Famille (Pl) originaire de Giessen, Hesse, intégrée au XVIIe siècle dans la bourgeoisie strasbourgeoise à la suite de diverses alliances et de sa réussite dans le monde des affaires. Elle connut son apogée au milieu du XVIIIe siècle (alliance avec les Silbermann ©), puis au début du XIXe siècle. Travaillant à l’origine le fer et l’acier, les M. se reconvertirent dans le tabac (branche strasbourgeoise), dans la bière et le vin (branche de Barr), dans le commerce en général (branche lyonnaise). Au même titre que les Dillmann, Mayno, Mennet…, la famille connut une rapide ascension politique (participation au conseil municipal et au Conseil général) et sociale, sous l’Empire et les premières années de la Restauration, avant d’être entraînée dans la vague des faillites qui déferla sur la ville en 1826, « crise qui éclaire singulièrement les formes du capitalisme commercial d’alors dans le Bas-Rhin » (P. Leuilliot).
1. MANNBERGER Anne Salomé,
(★ Strasbourg, Saint-Nicolas, 15.11.1725 † Strasbourg 3.5.1769). Fille de Jean Nicolas Mannberger, coutelier, et d’Anne Salomé Fuessinger. ∞ 22.8.1742 à Strasbourg, Temple-Neuf, le facteur d’orgues et archéologue Jean André Silbermann © ; 9 enfants.
Iconographie; portrait au pastel par F.-B. Frey ©, 1742, au Musée des Beaux-Arts de Strasbourg.
2. MANNBERGER Jean Daniel, dit « le Père »,
fabricant de tabac (★ Strasbourg 1746 † Strasbourg avant 1819). Fils de David Mannberger, batteur d’or puis marchand de vin, et d’Anne Marguerite Demuth. Membre de la tribu du Miroir. Études au Gymnase protestant de Strasbourg (matricule n° 972, avril 1753). J.-D. Mannberger opéra le passage du marchand de vins (profession de son père) au fabricant de tabac, activité qui se développa à Strasbourg à la fin du siècle. La fabrique de Mannberger fut rapidement une des plus importantes profitant d’abord de la situation de la province « à l’instar de l’étranger effectif », puis du « recul des barrières » et de la liberté de culture et de fabrication accordée au début de l’ère révolutionnaire. La firme de J.-D. Mannberger triompha sous l’Empire des entraves imposées par la législation fiscale, la mise en place du monopole d’État de fabrication du tabac, et la construction de la manufacture. Elle réussit au début à tirer son épingle du jeu grâce au maintien des exportations vers l’étranger, en Allemagne et en Suisse notamment (rôle de la contrebande ?), justifiant la définition du tabac comme « élément de mobilité sociale » (H. Uchida), à une époque où la structure du marché connaît de brusques mutations. J.-D. Mannberger associa très tôt ses enfants à l’activité de la maison, qui devint celle des « Frères Mannberger ». Pendant le blocus de Strasbourg (1814), lors de la souscription — volontaire — lancée par Roederer, commissaire extraordinaire, la maison « Mannberger Frères » figura avec 20 000 F parmi les donateurs les plus importants des milieux de négociants. Il ne figura pas sur la liste des acheteurs de biens nationaux (« acheteurs de 100 arpents et plus », R. Marx, p. 538).
3. MANNBERGER Jean Daniel,
négociant, conseiller général, (Pl) (★ Strasbourg 31.7.1771 † à l’étranger après 1826). Fils de Jean Daniel, dit « le Père » © 2. Marié. Sans enfants. Fit des études au Gymnase protestant de Strasbourg (n° 2503, avril 1778). Associé très tôt à l’activité de la fabrique paternelle à laquelle il donna une ampleur nouvelle, en effectuant une véritable percée au sein de la vie économique de la cité pendant l’Empire et sous la Restauration. Il participa à la mise en place des institutions consulaires: création de la Bourse de commerce, de la Chambre de commerce, du Tribunal de commerce. Le 3 septembre 1821, la Chambre, devant élire un nouveau membre à la place de F.-X.-L. Levrault l’aîné © 2 (†17.5.1821), le choix se porta sur Mannberger, « négociant en cette ville ». J.-D. Mannberger participa à l’âge d’or de Strasbourg qui s’accompagna de l’enrichissement de plusieurs négociants (Marocco, Mennet, Prost, Saglio, Sauer, Turckheim…), regroupés à partir de 1811 au sein du Casino qui se tenait à l’hôtel de la Bourse de commerce, où Frédéric Mannberger était commissaire. J.-D. Mannberger figura sur la « liste des négociants et commerçants les plus distingués », liste qui accompagna une lettre au ministre, de Magnier, directeur des douanes (août 1810) ; il était marqué pour un commerce annuel de 600 000 F (Mennet : 800 000 F) ; sa fortune en capital était évaluée à 400 000 F (Mennet : 500 000 F). Il est indiqué comme « associé à une firme du même nom à Lyon ». Dès 1810, le commissaire général de police, distinguant les différentes maisons de commerce établies à Strasbourg, notait parmi celles qui étaient établies avant la Révolution : « Mannberger Jean Daniel, fabrique de tabac la plus active après celle du Sr Marocco ». En 1820, J.-D. Mannberger entra au conseil d’administration de la Société d’assurance mutuelle contre l’incendie autorisée par le roi (ordonnance du 2 février 1820). Ses affaires s’étendaient alors en Suisse, en Allemagne et en France. Précisant l’activité de la fabrique, en ce qui concerne les machines mises en route, on comptait: coupoirs : 2 ; table à filer : 1 ; presses: 28 ; meules : 2. Pour les contributions, pierre de touche aux yeux de l’administration, les frères Mannberger payaient 1.350,67 F. J.-D. Mannberger signa les pétitions présentées au gouvernement ; en particulier avec Humann et Jacques Coulaux © 1 concernant l’octroi de la liberté de cultiver et de fabriquer le tabac, le maintien du transit et le droit d’entrepôt à Strasbourg. Pour Mannberger, il s’agit de « l’une des maisons des plus marquantes en cette ville, la troisième qui, depuis peu, vient à manquer »; sa faillite, selon le préfet, « ne devrait pas atteindre le crédit, en ce qu’on assure que, malgré le grand nombre des créanciers, elle donnera peu de perte » (lettre au ministre du 3 mars 1826). Mais le coup était porté. Mannberger quitta Strasbourg. Le propriétaire foncier remplaça au Conseil général le négociant victime du monopole, de la réglementation… et sans doute de la spéculation à une époque de profonde mutation au sein de la société des notables.
4. MANNBERGER Christian Frédéric,
négociant, conseiller municipal de Strasbourg (★ Strasbourg 1777 † Strasbourg 19.8.1819). Fils de Jean Daniel, dit « le Père » © 2 et frère de Jean-Daniel Mannberger © 3. Célibataire. Élève au Gymnase protestant de Strasbourg. Travailla dans la firme familiale. Ses activités sont difficiles à démêler, mais il semble s’être orienté plutôt vers les relations extérieures et les rapports avec les autorités et l’administration. Participa dès l’origine à la naissance du Comité du commerce, puis de la Chambre établie par les consuls (1802), notamment pour tout ce qui concerne la culture, la fabrication et le commerce du tabac, pierre de touche de la richesse urbaine. En 1791, il fut, avec Thomassin ©, « délégué du commerce de Strasbourg » auprès des députés de l’Alsace à l’Assemblée nationale, puis à l’Assemblée constituante, Schwendt et Victor de Broglie ©. Il réussit à obtenir la fin du monopole et la liberté de cultiver et de fabriquer le tabac (décret du 20 mars 1791), victoire de courte durée car, dès le 24 juillet 1793, se manifesta le retour progressif du monopole ! F. Mannberger était un des huit commissaires animateurs du Casino qui se tenait à l’hôtel de la Bourse du commerce «pour la récréation des sociétaires et la lecture des feuilles publiques. » Mannberger fut associé aux efforts du préfet Lezay-Marnésia © pour développer la culture du pastel, combinée avec celle de la betterave à sucre. Les résultats ne furent pas excellents ; de même en ce qui concernait le programme préfectoral de 1811 « malgré les efforts des négociants Sigwalt, Mathieu, Mannberger et Dietsch. » Il organisa la lutte contre la disette, à l’appel du préfet qui avait créé un comité pour l’établissement d’un grenier d’abondance, en 1816. Une société se forma pour la souscription d’actions de 1 000 F. Mannberger se rendit à Worms avec J. G. Humann (14.11.1816); ils procédèrent à l’achat des grains nécessaires qui, conduits au marché strasbourgeois, permirent la modération des prix et le maintien de l’ordre social. En 1815, par ordonnance impériale du 10 juin, il fut nommé conseiller municipal de Strasbourg et fut maintenu — et renommé — par la Restauration.
Archives municipales de Strasbourg, VI, 518, 676 ; Archives départementales du Bas-Rhin, C118/51 (tableau 1787); Matricula Scholae Argentoratensis ; J. Hatt, « La société strasbourgeoise à la veille de la Révolution », L’Alsace contemporaine, Strasbourg-Paris, 1950, p. 39 et 45 ; idem, Liste des membres du Grand Sénat, Strasbourg, 1963, p. 337 ; A. Riff, « La corporation des maréchaux », Artisans et ouvriers d’Alsace, Strasbourg, 1965, p. 174 ; O. Stumpf hrsg., Das Giessener Familienbuch (1575-1730), II, Giessen, 1974 (communiqué par G. Schmidt, 1984), n° 2637 et 2638; M. Schaeffer, Recherches sur la famille et l’œuvre des Silbermann en Alsace, thèse, Strasbourg, 1984, p. 63, n° 11 ; P. Greissler, Liste des échevins et des directeurs des tribus des métiers de Strasbourg 1640-1790, Strasbourg, 1990, p. 55, 123. Tableaux généalogiques de Mme H. Georger-Vogt.
Bibliographie pour les notices 3 et 4 : Archives départementales du Bas-Rhin I M 28, 30 (Conseil général) ; I M 29-46 (Conseil général 1817-1828) ; I M 92, 99 (Conseil municipal) ; III M 30, 38 (Conseil général) ; V M 166 (tabac) ; IX M 13, 14 (grenier d’abondance) ; XI M 47 (Tribunal de commerce), 188 (tabac, loi du 28.4.1816) ; XII M 11 et 12 (états mensuels), 29 (liste), 30 (Bourse), 35 (taxe), 37 (Chambre de commerce) ; P 79 (taxes), 87 (impositions), 250 (tabac), 295, 307 (tabac) ; J. suppl. 79-17 (statistiques) ; W 1118, 46-47, 49, 61, 64, 72, 102 (Chambre de commerce: mémoire de Mennet) ; Archives municipales de Strasbourg, fonds Gerschel, boîtes 27 et 35; Almanach du commerce, 1812 ; Annuaire statistique du Bas-Rhin, 1807-1820; J.F. Hermann, Notices historiques, statistiques et littéraires sur la Ville de Strasbourg, Strasbourg, 1817, 21. ; Mémoire pour le Sr Mennet, Strasbourg, s.d. [1827], Archives départementales du Bas-Rhin M 32 863 ; P. Leuilliot, « Les préfets du Bas-Rhin pendant la Restauration (l815-1830) », Annuaire administratif du Bas-Rhin, 1930, p. 5-9; F. Ponteil, « La contrebande sur le Rhin au temps du Premier Empire », Revue Historique, mars-avril 1935, p. 1-30; F. L’Huillier, Recherches sur l’Alsace napoléonienne, Strasbourg, 1947, p. 329, 441, 504; F. Leuilliot, « La crise économique de 1826 ou les enseignements d’une faillite », Revue d’Alsace, 1947, p. 43-52 ; P. Leuilliot, L’Alsace au début du XIXe siècle, Paris, 1959, p. 435-459 ; F. Ponteil, Georges Humann 1780- 1842, Paris, 1977, p. 22, 24, 28; G. Ellis, Napoleon’s Continental Blockade. The case of Alsace, Oxford, 1981, p. 44, 195, 292; M. Hau, « La crise économique de la fin de la Restauration en Alsace », Bulletin de la Société académique du Bas-Rhin, CI-CII, 1981-1982, p. 127-138; G. Foessel, « Le règne des notables. Strasbourg et la monarchie constitutionnelle », Histoire de Strasbourg des origines à nos jours, sous la dir. de G. Livet et F. Rapp, Strasbourg, IV, 1982, p. 53-68; M. Hau, L’industrialisation de l’Alsace (1803-1939), Strasbourg, 1987, p. 208-223.
Pour le Conseil général: J.-G. Pauli, Le Conseil général du Bas-Rhin sous le Consulat et l’Empire. Sa composition, son œuvre économique, D. E. S., Strasbourg, 1957; O. Meyer, Le Conseil de préfecture du Bas-Rhin, Paris, 1963; Himly, Chronologie de la Basse Alsace, Strasbourg, 1972, p. 201; J. Fabing, Le Conseil général du Bas-Rhin de 1815 à 1830, maîtrise, Strasbourg, 1990. Pour la Chambre de commerce: N. Kelhetter, La Chambre de commerce de Strasbourg de 1802 à 1831, mémoire de maîtrise, Strasbourg, 1990.
Pour le tabac: F. Ponteil, La situation économique du Bas-Rhin au lendemain de la Révolution, Strasbourg, 1927, p. 66-72, 121; D. Brunn, Le tabac en Alsace au XIXe siècle (1810-1870), D. E. S., Strasbourg, 1967; R. Marx, La Révolution et les classes sociales en Basse Alsace, Paris, 1974; J. Vogt, « Le commerce du tabac à Strasbourg et dans ses environs », Annuaire de la Société des Amis du Vieux-Strasbourg, 1981, p. 109-114; idem, « Pour une typologie de la propriété rurale des Strasbourgeois au cours de la première moitié du XIXe siècle », Annuaire de la Société des Amis du Vieux-Strasbourg, 1989, p. 112; H. Uchida, Le tabac en Alsace aux XVIIe et XVIIIe siècles, thèse, Strasbourg, 1990, p. 242.
† Georges Livet (1995)