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RIEGERT Caspar

Abbé de l’abbaye de Marmoutier (★ Dillingen, Allemagne, 1477 † Marmoutier 1557).

Après une formation littéraire, Riegert fut d’abord moine puis prieur de l’abbaye d’Ettenheimmünster (Bade). La situation catastrophique de l’abbaye de Marmoutier avait nécessité depuis le début du XVIe siècle l’intervention directe du pape et de l’évêque de Strasbourg qui nommait les abbés. Après l’abbé Lesura, dont un des successeurs a pu noter « nil nisi morius boni fuit », le choix de l’évêque se porta en 1524 sur Riegert qu’il désigna au choix des trois religieux résidant encore à Marmoutier. Tout était à reconstruire, au plan moral, financier et architectural. Jusqu’au dortoir des moines qui selon un abbé du XVIIIe s., Placide Schweighaeuser © « tombait en ruine et était ouvert à tous les outrages de l’air, de l’eau et des femmes ». À peine installé, l’abbé Riegert allait être un personnage important de la guerre des Paysans, puisqu’à Pâques 1525 son abbaye était occupée par l’armée des insurgés et lui-même chassé (selon le chroniqueur Herzog, d’après l’historiographe du duc de Lorraine Volcyr, Riegert aurait été fait prisonnier, mais aurait pu s’échapper). Il se réfugia à Sarrebourg où il put rendre compte aux Lorrains de la situation chez les « rebelles ». La paix revenue, Riegert donnait la mesure de ses capacités et procéda à la remise en ordre des affaires de l’abbaye après des siècles de décadence: reconstruction des bâtiments et réorganisation de son temporel, lutte pour l’indépendance institutionnelle de l’abbaye face aux copartageants de la Marche de Marmoutier, et, profitant du climat général de répression, affirmation et réajustement des droits seigneuriaux sur la communauté des habitants. L’énergie avec laquelle il s’attaquait à ces tâches témoignait d’un caractère pour le moins autoritaire. Les moins privilégiés, ceux qu’on appelait les « pauvres gens », lui reprochèrent des brutalités physiques et aussi juridiques puisqu’il « contestait » les baux dont jouissaient les habitants et réglementait dans un sens sévèrement restrictif leurs droits de jouissance dans les forêts de la Marche (règlement forestier de 1557). Même les « bourgeois » lui firent demander officiellement de s’abstenir de voies de fait, comme d’arracher le voile de la tête de leurs femmes. Il ne ménageait pas davantage les puissants administrateurs « humanistes », complices, depuis un siècle au moins, du pillage des biens ecclésiastiques et n’hésitait pas à engager contre eux des procédures civiles et criminelles. Dans ce but, Riegert avait soigneusement récupéré et exploité ce qui restait du chartrier de l’abbaye après le pillage des insurgés: une note des archives précise qu’il put ainsi récupérer la moitié des biens dont les moines se prétendaient spoliés et il put rembourser une grande partie des dettes de l’abbaye. En revanche il était intervenu en faveur des habitants lorsqu’après la défaite des paysans à Saverne, la répression seigneuriale s’abattit sur eux, appuyé dans ses requêtes par le gouverneur Jean Murner © — que le duc de Lorraine entretenait à Marmoutier. L’intérêt que Riegert portait au passé historique de son abbaye le mit en relation avec le secrétaire du duc de Lorraine Volcyr. Une précieuse description des antiquités romaines, mérovingiennes et carolingiennes de l’abbatiale ainsi qu’une correspondance érudite entre les deux hommes témoigne certes d’une curiosité historique indiscutable, mais aussi de part et d’autre de la volonté d’utiliser les données de l’histoire — voire les hypothèses et suppositions — en vue du rétablissement de droits juridiques anciens pour l’abbé, droits de protection politiques pour l’historiographe du duc de Lorraine, ce dernier se prétendant le successeur des rois francs. Riegert. fut inhumé dans le chœur de l’abbatiale dans l’une des tombes actuellement exposées dans la crypte archéologique.

Riegert est l’auteur d’un Memoriale quotidianum encore aux Archives de Marmoutier au XVIIIe s. et qui a disparu depuis.

F. Sigrist, « Histoire de l’abbaye de Marmoutier, chapitre XXI », Revue catholique d’Alsace, 1885, p. 247-254; cette étude a été considérablement augmentée dans un manuscrit inédit du même auteur. Sur les récriminations de la Communauté, cf. Archives départementales du Bas-Rhin, 16 165 (10) de juin 1550; on dispose des témoignages de deux contemporains: l’annaliste C. Bruschius, Chronologia monasteriorium Germaniae, art. Maurimonasterium, 1551, fol. 83-85 et Nicolas de Volcyr, L’histoire et recueil de la triomphante et glorieuse victoire obtenue par Antoine de Lorraine, 1526 (réimprimé dans Recueil de documents sur l’histoire de Lorraine, Nancy, 1856, qui consacre trois livres de son ouvrage aux événements de Marmoutier et reproduit les documents que lui avait remis l’abbé Riegert); une correspondance ultérieure entre les deux hommes est conservée aux Archives départementales du Bas-Rhin, série H, 562. Vue d’ensemble avec d’autres détails dans M. Thomann, « Mentalités et révolution dans une petite ville d’Alsace – pauvres gens et seigneurs à Marmoutier en 1525 », La guerre des Paysans – 1525. Études et documents réunis par A. Wollbrett, Saverne, 1975, p. 67-79.

† Marcel Thomann (1998)