Prince-évêque de Strasbourg et cardinal, (C) (★ Paris 27.6.1674 † Paris 19.7.1749).
Fils de François de Rohan, prince de Soubise, lieutenant-général des armées du roi, gouverneur de Champagne et de Brie, et d’Anne-Julienne de Rohan-Chabot, Armand Gaston de Rohan fut baptisé le 8 juillet 1674 en la paroisse Saint-Paul. Appartenant à l’une des plus grandes familles de France, il put être élu chanoine du Grand-Chapitre de Strasbourg lorsque ce dernier s’entrouvrit (pour un tiers des places seulement) aux membres de la noblesse française (1690). D’aucuns virent dans les débuts rapides du jeune Armand Gaston de Rohan l’effet de la particulière dilection royale due à l’attachement, connu de toute la Cour, de Louis XIV pour la mère du jeune duc et au doute qui existait sur la personne du père de celui-ci. Quoi qu’il en soit, il n’est guère surprenant que les Rohan aient manifesté très tôt de l’intérêt pour le siège de Strasbourg. Des liens de famille les unissaient depuis longtemps à plusieurs maisons importantes d’Allemagne. Par ailleurs, leur rôle de premier plan à la tête du parti réformé, au début du XVIIe siècle, les préparait à comprendre, mieux que d’autres, la situation complexe de l’Alsace. Destiné à l’Église, Armand Gaston de Rohan fit de très solides études achevées par un doctorat de théologie en Sorbonne (1700). Contrairement à une tradition qui voit dans le futur défenseur de la bulle Unigenitus, un prélat formé par les Jésuites, il faut remarquer qu’il a été préparé au sacerdoce au séminaire de Saint-Magloire tenu par les Oratoriens et qu’il était très estimé du cardinal de Noailles, archevêque de Paris, dont les sympathies pour les jansénistes sont bien connues. Un ecclésiastique « sans attachement marqué pour aucune opinion théologique » (Dom Vincent Thuillier), tel apparaît l’abbé de Rohan en 1700. Cela ne pouvait manquer de plaire au roi. Mais, ce dernier n’était pas en possession de nommer l’évêque de Strasbourg. Le droit d’élire le futur titulaire du siège demeurait une des prérogatives du Grand-Chapitre. Certes, le roi pouvait toujours soutenir une candidature. Toutefois, après Ryswick (1697), il devait éviter, en soutenant un Français, de donner le sentiment qu’il jetait un nouveau défi à l’Europe. C’est pourquoi il eut recours, avec le plein accord de l’évêque Guillaume-Egon de Furstenberg, à la voie du coadjutorat. Pendant que l’ambassadeur français à Rome obtenait les dispenses nécessaires, l’intendant, sur place, s’employait à convaincre les chanoines électeurs à faire le bon choix. Ce ne fut, semble-t-il, pas trop difficile et le 28 février 1701, Armand Gaston de Rohan fut élu coadjuteur de l’évêque de Strasbourg à l’unanimité. Il fut sacré le 26 juin de la même année en l’abbatiale de Saint- Germain-des-Prés sous le titre d’évêque de Tibériade. À la mort de Guillaume-Egon de Furstenberg, le 10 avril 1704, Rohan devint ainsi évêque de Strasbourg. Pourvu de nombreux bénéfices dont les plus considérables étaient les abbayes de La Chaise-Dieu et de Saint-Vaast d’Arras, membre de l’Académie française (1704), désigné par Louis XIV pour le cardinalat dès 1706 et nommé par le pape le 18 mai 1712, Armand Gaston de Rohan était, dès le début de son épiscopat, l’un des premiers prélats de France. La charge de grand-aumônier de France qui lui fut accordée en 1713 et que conservèrent ses successeurs dans le siège de Strasbourg, fut la preuve de son crédit à la cour du Roi Soleil. Ces hautes dignités révèlent que les activités du cardinal de Rohan ne furent pas limitées à son seul diocèse. De fait, il apparut au premier plan dans la crise qui suivit la publication de la bulle Unigenitus (contre le jansénisme). Dès 1713, il fut appelé à la présidence de la commission chargée d’examiner le document pontifical. Les amis du cardinal de Noailles, partisans d’un « appel » à un futur concile, mirent leurs espérances en Armand Gaston de Rohan. En fait, celui-ci apparut bien vite comme l’homme de la Cour et le défenseur de l’autorité pontificale. Il devint donc l’un des chefs, avec le cardinal de Bissy, du « parti constitutionnaire » qui regroupait les prélats qui exigeaient du clergé une soumission entière à la constitution du pape Clément XI. Cette attitude intransigeante s’explique par le souci d’ordre manifesté par de nombreux évêques et, en particulier, par le cardinal de Fleury : le bas clergé et les simples fidèles doivent être maintenus dans leur devoir d’obéissance envers leurs supérieurs. Il s’y joignait chez Armand Gaston de Rohan la crainte, plus forte peut-être que chez ses confrères, du schisme. La présence dans son propre diocèse d’une grande communauté luthérienne et, d’autre part, l’insensibilité presque totale de son clergé à toute influence janséniste expliquent cette ligne de conduite. Ces responsabilités le conduisirent, dans un premier temps au moins, à s’en remettre à ses vicaires généraux pour ce qui concernait l’administration spirituelle du diocèse. Il n’en alla pas de même pour le temporel. Il voulut, dès le début de son épiscopat, rentrer en possession de la qualité et des droits de prince du Saint-Empire qui avaient été perdus par Guillaume-Egon de Furstenberg. Avec acharnement, il plaida sa cause au congrès de Baden (1714), puis auprès de la cour de Vienne où pendant huit ans il députa un chargé d’affaires. Finalement, en 1723, Armand Gaston de Rohan obtint l’investiture impériale pour les fiefs de l’évêché qui se trouvaient sur la rive droite du Rhin et avec elle le droit de siéger à la Diète de Ratisbonne. Il put ainsi rétablir l’autorité épiscopale sur les doyennés d’Outre-Rhin (Ottersweier, Offenbourg, Lahr) où celle-ci se trouvait compromise depuis 50 ans. Sujet du roi de France et de l’empereur, le cardinal de Rohan dut adopter une conduite prudente surtout en temps de guerre, entre ses deux souverains (guerre de succession d’Autriche). Son habileté fit merveille. Il obtint les faveurs de Vienne tout en restant très en cour à Versailles. Il maria le roi en 1725 et il le reçut magnifiquement en 1744 dans son nouveau palais des bords de l’III. À Saverne, il recevait admirablement la noblesse catholique ou protestante d’Alsace ainsi que les princes allemands de passage. Ainsi servait-il efficacement la monarchie française dans son souci d’implantation en terre d’Alsace et, plus largement, dans les pays rhénans. À la fin de sa vie, Armand Gaston de Rohan prit quelque distance à l’égard des affaires de l’Église de France et se consacra davantage à son diocèse. La correspondance presque journalière qu’il établit, à partir de 1739, avec son vicaire général Jean-François Riccius ©, en porte témoignage. Une autre manifestation de cette activité est constituée par le rituel de 1742. Ce bel ouvrage, très admiré en son temps, fut préparé par le cardinal lui-même en collaboration avec les Bénédictins de Saint-Germain-des-Prés. Dans le mandement introductif, la ligne directrice est bien fixée. Il s’agit de bannir les pratiques vaines et superstitieuses et aussi de tenir fermement à certaines règles dans l’administration des sacrements. Bénédictions, processions, fêtes chômées sont examinées avec soin ; leur nombre est limité, leurs rites simplifiés. On peut y discerner la marque de l’esprit de Lumières et peut-être aussi l’expression d’un certain rigorisme. Ce dernier se retrouve dans la longue instruction pastorale donnée par le cardinal un an avant sa mort (1748) « sur la Pénitence et l’Eucharistie ». Reprenant l’enseignement de saint Jean Chrysostome, « les choses saintes (sont) pour les Saints, si quelqu’un n’est pas saint qu’il n’approche point », l’auteur du mandement n’accorde la communion quotidienne qu’aux seuls chrétiens dont les penchants ont été « domptés, vaincus, terrassés, surmontés ». Cette instruction fut, en quelque sorte, le testament que voulut laisser le cardinal de Rohan à ses diocésains. Plus que la place éminente tenue dans l’Église de France par Armand Gaston de Rohan, ce fut son rôle dans la reconstruction de l’évêché de Strasbourg, tant au spirituel qu’au temporel, qui lui valut, de la part des Alsaciens, le titre de « Grand Cardinal ».
Saint-Simon, Mémoires, La Pléiade, 6 vol. ; abbé Dorsanne, Journal contenant tout ce qui s’est passé à Rome et en France, dans l’affaire de la Constitution, Rome, 2 vol., 1753 ; Ph.-A. Grandidier, Œuvres historiques inédites, Colmar, 1867, t. V, p. 1-25 ; R. Metz, La monarchie française et la provision des bénéfices ecclésiastiques en Alsace de la paix de Westphalie à la fin de l’Ancien Régime (1648-1789), Strasbourg-Paris, 1947 ; L. Châtellier, « Frontière politique et frontière religieuse. L’exemple du diocèse de Strasbourg 1648-1790 », Études européennes. Mélanges offerts à Victor L. Tapié, Paris, 1973, p. 149-170 ; J.-D. Ludmann, Le palais Rohan de Strasbourg, 2 vol., Strasbourg, 1979-1980 ; L. Châtellier, Tradition chrétienne et renouveau catholique dans l’ancien diocèse de Strasbourg (1650-1770), Paris, 1981, p. 216-217, p. 354-398 ; Histoire de Strasbourg des origines à nos jours, sous la dir. de G. Livet et F. Rapp, Strasbourg, III, p. 381-408 ; E. Gatz (Hrsg.), Die Bischöfe des Heiligen Römischen Reiches 1648 bis 1803, Berlin, 1990, p. 394-396 (Louis Châtellier).
Louis Châtellier (1998)