terrains d’altération et de recouvrement en zone intertropicale », Bulletin du BRGM, 1966, n° 4, p. 1-49 ; « Die Kartierung der Quartär-Ablagerungen bzw.der Formations superficielles im Rahmen der geologischen Landesaufnahme in Nordwest-Deutschland (Niedersachsen) und Frankreich », Geologisches Jahrbuch, A7, 1973, p. 1-23 ; « Archives et géologie appliquée. Séismes, glissements, éboulements, érosion anthropique », La Gazette des Archives, nouvelle série n° 98, 3e trimestre 1977, p. 131-136 ; « L’apport des archives à la connaissance géologique du Vaucluse : glissements, éboulements, séismes », Études vauclusiennes, Juillet-décembre 1977, p. 1-7 ; Les tremblements de terre en France (dir.), Mémoire du BRGM, 96, 1979 ; « Problèmes majeurs de la cartographie des formations superficielles et de ses applications », Bull. de l’Association française pour l’étude du Quaternaire, 1981/1, p. 5-7 ; article « Tremblements de terre », Encyclopédie de l’Alsace, Strasbourg, 1982-1986, t. XII, p. 7419-7420 ; « Notice explicative sur la feuille Humboldt-Port-Bouquet (Jean Vogt et alii) », Territoire de la Nouvelle-Calédonie, BRGM, 1983, 68 p. ; « Révision de deux séismes majeurs de la région d’Aix-La-Chapelle-Verviers-Liège ressentis en France : 1504, 1692 », Tremblements de terre, histoire et archéologie, IVe Rencontres internationales d’archéologie et d’histoire d’Antibes, novembre 1983, Actes, 1984, p. 9-21 ; « Problèmes de sismicité historique : exemples de faux séismes, de séismes méconnus et de séismes réinterprétés dans l’ensemble Allemagne / Belgique / Nord-Ouest de la France / sud de la Grande-Bretagne », Seismic Activity in Western Europe, Liège, novembre 1983, Dordrecht / Boston / Lancaster, éd. D. Reidel, 1984, p. 205-214 ; « Mouvements de terrain associés aux séismes dans les Pyrénées », Revue géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest, 55/1, 1984, p. 49-56 ; « Riesame di sismi : richerche in Francia », Quaderni storici, 60, 1985, p. 743-770 ; « Sismicité historique: ambiguïtés sismologiques », Seismic Hazard in Mediterranean Régions, Strasbourg, juillet-août 1986, Dordrecht / Boston / London, Kluwer, 1988, p. 369-382 ; « L’exploitation de gîtes de minerai de fer des plaines et collines du nord de la Basse-Alsace par les Dietrich, leurs prédécesseurs et leurs concurrents », Revue d’Alsace, 112, 1986, p. 223-254 ; « La laborieuse naissance de l’Association sismologique internationale : la crise de 1903-1905 », Travaux du Comité français d’histoire de la géologie, troisième série, t. I, séance du 25.11.1987, n° 8, p. 61-64 ; « Quatre décennies de recherches et de publications sur l’érosion historique des sols. Bilan d’une activité marginale », Newsletter, European Society of Soil conservation, 1989/3 p. 9-11 ; Aspects of historical soil erosion in Western Europe, The silent countdown, Berlin-Heidelberg, 1990, p. 83-91 ; « Die Erdbebenfolge vom Mai 1733 im Rheingebiet », Mainzer Naturw. Archiv, 29, 1991, p. 65-69 ; « Some glimpses at historical seismology », Tectonophysics, 193, 1991, p. 1-7 ; « Ouragan et séisme (France de l’Est, Allemagne et Suisse: 1523 et 1756) », Revue géographique de l’Est, 1992/1, p. 3-10 ; Coup d’œil à la sismicité historique des trois Guyanes. Essai de sismologie historique et d’histoire des Sciences, Boletin de Historia de las Geociencias en Venezuela, 48, 1993, p. 1-4 ; « Coup d’œil à la sismicité historique de la moyenne vallée de la Durance », Hommage à P. Gabert, Caen, CNRS, 1993, p. 223-229 ; « Quiproquos à propos de thèmes rhénans en 1776 », Historical Investigations of European Earthquatœs. Materials of the CEC Project Review of Historical Seismicity in Europe (dir. P. Albini, A. Moroni), Milan, 1994, t. Il, p. 139-141 ; « Insuffisances flagrantes de la transmission du savoir en matière de sismologie historique », 118e Congrès du CTHS, Pau, 1993, Actes, 1996, p. 157-162 ; « Tremblements de terre controversés de l’Antiquité en Tunisie, Proceedrings of the regional Workshop on archaeoseismicity in the Mediterranean Région, novembre 1992 », Actes, 1996, p. 45-49 ; « The weight of pseudo- objectivity », Annali di geofisica, XXXIX, 5, octobre 1996, p. 1005-1011 ; « La géographie : lui échapper, en réchapper, aller de l’avant. Quelques souvenirs ou les joies d’un itinéraire interdisciplinaire, Géographie(s) et langage(s). Interface, représentation, interdisciplinarité », Actes du colloque IUKB-IRI, 1997, Sion, 1999, p. 83-88 ; « Coup d’œil à l’érosion historique des sols en Périgord », Archistra, 183, 1999, p. 135-141 ; « Sismicité historique du domaine ottoman : types de sources occidentales et exemples de témoignages, Natural disasters in the ottoman Empire », Rethymnon, 1999, p. 15-53 ; « Les minières du Nord-Ouest de l’Alsace », Annuaire de la Société d’histoire de Reichshoffen et environs, juin 2000, p. 8-3 ; « Sismicité et sismotectonique il y a un quart de siècle : la quadrature du cercle », Archistra, 207, mai 2001, p. 136-139 ; « L’ouragan destructeur de la mi-janvier 1739 », Les Vosges, 2001/1, p. 13-16 ; « Autour de la sismicité. Souvenirs et propos à l’emporte-pièce », Travaux du Comité français d’histoire de la géologie, t. XIV, 2001, n° 4, p. 15-27.
Travaux d’histoire agraire et rhénane concernant l’Alsace et l’espace rhénan : la bibliographie incomplète proposée par I’Histoire de l’Alsace rurale (dir. J-M. Boehler / D. Lerch / J. Vogt), Strasbourg-Paris, 1983, est à présent dépassée. Y supplée, pour l’essentiel, malgré ses lacunes et quelques erreurs, la Bibliographie alsacienne. Jean Vogt. Histoire agraire rhénane (1952-1999) établie par N. Bisel sous la direction de J.-Y. Mariotte et publiée en coédition, en avril-mai 2000, par l’Université Robert Schuman et les Archives municipales de Strasbourg. Dès à présent une importante collection d’articles de l’auteur a été déposée aux Archives départementales du Bas-Rhin.
Jean-Michel Boehler (2002)
† Strasbourg 5.6.2005
« Jean Vogt 1929-2005 », Géochronique n° 99, septembre 2006.
Philippe Legin (avril 2022)