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SCHNEIDER Euloge (Jean Georges)

Prédicateur, poète, professeur, révolutionnaire, (C) (★ Wipfeld, franconie, 20. 10. 1756 † Paris, 12 germinal 2 (1er avril 1794)). 9e fils de Michel Schneider (★ Wipfeld 13.6.1717 † Wipfeld 14.1.1791), vigneron, et d’Anne Marguerite Burckstahl (★ Wipfeld 28.10.1717 † Wipfeld 14.3.1785). À l’école paroissiale, Schneider montra une intelligence précoce et fut envoyé au collège des Jésuites de Wurtzbourg en 1768. Il fut admis à l’internat de l’hospice Julien, réservé aux enfants méritants issus de milieux peu favorisés. On a souvent prétendu qu’il en fut exclu pour mauvaise conduite. En réalité, l’internat ne gardait plus ses pensionnaires une fois leurs humanités accomplies, ce qui fut le cas pour Schneider en 1773. Rien n’atteste qu’il entra alors à la faculté de philosophie de l’Université de Wurtzbourg. Pendant quelque temps, il mena joyeuse vie mais, à bout de ressources, glissa dans le vagabondage pour disparaître on ne sait où. Il décida d’entrer dans les ordres, et, au printemps 1777, il intégra le noviciat des Récollets à Bamberg. Il prononça ses vœux le 29 avril 1778 et, selon la coutume, prit le nom d’un frère récemment décédé: Eulogius (Euloge). Il rejoignit ensuite le couvent de l’ordre à Augsbourg pour y effectuer des études de philosophie, puis de théologie à celui de Salzbourg, où il fut ordonné prêtre le 23 décembre 1780 et agréé prédicateur et confesseur en 1783. Lors de ce séjour, il noua des relations avec les milieux progressistes qui eurent une influence déterminante sur son avenir. Il passa encore une année d’approfondissement de la théologie au couvent de Bamberg, où fut aussi publiée sa première ode. Le 12 septembre 1784, le chapitre provincial l’affecta comme professeur de théologie et d’éloquence sacrée au studium du couvent d’Augsbourg. Il fréquenta les cercles libéraux et adopta les idées véhiculées par l’Aufklärung. S’ajoutant à quelques poèmes légers et à la publication d’un journal peu orthodoxe, un sermon prononcé le 25 novembre 1785 sur un thème sans grande originalité mais sensible, la tolérance chrétienne, lui valut alors la réprobation générale des milieux catholiques conservateurs, dont ses supérieurs, mais, par ailleurs, le soutien des milieux de l’Aufklärung de l’Allemagne catholique qui découvrirent en lui un intrépide défenseur de leurs idées. L’évêque suffragant d’Augsburg le prit sous sa protection et le recommanda au duc Charles Eugène de Wurtemberg. Après quelques hésitations, le duc le nomma prédicateur de sa cour le 27 mai 1786. Intégré au collège des prédicateurs de Stuttgart, l’un des hauts lieux du catholicisme libéral d’Allemagne, Schneider fut totalement gagné aux idées de l’Aufklärung. Cette période fut aussi la plus féconde en créations poétiques et ce fut au cours de son séjour à Stuttgart qu’il se familiarisa avec les écrits de Jean-Jacques Rousseau, dont l’influence se fait sentir dans ses poèmes mais encore plus dans ses sermons. Cependant, comme prédicateur, il ne donna pas satisfaction au duc. Ses défaillances de mémoire en chaire, son débit défectueux, que lui-même reconnut, le firent tomber en disgrâce et, au plus tard en début de 1788, il entreprit des démarches en vue de trouver ailleurs un autre poste. Il le trouva auprès de l’archevêque-électeur de Cologne, François Maximilien d’Autriche, qui donna son accord pour lui confier la nouvelle chaire des beaux-arts à l’Université de Bonn, sous réserve qu’il se fit séculariser. L’évêque suffragant d’Augsbourg se chargea encore une fois du sort de son protégé et entreprit cette démarche à Rome. Schneider fut relevé de ses vœux monastiques par le pape en janvier 1789. Le 6 mars, l’électeur de Cologne signa le décret de sa nomination et, déjà le 10 juin, il fit paraître un avis de souscription à un recueil de poèmes, publié en mars 1790. Ce pot-pourri de poésies baroques, dont une bonne partie fut jugée licencieuse, lui attira les foudres des milieux conservateurs, alors que les libéraux ne montrèrent pas l’enthousiasme que Schneider en attendait. L’ouvrage obtint pourtant un succès certain, plus dû au scandale provoqué par sa parution que par la qualité littéraire de son contenu. Schneider était alors aussi reconnu comme helléniste distingué, et outre l’allemand, il maîtrisait encore le latin, l’hébreu, le français, l’italien et l’anglais. Il connut un moment de gloire quand, le 19 mars 1790, il prononça l’éloge du défunt empereur Joseph II au cours de la cérémonie funèbre organisée par la Chambre impériale à Wetzlar. Dès son retour à Bonn, il fut convoqué et entendu par une commission synodale enquêtant sur son enseignement dénoncé comme contraire à la religion et aux bonnes mœurs et dangereux pour la jeunesse. L’électeur décida néanmoins de son maintien, mais lui donna un sérieux avertissement. Sans en tenir compte, Schneider publia un catéchisme jugé non conforme aux dogmes de l’Église. Le livre fut interdit une première fois dans le diocèse de Cologne, mais faute d’avoir été observée, l’interdiction fut publiquement rappelée le 24 mai 1791. Schneider réagit en faisant immédiatement publier dans les gazettes un avis, accusant son souverain d’avoir été le jouet de ses ennemis. L’électeur exigea sa démission et lui ordonna de quitter le territoire.
Le 12 juin 1791, Schneider partit de Bonn, se rendit d’abord à Hachenburg, puis de là à Strasbourg, où, le 23 mai il avait envoyé une lettre de candidature spontanée à une chaire à l’Université. Que Jean Laurent Blessig © l’eût recommandé au maire Frédéric Dietrich © n’est qu’une fable démentie par les documents. L’évêque constitutionnel du Bas-Rhin le nomma vicaire épiscopal. Il prêta serment à la Constitution le 10 juillet et, dès le 22 juillet, il fut reçu membre de la Société des amis de la Constitution de Strasbourg. La pénurie de prêtres constitutionnels lui valut d’être nommé, d’abord administrateur de la paroisse de Kuttolsheim, Fessenheim et Dossenheim, où il ne resta que cinq jours, puis de celle d’Oberbronn, où il se rendit le 14 août pour y rester jusqu’au 14 octobre 1791, un séjour interrompu par plusieurs brefs retours à Strasbourg. Le 19 novembre il fut élu membre du Conseil général de la commune de Strasbourg. Le 1er décembre il fut nommé professeur de droit canon et d’éloquence sacrée au séminaire national et doyen de la faculté de Théologie de l’académie épiscopale. Pourtant, dès le 18 décembre, il adressa une demande au général Luckner © afin d’être employé dans son armée comme aumônier lors de la prochaine invasion de l’Allemagne, une demande renouvelée le 1er janvier 1792. Le 13 janvier, Schneider fut élu vice-président de la Société des amis de la Constitution. Lors de la scission intervenue dans celle-ci le 5 février, il se rangea avec la minorité jacobine et s’opposa violemment à toute tentative de réunification avec les scissionnaires, bien que tel fut le vœu de la majorité des Jacobins. Dès lors, suivant l’exemple de Jean Charles Laveaux ©, il devint un opposant farouche au maire Dietrich, jusqu’à en faire une affaire personnelle. Délaissant enseignement et fonctions sacerdotales, il se lança dans la lutte politique aux côtés des plus extrémistes. Pour soutenir son combat contre les Strasbourgeois modérés, il fonda une gazette, Argos, oder der Mann mit hundert Augen, dont le premier numéro parut le 3 juillet 1792. Schneider en assuma la publication jusqu’au 4 frimaire II (24 novembre 1793), puis s’en désintéressa. C’était un journal politique, parfois très violent, qui véhiculait les idées les plus extrémistes. Avec l’ensemble du Conseil général de la commune, Schneider fut suspendu le 22 août de ses fonctions municipales. Difficilement élu électeur de Strasbourg le 27 août, lors des élections des députés à la Convention nationale qui se déroulèrent à Haguenau du 2 au 8 septembre, et malgré tous ses efforts, il n’obtint pas le mandat convoité. Le 14 septembre, le directoire du département lui confia les fonctions de maire provisoire de Haguenau, qu’il assuma jusqu’au 19 décembre 1792. Du 11 au 21 novembre , l’assemblée électorale du Bas-Rhin siégea à Wissembourg pour pourvoir aux fonctions administratives et judiciaires du département. Schneider fut candidat aux
postes de suppléant de députés à la Convention nationale et à celui d’accusateur public. Sans succès. Il n’en obtint guère plus aux élections municipales de Strasbourg du 9 au 16 décembre, où il briguait la fonction de maire, ou à défaut, celle de procureur de la commune. Le 3 février 1793, jour où il prononça son dernier sermon à la cathédrale de Strasbourg (Die Auesserungen Jesu über die Fanatiker und Feuillants seiner Zeit), plus politique que théologique, les commissaires de la Convention nationale Couturier et Dentzel © le nommèrent accusateur public près le tribunal criminel du département, en remplacement du titulaire suspendu sur l’insistance des Jacobins. Témoin à charge au procès de l’ex-maire Dietrich à Besançon, il fut fort dépité lorsque le tribunal criminel du Doubs l’acquitta le 7 mars 1793, alors qu’il n’avait cessé de l’accuser de traîtrise à sa patrie. La réticence manifestée par le directoire du département retarda son installation dans sa nouvelle fonction au 20 février. Il lui donna immédiatement un tour plus politique que judiciaire et, dès le mois de mai, il réclama l’instauration d’un tribunal révolutionnaire à l’image de celui de Paris pour pallier les carences d’une justice considérée comme trop prisonnière de procédures inadaptées à la poursuite des ennemis de la Révolution. Son comportement de plus en plus provocateur à l’égard des Strasbourgeois lui attira l’inimitié quasi-générale. À plusieurs reprises il fut dénoncé à la Convention nationale comme agitateur, perturbateur de la tranquillité publique; on demanda en vain l’expulsion du «prêtre étranger Schneider». Dans la nuit du 19 août 1793, la population excédée par son arrogance, brisa devant sa demeure la guillotine qu’il avait promenée en grande pompe par les rues de la ville, puis fait placer en permanence sur la place d’Armes, et menaça même de l’expérimenter sur sa personne. Mais, sous l’influence des sections parisiennes et sous l’effet de la pression militaire des coalisés aux frontières de l’Alsace, la Terreur s’installa progressivement. Le 8 octobre, Schneider fut nommé membre du comité de surveillance et de sûreté générale du Bas-Rhin, instauré pour «déconcerter tous les malveillants». Le 15 octobre, les représentants en mission le nommèrent encore commissaire civil à l’armée révolutionnaire, une espèce de milice politique, qu’ils venaient de créer. Sa mission consistait à la diriger « partout où besoin sera, à l’effet de faire exécuter promptement toutes les réquisitions relatives au besoin des armées ». Une commission spéciale attachée à cette armée révolutionnaire devait juger les récalcitrants aux réquisitions. Or, dès le 3 brumaire II (24 octobre 1793), Schneider publia une proclamation menaçante, montrant une modification substantielle de la mission initialement définie. Le 5 brumaire II (26 octobre 1793), cette commission, plus couramment dénommée « tribunal révolutionnaire », tint sa première séance à Strasbourg. Schneider y exerça les fonctions d’accusateur public, qu’il tenait du tribunal criminel (juridiction ordinaire toujours en exercice), sans qu’aucune disposition ne l’eût prévue lors de la création de l’armée révolutionnaire et de sa commission. Au cours de la fête de la « déprêtrisation » du 30 brumaire (20 novembre 1793) au temple de la Raison (cathédrale), Schneider renonça à toutes ses fonctions ecclésiastiques, qu’il avait d’ailleurs abandonnées depuis longtemps. Le tribunal révolutionnaire siégea à Strasbourg jusqu’au 8 frimaire (28 novembre 1793) au matin, puis, accompagné d’une guillotine ambulante, entreprit une tournée campagnarde. Il passa par Mutzig, Obernai, Barr, Epfig et Sélestat, toutes étapes marquées par des exécutions capitales. Le 22 frimaire (12 décembre 1793), Schneider fit publier à Barr les bans de son prochain mariage avec Sara Stamm (★ Strasbourg 30.8.1771 † Wissembourg 8.1.1807; ? 23 frimaire VI (13 décembre 1796) à Stotzheim Christophe Frédéric Cotta © ), mais il n’y eut jamais mariage. Le 24 frimaire (14 décembre 1793), il revint avec elle et sa famille à Strasbourg où les bans furent également publiés le lendemain. En 39 jours d’activité, le tribunal révolutionnaire tint 146 séances, fit comparaître 322 personnes, en acquitta 50, en ajourna 7, infligea 1 122 010 livres d’amendes et de nombreuses peines de prison sous des formes et pour des durées variables, prononça 12 condamnations à la déportation à vie, dont certaines à Madagascar ou à la Guyane, et 33 condamnations à mort dont 2 par contumace (19 exécutions à Strasbourg, 1 à Mutzig, 2 à Obernai, 4 à Barr, 3 à Epfig et 2 à Sélestat). En tant que commissaire civil à l’armée révolutionnaire, Schneider révoqua des officiers municipaux, voire des municipalités entières, des juges de paix, les remplaçant par des commissaires de son choix, alors qu’aucune disposition ne lui attribuait de telles compétences. Dans la nuit du 24 frimaire (14 décembre 1793), le général Dièche © l’arrêta sur ordre des représentants Saint-Just © et Lebas © sous prétexte d’étalage d’un faste qui ne convenait pas à la République. Le vrai motif fut que, obsédés par un prétendu complot de l’étranger, ils virent en lui un étranger stipendié par l’ennemi, se cachant sous un masque d’ultra-révolutionnaire pour mieux saboter la Révolution de l’intérieur. Il fut exposé le lendemain sur la place d’Armes, attaché à la guillotine, soumis aux quolibets d’une foule accourue nombreuse, puis envoyé à Paris. Le Comité de salut public, devant lequel il comparut le 30 frimaire (20 décembre 1793), le renvoya au Comité de sûreté générale qui le fit écrouer à la maison d’arrêt de l’Abbaye « pour y être détenu jusqu’à ce qu’il en soit statué autrement » sans cependant préciser aucun chef d’accusation. Le 18 pluviôse (6 février 1794), à la Convention nationale, Robespierre fustigea ses « folies tyranniques ». Piqué au vif, Schneider lui répondit le jour même dans une lettre ouverte imprimée, l’accusant d’être « sans le savoir, l’organe de la plus noire, de la plus absurde calomnie ». Le 1er germinal (21 mars ), il fut transféré à la maison d’arrêt de Sainte-Pélagie, d’où on l’extraya le 12 germinal (1er avril 1794) pour l’amener devant le tribunal révolutionnaire. Convaincu d’avoir « favorisé les complots avec les ennemis extérieurs et intérieurs de la République et concerté des manœuvres criminelles avec le contre-révolutionnaire Dietrich », il fut condamné à mort et guillotiné dans la journée. Schneider avait été reçu franc-maçon à la loge Zur vollkommenen Gleichheit à Krefeld le 12 février 1791. Il en fut radié le 8 février 1794 en raison de son « comportement incompatible avec la conception allemande de la maçonnerie ». Contrairement à ce qui est souvent prétendu, il n’a jamais été membre de l’ordre des llluminaten.

Pour les sources historiques, voir : Archives nationales Paris, série Tribunal révolutionnaire de Paris, W 343 (662), Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg, MR. 8389 ou Archives municipales de Strasbourg, W. 1187, p. 401-410. La bibliographie est trop vaste pour être énumérée ici ; voir : C. Betzinger, « Eulogius Schneiders Schriften », Annalen des historischen Vereins für den Niederrhein, Heft 200, 1997, p. 135-160 et idem, « Euloge Schneider face à l’Histoire », Revue d’Alsace, 1998, p. 141-186. À signaler que Sitzmann, Dictionnaire de biographie des hommes célèbres de l’Alsace, Rixheim, t. 2, 1910, p. 705 lui attribue plusieurs écrits dont il n’est pas l’auteur. L’Argos a fait l’objet de plusieurs études : R. Gregarek, Eine jakobinische Zeitschrift. Eulogius Schneider : Argos oder der Mann mit hundert Augen (Juli 1792-Dezember 1793), mémoire de maîtrise dactyl., Aix-en- Provence, 1985 ; idem, « Argos oder der Mann mit hundert Augen. Die jakobinische Zeitschrift eines deutschen Emigranten 1792-1793 », Cahiers d’études germaniques, n° 13, 1987, p. 85-93 ; J.-P. Kintz, [La presse révolutionnaire en] Alsace, P. Albert, G. Feyel, La presse départementale en révolution, La Garenne-Colombes, 1992, p. 201 -202 ; S. Lachenicht, L’Argos veille sur la Révolution. La Révolution française vue à travers le journal “Argos oder der Mann mit den hundert Augen » édité par Euloge Schneider (2 juillet 1793-28 frimaire 1793), mémoire de maîtrise, Paris I, 1995 ; M. Jacquet, L’Argos, journal du jacobin allemand Euloge Schneider – 1792-1793, mémoire de maîtrise, Strasbourg, USHS, 1997 ; C. Betzinger, « Argos ou le journal d’Euloge », Vie et mort d’Euloge Schneider, ci-devant franciscain. Des Lumières à la Terreur. 1754-1794, Strasbourg, 1997, p. 361-395.
Portrait : Archives municipales de Strasbourg 45 NA, 132 (fonds des Amis des arts).

Claude Betzinger (1999)