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MERSWIN (Merschwein, Delphinus) Rulman

Banquier, puis auteur de traités mystiques (★ Strasbourg 1307 ? † Strasbourg 18.6.1382). Merswin appartenait à l’une des plus anciennes familles de sa ville natale. Patriciens, les Merswin faisaient partie de la fraction de ce groupe social qui ne renonça jamais aux activités financières et que l’on pouvait considérer au XIVe siècle comme bourgeoise, par opposition aux lignages nobles. Le frère de R. Merswin, Johann, était l’un des hommes d’affaires les plus influents de Strasbourg, créancier des évêques et représentant de la cour pontificale, dont il était chargé de collecter et d’acheminer les taxes. R. Merswin renonça, probablement sous l’influence de Tauler ©, en 1347, à la banque. Il disposait d’une fortune suffisante pour vivre de ses rentes et pour acheter, en 1367, à l’abbé d’Altorf le couvent de la Sainte-Trinité, une fondation bénédictine qui n’avait jamais prospéré. Elle se trouvait dans l’Ile Verte (Grünerwœrth), en dehors des remparts (elle ne fut incluse dans le périmètre fortifié qu’après son acquisition par Merswin, en 1374). Merswin avait-il déjà l’intention de faire de cette maison un foyer de vie spirituelle ou s’était-il proposé seulement de créer un établissement religieux dont les membres devaient prier pour sa famille, à l’instar de la Toussaint fondée par les Müllenheim © en 1327 ? Nous ne le savons pas. Quoi qu’il en soit, il fut conduit, en 1370, à pro- poser à l’ordre de Saint-Jean de l’Hôpital de prendre en charge sa maison. Les chapelains qu’il y avait nommés ne s’entendaient pas. Ils furent donc remplacés par des religieux, mais Merswin avait obtenu, grâce à ses talents de négociateur, du grand maître des conditions tout à fait inhabituelles : les trois curateurs laïcs, qu’il avait désignés et qui devaient se recruter par cooptation à l’avenir, n’avaient pas seulement la charge de contrôler la gestion des biens affectés à la commanderie, mais encore d’en choisir les occupants, prêtres ou pensionnaires. En 1371, Merswin se retira dans le couvent qu’il venait de créer. Après sa mort, son ancien secrétaire Nicolaus von Lauffen (Louvain), qui avait fait profession dans l’ordre de l’Hôpital et qui était devenu prêtre, réussit à préserver les avantages exceptionnels que Merswin avait su se faire concéder, des privilèges que d’aucuns, tant au sein des autorités religieuses que dans les milieux dirigeants de la ville, trouvaient exorbitants. La commanderie de Saint-Jean en l’Ile Verte (ou du Marais) jouit d’une réputation de sérieux et de piété qui était encore intacte à la veille de la Réformation. Geiler © et les humanistes alsaciens en appréciaient beaucoup la valeur morale. Ce n’est pas à sa fondation que Merswin doit sa notoriété. Ce sont les manuscrits conservés à la commanderie jusqu’à la dissolution du couvent qui ont retenu l’attention des savants. Ces lettres et ces traités passaient pour avoir été écrits par Merswin lui-même ou par un mystérieux « Ami de Dieu de l’Oberland ». Ce personnage aurait été choisi par Merswin après sa conversion en 1347 pour lui servir de directeur de conscience. Les deux hommes auraient entretenu d’intenses relations épistolaires et échangé des ouvrages de spiritualité. Merswin n’était pas, si nous en croyons les manuscrits de l’Ile Verte, le seul dirigé de l’« Ami de Dieu » ; grâce au renom que lui valait la sainteté de sa vie, celui-ci animait, sans quitter son refuge de l’« Oberland », un cercle très étendu de disciples et son autorité morale était si forte qu’il s’estimait en droit d’adresser au pape des avertissements pressants. Les historiens crurent longtemps que l’Ami de Dieu de l’Oberland avait existé réellement et qu’il était le chef d’une très grande famille spirituelle, qui constituait en quelque sorte une Église au sein de l’Église et se proposait de réagir contre le dessèchement de la vie chrétienne dont la hiérarchie cléricale semblait s’accommoder. Il fallut attendre 1875 et les travaux du P. Denifle pour que la figure du Gottesfreund fût considérée comme une fiction littéraire. Elle n’était connue qu’à travers les traités et les lettres que l’Ile Verte avait gardés et c’était donc dans cette maison qu’il fallait en chercher l’origine. Si cette interprétation, admise actuellement par la plupart des chercheurs, est juste, reste à déterminer l’identité de l’auteur des écrits. Était-ce Merswin lui-même? Dans cette hypothèse, le banquier retiré des affaires appartenait au cercle des Amis de Dieu, dont l’existence est incontestée et sur laquelle la correspondance du prêtre Heinrich von Nœrdlingen, entre autres témoignages, nous fournit de nombreux renseignements. Peut-être en était-il même l’un des membres les plus influents et s’était-il proposé de faire de la commanderie de l’Ile Verte une sorte de centre spirituel, à partir duquel le rayonnement de ces milieux dévots aurait pu s’exercer efficacement. Selon certains historiens, il convient à tout le moins d’associer à l’entreprise de pieuse supercherie le secrétaire de Merswin, Nicolaus von Lauffen. Il en est même qui le considèrent comme l’inventeur et le réalisateur de ce dessein qu’il aurait conçu, non pas du vivant de Merswin, mais après sa mort. Il se serait agi d’une manœuvre visant à remplacer l’influence du disparu par celle d’une figure mythique. Il est vrai que cette explication retirerait à Merswin l’une des qualités qui lui sont habituellement reconnues: il ne serait plus l’écrivain dont les œuvres, en dépit de leurs imperfections, ont retenu l’attention des historiens; quant à ses relations avec les Amis de Dieu, elles perdraient beaucoup de leur force. Quelle que soit la personnalité qui les a composés, les écrits attribués à l’Ami de Dieu de l’Oberland, d’une part, et, d’autre part, à Merswin lui-même, présentent beaucoup d’intérêt en raison de leur contenu. Au XVe siècle déjà, ils jouirent d’une certaine notoriété, tout particulièrement le Livre des neuf rochers. Des thèmes chers à Tauler, le pur amour et la nudité spirituelle qui caractérisent l’étape ultime de la vie mystique, sont présents dans une description de l’itinéraire qui rapproche la créature du créateur. En dépit de certaines gaucheries, cet ouvrage n’est pas négligeable ; il l’est d’autant moins qu’il est sorti de la plume d’un amateur et qu’il nous montre comment un laïc bien intentionné pouvait recevoir l’enseignement d’un maître. En 1482, il fut imprimé, mais l’éditeur le fit figurer parmi les œuvres de Heinrich Suso, un maître précisément; un autre maître Heinrich Herp (mort en 1478) en intégra des éléments dans son Miroir de la perfection. Le Meisterbuch fut mis sous le nom de Tauler. Il est évident que, dans la commanderie de l’Ile Verte, on s’efforçait de rassembler le plus grand nombre possible de livres de spiritualité : dans l’ensemble des manuscrits qui appartenaient à cette maison nous trouvons des pièces, empruntées à de nombreux auteurs mystiques, rhénans ou flamands, Ruysbrock compris. De plus, l’Ile Verte entretenait des rap=ports étroits de coopération avec les Augustins, tout proches, et plus spécialement avec Johann von Schafftolsheim et Heinrich von Rinstetten, auteurs et traducteurs d’écrits spirituels. L’auteur du Schürebrand était un religieux de l’Ile Verte. Toute cette littérature offre des caractéristiques communes : elle souligne la gravité des maux qui affectent la chrétienté, l’urgence d’un renouveau et le rôle déterminant qui doit revenir, dans cette restauration, aux fidèles qu’éclaire l’Esprit Saint, des fidèles qui ne sont pas nécessairement des savants et que la condition de laïc n’empêche pas, tant s’en faut, de contribuer à ce redressement.

Ch. Schmidt, Buch von den neun Felsen, Leipzig, 1859 ; Fr. Lauchert, Des Gottesfreundes im Oberland und von den zwei Mannen, Bonn, 1896 ; Ph. Strauch, Sieben bisher unveröffentlichte Traktate und Lektionen, 1927 ; idem, Vier anfangende Jahre, des Gottesfreundes Fünfmannenbuch, 1927 ; idem, Neun Felsen Buch, 1929.

Ch. Schmidt, Die Gottesfreunde im 14. Jht., léna, 1854 ; H. S. Denifle, « Der Gottesfreund im Oberland und Nicolaus von Basel », Historisch-politische Blätter, 1875, p. 17-122, 245-266, 340-354 ; idem, « Die Dichtungen des Gottesfreundes im Oberland », Zeitschrift für deutsches Altertum, 1880, p. 200-219, 280-324, 463-560 ; 1881, 101-122 ; A. Jundt, R. Merswin et l’Ami de Dieu de l’Oberland, Paris, 1890 ; K. Rieder, Der Gottesfreund, eine Erfindung des Strassburger Johanniterbruders Nikolaus von Löwen, Innsbruck, 1905; Sitzmann, Dictionnaire de biographie des hommes célèbres de l’Alsace, Rixheim, t. 2, 1910, p. 275 ; K. Bihlmeyer, « Des Gottesfreundes Bruder Heinrich Leben », Festschrift S. Merkle, Düsseldorf, 1928, p. 38-58; Dictionnaire de spiritualité I, Paris, 1932, c. 489-492 (sous Ami de Dieu); E. Denhardt, Die Metaphorik der Meister Eckhart und Tauler in den Schriften des R. Merswin, Marburg, 1940 ; Die Deutsche Literatur des Mittelalters. Verfasserlexikon III, Berlin, 1943, p. 614-616 (Nicolaus von Löwen) ; W. Rath, Der Gottesfreund vom Oberland, Stuttgart, 1962 ; Lexikon für Theologie und Kirche, IX, 1963, p. 95 ; S. L. Clark, J. N. Wasserman, « The Soul as Saimon, Merswins Neunfelsenbuch and the Idea of Parable », Colloquia germanica 13, 1980, p. 47-56 ; Dictionnaire de spiritualité X, Paris, 1983, c. 1056-1058 ; S. L. Clark, « Purety and Das Neunfelsenbuch. The presentation of God’s Judgement in two 14th. Century Works », Arcadia 18, 1983, p. 179-184 ; B. Gorceix, Amis de Dieu en Allemagne au siècle de Maître Eckhart, Paris, 1984 ; G. Steer, « Die Stellung des « Laien » im Schrifttum des Strassburger Gottesfreundes R. Merswin und der deutschen Dominikanermystik », Literatur und Laienbildung im Spätmittelalter und in der Reformationszeit, Stuttgart, 1984, p. 643-658 ; Encyclopédie de l’Alsace, VIII, 1984, p. 5059; Theologische Realenzyklopedie XIV, Berlin, 1985, p. 98-100 (Gottesfreunde), XXII, 1992, p. 605-607 (R. Merswin); Deutsches LiteraturLexikon X, Berne, 1986, c. 890-892 ; Chr. Wolff, La mémoire des siècles, Strasbourg, 1988, p. 216, n° 30-31 (Livre des neuf rochers) ; G. Cames, Dix siècles d’enluminures en Alsace. Strasbourg, 1989, p. 83.

 † Francis Rapp (1995)