Prédicateur dominicain (★ Strasbourg vers 1300 (36 ans en 1336) † Strasbourg, Saint-Nicolas-aux-Ondes, 16.6.1361). Tauler fut l’une des grandes figures de Strasbourg, comme en témoigne sa pierre tombale, commandée certainement par ses amis, qui se trouve encore dans l’église du Temple-Neuf (à l’emplacement de l’ancien couvent des Dominicains) et qui le présente comme un vivant, comme un autre Christ. Tauler marqua tout le Moyen Âge occidental de son impact spirituel. Il fut largement estimé dans les milieux protestants, en raison du jugement très positif de Luther sur ses sermons, ainsi que par l’histoire apocryphe de sa conversion dans le Meisterbuch (Livre du maître), qui a été ajouté à toutes les éditions. La mystique de la souffrance que l’on trouve dans cet écrit apocryphe que sont les Exercices a également eu une influence considérable au cours des âges. Au XVe siècle, il fut présenté ainsi par Johannes Meyer : « Frère Jean que l’on nomme Tauler, amoureux de Dieu et fervent prédicateur ». Issu d’une famille aisée de conseillers strasbourgeois, dont le nom figure dans la chronique de Strasbourg avec des orthographes différentes: Tauller, Taweler, Tauweler, Thauler, Thaler. La famille habitait le quartier de Finkwiller. Tauler y resta jusqu’à son entrée chez les Dominicains, à l’âge de 14 ou 15 ans. Quelques années plus tard, l’une de ses sœurs, Greda, devint également dominicaine. Pour sa part, Tauler ne précise pas les motifs de son choix, mais il en est heureux et ses talents de prêcheur se manifestent rapidement. Il devint assistant des moniales et sut toucher et convertir la population de Strasbourg. Au cours de ses études à Strasbourg et peut-être plus tard à Cologne (il ne dit rien de ses études qui ont dû durer 6 ou 8 ans), il a dû connaître personnellement Eckhart © (tout d’abord à Strasbourg où il résida entre 1313 et 1323/1324), dont il devint, avec Suso, l’un des plus fervents disciples. Il le nomme d’ailleurs : « très cher maître ». Il reprit les principales intuitions d’Eckhart et les rendit plus accessibles, en les exprimant par des métaphores empruntées à la vie quotidienne. Rapidement, Tauler fut chargé, comme l’était Eckhart, de la prédication auprès des moniales, très nombreuses dans la région : sept monastères à Strasbourg, un qui est resté célèbre à Colmar (Unterlinden), 70 entre Cologne et Colmar. Il aurait passé toute sa vie à Strasbourg si l’interdit de l’Empire (en raison de la lutte entre Louis de Bavière et la papauté) n’avait frappé les Dominicains qui durent partir- en exil à Bâle entre 1338-1339 et 1342-1343. C’est là qu’il fit la connaissance de Henri de Nördlingen qui lui fit rencontrer les Amis de Dieu. De retour à Strasbourg, il resta en dialogue avec lui et d’autres Amis de Dieu, dont le banquier Rulmann Merswin ©, pour lequel il joua un rôle décisif à partir de 1347. Le couvent des Dominicains de Strasbourg, dont les origines se situent autour de 1224, connut diverses tribulations avant de pouvoir s’installer, à l’intérieur de la ville, près de l’actuelle place Kléber. À l’époque de Tauler, le contexte était plus serein et le rayonnement spirituel s’accrut. Mais, en 1338-1339, les Dominicains durent quitter la ville, favorable à l’empereur Louis de Bavière, et de ce fait, frappée d’interdit par le
pape. Ils partirent, alors, pour Bâle où ils restèrent jusqu’en 1342-1343, date à laquelle ils purent bâtir le chœur de leur église de Strasbourg.
Tauler mit largement à profit son séjour à Bâle. Il donna toute sa mesure à sa prédication auprès des moniales et rencontra, de cette manière, et également par l’intermédiaire de Henri de Nördlingen, les Amis de Dieu : des religieux, des religieuses et des laïcs, en quête de radicalité évangélique et proposant une voie mystique originale. Ainsi Tauler fit-il la connaissance de la mystique Marguerite Ebner, une moniale dominicaine du couvent de Maria Medingen (1291-1351) qui, dans ses Révélations, fut l’une des premières à promouvoir le terme d’Amis de Dieu. Elle désignait par-là ceux qui vivent de l’amour de Dieu. Un échange de correspondance s’établit entre Tauler et Marguerite Ebner, mais il semble que parmi les lettres dont nous disposons, une seule soit authentique. Tauler lui rendit visite et lui demanda si sa mort serait prochaine; elle lui répondit que Jésus « l’a assuré de la vie éternelle ». Henri de Nördlingen envoya L’Horloge de la Sagesse de Suso à M. Ebner. Tout un milieu de vie se créa ainsi à Medingen, autour de Marguerite Ebner et
d’EIsbeth Scheppach, puis à Bâle, et quelques années plus tard à Strasbourg. Henri de Nördlingen s’en fit l’écho dans sa correspondance et présenta Tauler comme une personnalité très connue et impressionnante. De retour à Strasbourg (vers 1242-1243), Tauler ne laissa pas pour compte ce groupe d’Amis de Dieu. Au contraire, il contribua à la venue de Henri de Nördlingen, rencontra d’autres Amis de Dieu de Strasbourg, dont Rulman Merswin, un de ses disciples les plus fervents, dont il fut le père spirituel et il permit à ce groupe de prendre sa pleine dimension à l’intérieur de l’Église. À plusieurs reprises dans ses Sermons, il évoqua et défendit les Amis de Dieu et surtout, il exhorta chacun à devenir un véritable ami de Dieu, « à
apprendre, avant tout art, celui de la charité » (Sermon 76). Si Eckhart fut profondément marqué par la mystique rhéno-flamande, alors qu’il était assistant des moniales dominicaines à Strasbourg principalement, à tel point que cette mystique orienta toute sa prédication allemande, c’est à Bâle, avec la même charge, que
Tauler rencontra le groupe des Amis de Dieu et cette expérience fut décisive dans sa vie. Elle orienta sa prédication. Or, Tauler fut un des grands prédicateurs du Moyen Âge. Il s’adressa non seulement aux moniales, mais aussi au peuple
de Strasbourg. En tant que Dominicain, il fut connu comme un maître de vie (Lebemeister) et non comme un Lesemeister. Tauler voyagea beaucoup pour son époque. Il se rendit à Paris et à Grönendal, Pays-Bas, dans les dernières années de sa vie et y rencontra Ruysbroeck.
Son œuvre, telle qu’elle nous a été transmise, est essentiellement constituée de sermons, 81, au total, qui témoignent de sa prédication et de son rayonnement spirituel. Il y a deux versions ou manuscrits) de ces sermons ; l’une alémanique, l’autre de Basse-Alsace, toute aussi ancienne. Le nombre des sermons n’est pas le même dans chaque manuscrit. Les apocryphes : les Institutions, les Exercices et le Meisterbuch qui décrit sa conversion et développe sa biographie, ne sont pas de sa main. Voir G. Hofmann, Johannes Tauler. Ein deutscher Mystiker. Gedenkschrift zum 600. Todestag, Essen, 1961, p. 460-479 (ample bibliographie).
Œuvres : Die Predigten Taulers. Aus der Engelberger und der Freiburger Handschrift sowie aus Schmidts Abschriften der ehemaliger Strassburger Handschriften, hrsg. von F. Vetter, Berlin, 1910, rééd. 1968 ; Johannes Tauler, Predigten, intr. de G. Hofmann, Friburg/Br., 1961, rééd. 1979 ; Jean Tauler, Sermons, Paris (coll. « Sagesses chrétiennes »), 1991.
Commentaires : J.-A. Bizet, Mystiques allemands du XIVe siècle : Eckhart-Suso-Tauler, Paris, 1957 ; A. Haas, Nim din selbes war. Studien zur Lehre von der Selbsterkenntnis bei Meister Eckhart, Johannes Tauler und Heinrich Seuse, Fribourg, 1971 ; L. Gnädinger, Johannes Tauler. Lebenswelt und mystische Lehre, Munich, 1993 ; K. Ruh, Geschichte der abendländischen Mystik, t. 3, Munich, 1996, p. 478-526.
Sitzmann, Dictionnaire de biographie des hommes célèbres de l’Alsace, Rixheim, t. 2, 1910, p. 858-859; Encyclopédie de l’Alsace, XII, p. 7231-7232; S. Eck, Initiation à Jean Tauler, Paris, 1994.
Marie-Anne Vannier (2000)