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STOER (STOER von STOERENBURG)

Famille noble de Haute-Alsace. Cités en 1235 dans la mouvance de l’abbaye de Murbach, vraisemblablement comme ministériaux, puis comme vassaux, les Stoer ne se désignent comme Stoer de Stoerenbourg qu’à partir de la deuxième moitié du XVIe siècle, à l’instar des Waldner, appelés de Freundstein au même moment. La ruine éponyme n’est connue sous ce nom qu’en 1576 et rien ne prouve qu’elle soit à l’origine de la famille, bien que celle-ci ait pu être issue des sires de Saint-Amarin dont elle partageait les armoiries (de gueules à la bande de vair) et dont elle reprit les fiefs au milieu du XIVe siècle. Fortement implantée dans la vallée de Guebwiller (ce qui valut à plusieurs de ses membres la désignation Stoer de Guebwiller), elle disposait d’un patrimoine qui lui venait de différents suzerains: l’abbé de Murbach, avec le château du Hohrupf (1311-1469), de la maison d’Autriche, principalement à Ensisheim où elle détenait un fief castral, des évêques de Strasbourg (Pfaffenheim, Eguisheim) et de Bâle, des Rappoltstein/Ribeaupierre © ; elle profita également de l’extinction d’autres lignages. Illustrée par de nombreux chevaliers (Conrad, † à la bataille de Sempach en 1386, Hans /Jean, commandant les contingents chargés de rétablir l’ordre après le passage des Armagnacs (1445), Diebolt/Thiébaut, tué lors de l’attaque de Munster par Wersich Bock von Stauffenberg © en 1467), elle fut la bienfaitrice du couvent de Dominicaines d’Engelpforten (à Guebwiller, 1298) et plaça de nombreux cadets dans les maisons religieuses de la région dont Wilhelm/Guillaume, prieur dominicain à Guebwiller en 1332, le bâtard Burcard, chanoine de Colmar et prévôt de la collégiale d’Amsoldingen au milieu du XVe siècle, Barbara et Ursula, respectivement prieure et économe d’Unterlinden (1573). Divisée en plusieurs branches et prolongée par des rameaux bâtards, elle s’éteignit officiellement en 1595, après avoir été illustrée par Humbrecht/Humbert (cité en 1536, † 1585), capitaine lors du siège de Bourg-en-Bresse en 1556, puis en Hongrie en 1566.

J. Flory, « Le dernier Jean-Rodolphe Stoer », Revue d’Alsace, 1930, p. 361-373;
G. Bischoff, « Une famille noble de Haute-Alsace à la fin du Moyen Âge et au début des temps modernes, les Stoer de Stoerenbourg », Annuaire de la Société d’histoire des régions de Thann-Guebwiller, t. 15, 1983-1984, p. 9-22.

  1. Wilhelm/Guillaume,

abbé de Murbach († à la fin de l’année 1387). Élu à la tête de l’abbaye bénédictine en janvier 1377, G. Stoer fut confirmé dans ses fonctions par le pape Grégoire XI et reçut ultérieurement la reconnaissance du roi Wenceslas. Ayant pris parti pour le pape d’Avignon Clément VII, en 1380, il encourut l’excommunication d’Urbain VI qui ne parvint pas à le déposer. Son abbatiat se traduisit par la concession de nouveaux fiefs à sa famille et par le maintien de liens préférentiels avec la Maison d’Autriche (traité monétaire de 1387). Il fut marqué par l’incendie qui détruisit la plus grande partie des bâtiments abbatiaux, le 10 septembre 1382, et par la reconstruction de ceux-ci. Il mourut excommunié.

A. Gatrio, Abtei Murbach im EIsa?, Strasbourg, 1895, A. Heitzler, notice Murbach, Helvetia sacra, 111/1, Berne, 1986 (index).

  1. Hans/Jean,

abbé de Lure (1458-1486). Connu sous le nom de Jehan Steure de Gabeurre (de Guebwiller), J. Stoer était hospitalier et custos de l’abbaye de Murbach quand il fut élu à la tête de l’abbaye de Lure en 1458. Sans doute organisée par le bailli autrichien Peter von Mörsperg/Pierre de Morimont ©, qui avait la garde du monastère au nom du duc d’Autriche, cette élection fut aussitôt contestée par Philippe le Bon, qui voulait imposer son propre candidat, le roturier Jean Bonnet, neveu de l’évêque d’Arras Jean Jouffroy. L’affaire s’envenima rapidement, à la suite de fausses manœuvres du bailli de Vesoul et de l’excommunication prononcée par le pape Pie II. Réfugié à Passavant, J. Stoer eut à subir une deuxième offensive en cour de Rome, à la suite des pressions de Louis XI, mais obtint finalement gain de cause (1463). Son administration temporelle fut rapidement confrontée aux appétits des voisins bourguignons, intéressés par les mines d’argent exploitées à Plancher depuis 1458. En 1470, Charles le Téméraire ordonna l’occupation de celles-ci et fit exiger un serment d’obéissance que J. Stoer refusa, malgré l’intervention brutale de Peter/Pierre von Hagenbach ©. Lors des guerres de Bourgogne et de leurs prolongements franc-comtois, l’abbaye de Lure parvint cependant à conserver son indépendance. C’est alors qu’elle entra réellement dans la mouvance de l’abbaye de Murbach, ce qui devint définitif en 1511/1513.

  1. Martin,

chevalier. Fils de Burckhard (★ av. 1468 † ap. 1525). Oncle de 4. Présent à la bataille de Calliano contre les Vénitiens en 1487 — ses armoiries figuraient sur un tableau votif conservé à Trente —, le chevalier M. Stoer servit dans l’armée de l’archiduc Sigismond, puis dans celle de l’empereur Maximilien Ier et fut grièvement blessé lors de la défaite de Dornach contre les Suisses le 22 juillet 1499. Stadtvogt d’Ensisheim à partir de 1496, membre de la Régence de l’Autriche antérieure jusqu’en 1523, il arbitra de nombreux procès à l’intérieur ou à l’extérieur de sa juridiction, notamment le fameux conflit des compagnons boulangers de Colmar contre leur ville en 1496. Il fut chargé de nombreuses missions diplomatiques et militaires, en particulier de la mise en place du plan de défense autrichien de 1515. Ses talents de négociateur lui donnèrent un rôle de premier plan lors de l’élection impériale de 1519, où il parvint à s’assurer de la neutralité des Confédérés suisses, pourtant favorables à François Ier. En 1525, il prit part aux opérations de rétablissement de l’ordre à la suite de l’insurrection paysanne.

  1. Johannes Rudolf/Jean Rodolphe,

prince-abbé de Murbach et de Lure (★ 1496 † 16.6.1570 ; inhumé à Rougemont, Doubs). Fils de Diebolt/Thibaut Stoer et Marguerite de Tavannes ; 3 frères, dont Paul, Obervogt de la principauté de Murbach en 1525. Coadjuteur de son parent Georg von Masmünster/Georges de Masevaux © depuis 1536, J.-R. Stoer fut élu abbé de Murbach et de Lure en mars 1542, malgré les prétentions de Heinrich/Henri von Jestetten © qui parvint à s’emparer du château abbatial de Hugstein avant d’en être délogé au début du mois d’avril. Son élection fut confirmée par Rome et suivie du renouvellement des régales des deux monastères par l’empereur Charles Quint (6 et 7 juillet 1542). Elle ouvrit le champ à un long abbatiat, marqué par la transformation d’une seigneurie territoriale en principauté moderne et par l’union définitive des deux abbayes, promulguée le 1er janvier 1560 après avoir été décidée cinq ans plus tôt et ratifiée par les moines en 1558. L’action de J.-R. Stoer se traduisit par une clarification des liens de Murbach et de Lure avec la maison d’Autriche : maintien des alliances de 1536 et 1539 (renouvelées en 1551) et de la participation aux états provinciaux des pays antérieurs (dans l’ordre de la noblesse, et non dans le Praelatenstand), mais limitation de la quote-part d’impôt contre les Turcs (Türckenhilfe) et, surtout, reconnaissance d’un statut d’immédiateté d’Empire. L’affirmation de ce dernier se concrétisa par des litiges (notamment par un long procès sur l’indépendance de Lure par rapport à la Franche-Comté, à la suite de la sédition de plusieurs sujets abbatiaux) et, surtout, par l’obtention du privilège de battre monnaie, reconnu par Charles Quint le 7 mars 1544. L’atelier monétaire établi à Guebwiller produisit des espèces communes aux deux principautés et frappa notamment des florins d’argent (1564). Placés en première ligne en cas de guerre entre Habsbourg et Valois, J.-R. Stoer intégra ses territoires aux systèmes de défense autrichiens. Considérée comme le verrou de l’Empire face à la France, et, à ce titre, destinée à recevoir une garnison allemande suivant la Landsrettung de 1553, Lure fut dotée d’une enceinte renforcée qui la protégea notamment lors des passages de mercenaires protestants en 1562, puis en 1568. Sous la conduite du chancelier Roch Mertzen, la vieille ruine du Wildenstein fut transformée en forteresse moderne destinée à barrer les routes de Lorraine, sous la menace française depuis le « voyage d’Allemagne » de Henri II en 1552. La consolidation des domaines abbatiaux donna lieu à un travail administratif sans précédent qui fut confié à une chancellerie siégeant à Guebwiller, promue chef-lieu de l’ensemble. Le terrier général (Urbar, Urbaire) composé en 1550 contient la description complète des biens, des revenus et des droits relevant de l’abbaye de Murbach et s’inscrit dans un processus de remise en ordre au lendemain de la guerre des Paysans. Ainsi, l’abbé remit la main sur les communaux et sur les forêts dont les Guebwillerois avaient l’usage et entra en conflit avec ses bourgeois, sollicitant la médiation du roi Ferdinand Ier (1564). Sur le plan économique, son abbatiat vit l’apogée des mines du sud du massif vosgien, notamment celles de Plancher-les-Mines ainsi que d’autres innovations comme la création d’un moulin à papier à Magny-Vernois, Haute-Saône. Prince de la Renaissance, à la rencontre de la culture française — il était membre de la confrérie noble de Franche-Comté — et de la culture germanique, J.-R. Stoer jouissait d’une grande réputation dans les milieux intellectuels de son temps et faisait figure de mécène. Le peintre bâlois Hans-Hug Klauber réalisa pour lui plusieurs ensembles de peintures, à la nouvelle église de Lure intra muros (1551) ou à l’église abbatiale de Murbach. Condisciple de J. Hofmeister ©, à Bâle — où il suivit les cours d’Œcolampade et de Grynaeus, ami du médecin Félix Platter et de son père Thomas —, il fut le bienfaiteur de l’humaniste bâlois J. Gast, qui lui dédia ses Mediationes, tandis que d’autres auteurs en faisaient de même : J. Boner ©, pour sa Chronique de Hongrie traduite de Bonfinus (1545), Robert Winter, pour un commentaire de l’Apocalypse d’après un manuscrit de la bibliothèque de Murbach, Michel Toxites © ou l’éditeur Oporinus ©. Ses préoccupations littéraires l’incitèrent à donner des bourses à des étudiants envoyés à Colmar, à Bâle ou à Fribourg et l’amenèrent à fonder une école à Lure (1569). Sa politique religieuse semble avoir combiné la fermeté dans ses terres et une certaine tolérance à l’extérieur de celles-ci. Sa succession fut assurée par son coadjuteur J.-Ulrich von Raittnau ©, en place depuis 1560.

H. Pantaleon, Teutscher Nation Heldenbuch, Bâle, 1570, p. 361 (corrige la notice de l’édition latine de 1566, p, 374) ; abbé Besson, Mémoire sur l’abbaye de Lure, Besançon, 1846 ; A. Gatrio, Abtei Murbach in Elsass, Strasbourg, 1895, t. 2 ; P. Burckhardt, « Die schriftstellerische Tätigkeit des Johannes Gast », Basler Zeitschrift, 1943, p. 139 et suiv. ; R. Will, « Deux abbés de Murbach protecteurs des arts au XVIe siècle », Cahiers alsaciens d’archéologie, d’art et d’histoire, 1961 ; P. Jeannin, « Note sur l’abbaye de Lure au XVIe siècle », Bulletin philologique et historique, 1967, Paris, 1969, p, 483-525; J. Girardot, L’abbaye et la ville de Lure, Vesoul, sd. [1970] ; G. Bischoff, « Note sur la reconstruction du château de Wildenstein », Annuaire de la Société d’histoire des régions de Thann-Guebwiller, XIX, 1993-1999, p 69-72.

Georges Bischoff (2000)