(★ Bischwiller 3.1.1921). Fils de Robert Strauss, marchand de drap, puis représentant de commerce, et de Germaine Meyer. ∞ 29.11.1947 à New York Évelyne Meyer (★ Strasbourg 22.4.1923) ; 2 enfants. Vigée est issu d’une famille juive établie en Alsace au moins depuis le XVIIe siècle. Sa première langue a été le dialecte alsacien de son lieu natal. Le poète allait lui rester fidèle. Grâce à son grand-père maternel, l’enfant connut également le judéo-alsacien. Après l’école à Bischwiller, il a poursuivi ses études au lycée Fustel de Coulanges à Strasbourg. Mais en 1939, la guerre, puis l’invasion allemande ont entraîné l’exil. Autorisé à poursuivre ses études à la faculté de Médecine de Toulouse au titre du « numerus clausus », il entra dans cette ville en contact avec des proches de Mandel ©. Avec eux, il adhéra, en mai 1941, à une sorte de société secrète, la Main forte, puis au Bné David, Mouvement national d’action juive, qui se consacrait alors à l’aide aux juifs étrangers internés. Avec sa mère, il obtint des passeports et un visa de sortie de France qui leur permit de passer le 26 octobre 1942, 16 jours avant l’arrivée de l’armée allemande, en zone Sud, en Espagne, et, via Lisbonne, aux États-Unis. C’est à cette époque qu’il a pris le nom de Vigée : variation phonique sur « Vie j’ai », transposition de la formule biblique ‘Hay-Ani (Isaïe, XLIX, 18), affirmation des forces sacrées de la Vie, de l’identité juive en ces temps mortifères. Durant ces années d’exil, il a soutenu un doctorat ès lettres qui lui a permis d’enseigner la littérature française et comparée à l’Ohio State University, puis à l’Université de Brandeis (Boston) dont il a dirigé le département de français jusqu’en 1959. C’est durant ces années américaines que l’écrivain, encouragé notamment par Saint-John Perse et Albert Camus, s’est fait connaître par des publications critiques et poétiques en France. En 1960, il a été nommé professeur à l’Université hébraïque de Jérusalem, poste qu’il a conservé jusqu’à sa retraite en 1983, tout en partageant sa résidence entre Jérusalem et Paris. Dès l’après-guerre, Vigée est revenu régulièrement en Alsace où il ne cesse de participer activement à la vie littéraire. Il est devenu l’un des écrivains français les plus marquants, auteur fécond de poèmes, récits, journaux intimes, critiques et entretiens. Il faut signaler de même le travail du traducteur-médiateur : de Rilke à T. S. Eliot, des adaptations de l’hébreu à l’ultime recueil en langue allemande d’Yvan Goll, Traumkraut (L’herbe du songe), et à la poésie alsacienne, notamment de Nathan Katz ©. L’écrivain a toujours refusé la fiction. « Au lieu d’un roman théâtral fabriqué, j’écrirai ici mon judan — la parole surgie intacte et nue de mon présent sur cette terre ». Cette citation mise en exergue au « judan » de Délivrance du souffle caractérise l’œuvre entière. Ses livres sont tou- jours et avant tout des témoignages, sous le signe d’une quête du sens. Rien de plus révélateur que son opposition à ce qu’il appelle « le refus du monde » et la « négation de la vie » dans la modernité poétique occidentale. Le poète éprouve toute la force de la crise du sens et du langage, mais il affirme d’autant plus fortement une poésie qui intègre l’épreuve de la négation dans une lutte contre le non-sens. Cette quête apparaît de plus en plus inspirée par une poétique du souffle ainsi que par l’exégèse biblique et les étymologies de l’hébreu. Elle est tout aussi inséparable de la langue natale. Le dialecte alsacien est resté présent chez Vigée jusque dans l’exil américain, mais ce n’est que tardivement, au cours des années 80, à Jérusalem, qu’il a composé (« pour arracher le vieux bâillon du fond de ma gorge ») deux textes majeurs de la littérature dialectale, les épopées lyriques Schwàrzi sengessle flàckere ém wénd, En elsàssisches Requiem et Wenderôwefir accompagnées d’une version française, Les orties noires flambent dans le vent et Le feu d’une nuit d’hiver. Tendues entre le lyrisme et le grotesque, l’humour noir et l’envol spirituel, elles réalisent exemplairement la transmutation de la langue populaire en langue poétique. L’écrivain n’a cessé d’affirmer sa double identité alsacienne et juive (selon sa formule mémorable: « Je suis un Juif alsacien, donc doublement Juif et doublement Alsacien »), de défendre et illustrer le dialecte, de proposer une analyse lucide du « problème alsacien », en premier lieu du problème linguistique. Il a également entrepris une vaste saga familiale autour de son enfance alsacienne, Un panier de houblon, un document autobiographique et historique, qui restitue la vie de la communauté juive en Alsace. Parfois surgissent jusque dans sa poésie en langue française des vers et vocables allemands, l’exemple le plus significatif étant celui du poème Soufflenheim : le poète retrouve sa Heimat dans le lieu à la fois réel (selon le nom du village alsacien) et imaginaire (d’après le jeu de mots franco-allemand : « Heimat des Hauches / patrie du souffle »), « un midrash tout neuf » (comme il l’explique dans Pâque de la parole) où se rencontre l’origine alsacienne et juive. L’œuvre se situe finalement au carrefour des trois cultures (juive, française, allemande) et en tire sa substantielle originalité. Tout en restant à l’écart des modes et médias, elle a été couronnée de prix français (notamment en 1994 par le Prix des arts, des lettres et des sciences de la Fondation du judaïsme français, et, en 1996, le Grand Prix de poésie de l’Académie française), allemands ou alémaniques (Jakob-Burckhardt-Preis 1977, Johann-Peter-Hebel-Preis 1984). Officier de la Légion d’honneur (1998). Il a été élu membre de la Deutsche Akademie für Sprache und Dichtung. L’Alsace lui a décerné un Grand Bretzel d’Or (1993) et, en l’an 2000, a été inauguré à Bischwiller le Centre culturel Claude Vigée.
L’Été indien (poèmes et journal), Paris, 1957 ; Les artistes de la faim (essais critiques), Paris 1960 ; Révolte et louanges (essais critiques), Paris, 1962 ; Moisson de Canaan, Paris, 1967 ; La Lune d’hiver (récit, journal, essai), Paris, 1970 ; Le soleil sous la mer (poèmes 1939-1971), Paris, 1972 ; Délivrance du souffle, Paris, 1977 ; Du bec à l’oreille (album de textes), Strasbourg, 1977 ; L’art et le démonique (essais), Paris, 1978; L’extase et l’errance (essais), Paris, 1982 ; Pâque de la Parole (poésie, journal, essais), Paris, 1983 ; Le parfum et la cendre (entretiens), Paris, 1984 ; Les orties noires (poèmes et prose), Paris, 1984 ; Heimat des Hauches (Gedichte und Gespräche), Baden Baden, 1985 ; Une voix dans le défilé, Vivre à Jérusalem (Chronique 1960-1985), Paris, 1985 ; La manne et la rosée (essais), Paris, 1986 ; La faille du regard (essais et entretiens), Paris, 1987 ; Wénderôwefîr / Le feu d’une nuit d’hiver, Strasbourg, 1988 ; La manna e larugiada, Rome, 1988 ; Aux sources de la littérature moderne I (essais), Paris 1989 ; Le feu d’une nuit d’hiver (poèmes), Paris, 1989 ; Leben in Jérusalem, Baden-Baden, 1990 ; Apprendre la nuit (poèmes), Paris, 1991 ; Selected Poems, Londres, 1992 ; Dans le silence de l’Aleph (essais), Paris, 1992 ; L’héritage du feu (essais, poèmes, entretiens), Paris, 1992 ; Le puits d’eaux vives (avec V. Malka), Paris, 1993 ; Un panier de houblon, I et II, Paris, 1995 ; Treize inconnus de la Bible (avec V. Malka), Paris, 1996 ; Soufflenheim (Poèmes / Gedichte), Heidelberg, 1996 ; La maison des vivants, Images retrouvées, Strasbourg, 1996 ; Aux portes du labyrinthe (poèmes 1939-1996), Paris, 1996 ; Bischweiler oder der grosse Leopold, Jüdische komödie, Berlin, 1998 ; La Lucarne aux étoiles. Dix cahiers de Jérusalem, Paris, 1998 ; Le grenier magique (album, en coll. avec A. Dott), Bischwiller, 1998 ; Vision et silence dans la poétique juive, Demain la seule demeure (essais et entretiens 1983-1996), Paris, 1999 ; Les orties noires / Schwàrzi sengessle, Strasbourg, 2000 ; Le passage du vivant, Paris, 2001 • Traductions ; Cinquante poèmes de Rainer Maria Rilke, Paris, 1953,1957 ; Mon printemps viendra, poèmes de D. Seter, Paris, 1965 ; Les yeux dans le rocher, poèmes de D. Rokéah, Paris, 1968 ; L’herbe du songe, poèmes d’Yvan Goll, Paris 1971,1989 ; Le vent du retour, poèmes de Rainer Maria Rilke, Paris, 1989 ; Quatre quatuors, poèmes de T.S. Eliot, Londres, 1992.
- Filmographie : Claude Vigée, De la Basse Alsace à la Haute Judée, FR3-Alsace, 1985 ; Claude Vigée, Maison de la poésie, Paris, 1989 ; Claude Vigée, Exil ist überall, Saarländischer Rundfunk, 1990 ; Clande Vigée, CRDP Strasbourg, 1990.
- Discographie : Les orties noires / Schwarzi sengessle, EMA Strasbourg, 1995 ; Claude Vigée, Aux portes du labyrinthe et autres poèmes, Lectures Écritures, Strasbourg, 1998 ; Soufflenheim, seize poèmes de Claude Vigée, musique de Hans- Georg Renner, SWR Mannheim, 2000 ; L’œil témoin de la parole, rencontre autour de Claude Vigée, essais réunis par D. Mendelson et C. Leinman, Paris, 2001.
J.-Y. Lartichaux, Claude Vigée, Paris, 1978 ; A. Finck, Lire Claude Vigée, Strasbourg, 1990 ; Colloque Claude Vigée, Revue alsa- cienne de littérature, n° 30, 1990 ; La terre et le souffle, Claude Vigée, Actes du colloque de Cerisy sous la direction de M. Finck et H. Perras, Paris, 1992 ; Hommage à Claude Vigée, textes réunis et présentés par A. Finck, Revue alsacienne de littérature n° 73, 2001 ; A. Finck, Claude Vigée, un témoignage alsacien, Strasbourg, 2001 ; L’œil témoin de la parole, rencontre autour de Claude Vigée, essais réunis par D. Mendelson et C. Leinman, Paris, 2001.
Adrien Finck (2002)
† Paris 2.10.2020
Michaël de Saint-Chéron, « Claude Vigée est mort à 99 ans. C’était un grand poète qui savait « danser sur l’abîme » », L’Obs, 2.10.2020.
Philippe Legin (avril 2022)