Skip to main content

THIETMAR (THETMAR)

Le personnage de maître Thietmar et l’œuvre qu’il a laissée sont tous deux très mal connus, y compris des hommes du XIIIe siècle qui ne mentionnent pratiquement jamais ni son existence ni son récit. Seule une chronique, rédigée entre 1491 et 1508 par un frère mineur, parle d’un pèlerin nommé Dithmar qui avait écrit, en 1217, pour le pape, un traité sur l’état de la Terre Sainte. Or, le récit laissé par Thietmar date de 1217, c’est-à-dire l’année de la cinquième croisade dont il ne parle d’ailleurs pas. L’assimilation de Dithmar à Thietmar est donc assez pertinente, et permet d’en faire probablement un frère mineur, qui fit partie de la première vague des missionnaires franciscains ayant suivi ou accompagné saint François lui-même en Égypte. Si l’on croit une phrase de son récit, il serait originaire de Westphalie et non d’Alsace comme pourrait le faire croire sa place dans le dictionnaire, puisqu’il parle de compatriotes prisonniers des musulmans à Damas. La tradition du pèlerinage est très vivante en Europe occidentale pendant toute la période médiévale, mais, au XIIIe siècle, elle cohabite avec l’éclosion de la croisade, du pèlerinage armé avec lequel elle tend parfois à se confondre. L’esprit de Thietmar reste cependant essentiellement celui du pèlerinage et de la découverte d’un nouveau monde, ce qui rend parfois suspect ce genre d’activités auprès d’esprits méfiants comme l’avait été celui de saint Augustin pour la haute période. Quoi qu’il en soit, le pèlerinage et le récit qui l’accompagnent sont des éléments clés de la foi chrétienne, dont ils sont le principal rite pénitentiel, et de l’esprit de découverte qui fonctionne de manière très opérationnelle au XIIIe siècle.  Pourtant, l’époque où partit Thietmar est une époque difficile pour les occidentaux en Terre Sainte : Saladin a repris Jérusalem après le désastre infligé à Hattin aux chevaliers francs en 1187 et ce récit est le seul, qui date d’une époque peu sûre, où la présence franciscaine est encore balbutiante. Pour pallier les dangers que pourrait courir un franciscain égaré en Palestine, le voyageur se déguise en moine géorgien, se faisant pousser la barbe pour assurer sa tranquillité. Son récit est avare de détails biographiques, mais riche de curiosité historique et paysagère, pour les pays et leurs habitants. Il livre la clé de son livre en quelques mots ; « mon livre a été composé sans apprêts, en toute simplicité, pour occuper mes loisirs et me remémorer les lieux que j’ai visités en Terre Sainte et les miracles que la puissance de Dieu y a accomplis ». Ses centres d’intérêt sont multiples : il note les ruines, celles trahissant le reflux franc ; le saint Sépulcre notamment, mais aussi, les ruines des temps antiques. En évoquant les lieux, il se réfère comme tout récit de pèlerinage aux textes sacrés ; il fait une lecture topographique de la Bible mais également des légendes antiques qu’il intègre sans difficulté à son œuvre, sortant par là des description habituelles. Les paysages avec leurs animaux exotiques, les fleurs, la sécheresse et les montagnes élevées de la Transjordanie, révèlent l’homme du nord, des plaines, mais aussi tout simplement l’occidental découvrant un monde démesuré qu’il n’imaginait pas : 30 ans plus tard, son confrère Guillaume de Rubrouck eut les mêmes réflexes devant les dimensions stupéfiantes de l’Asie centrale. Ses relations avec les divers habitants sont également décrites avec vivacité et pittoresque : ainsi rencontre-t-il des Francs restés en Terre Sainte après Hattin, des Sarrasins ennemis qui le font prisonnier mais qui, malgré tout, partagent les mêmes valeurs de la chevalerie et le goût des exploits.
L’originalité de Thietmar réside aussi dans la lecture qu’il fait de l’Islam ; il s’informe des coutumes, des rites, des pratiques religieuses, il en critique certains aspects notamment l’attitude vis-à-vis des femmes, mais il rappelle surtout qu’il s’agit d’une religion dont l’un des rites majeurs est celui du pèlerinage à la Mecque, qu’il compare au pèlerinage à Jérusalem pour un chrétien. Comparer et mettre quasiment sur le même plan les deux rites, montre combien l’esprit curieux de Thietmar était celui d’un franciscain soucieux de l’amour des autres et de la conversion, conformément à l’idéal développé dans la règle donnée par François d’Assise. La fin de sa vie nous est encore moins connue : il faut probablement imaginer qu’il rejoignit son couvent en Europe dans lequel il écrivit cette relation, pleine d’enthousiasme et de fraîcheur, destinée au pape soucieux de promouvoir une croisade de reconquête de la Terre Sainte.

Le texte latin de Thietmar se trouve dans l’édition de J. C. M. Laurent, Magistri Thietmari peregrinatio, Hambourg, 1857 d’après un manuscrit de Hambourg et de plusieurs autres sans précision. Une édition française d’extraits a été publiée par C. Deluz dans Croisades et pèlerinages. Récits, chroniques et voyages en Terre Sainte XIIe-XVIe siècle, Paris, 1997, p. 928-958.

Sur le pèlerinage en Terre Sainte : A. Grabois, « Les pèlerins occidentaux en Terre Sainte au Moyen Âge », Studi Medievali, 30, 1989, p. 15-48 ; M. Michelant et G. Reynaud, Itinéraires à Jérusalem et description de la Terre Sainte rédigées aux XIe, XIIe et XIIIe siècles, Genève, 1882 ; Le pèlerinage, numéro spécial des Cahiers de Fanjeaux n° 15, Toulouse, 1980 ; J. Prawer, Histoire du royaume latin de Jérusalem, t. I et II, traduit de l’hébreu, Paris, 1969-1971, rééd. 1977 ; J. Richard, Les récits de voyage et de pèlerinage, Turnhout, Brepols, coll. « Typologie des sources du Moyen Âge occidental », n° 38, 1981 ; Ph. Senac, L’image de l’autre, l’occident médiéval face à l’Islam, Paris, coll. L’histoire, 1983, rééd. 2000.

Références bibliographiques dans Sitzmann, Dictionnaire de biographie des hommes célèbres de l’Alsace, Rixheim, t. 2, 1910, p. 868-869.

Christine Bousquet-Labouérie (2001)