Publiciste, jacobin, grammairien et lexicographe, (C, puis Pr) (★ Troyes, Aube, 17.11.1749 † Paris 15.3.1827).
Fils de Charles Jean Thiébaud, maître perruquier natif de Vitré, Ille-et-Vilaine, et d’Anne Bodier, fille d’un maître perruquier de Troyes. ∞ vers 1773 Françoise Delaporte (★ Moutier-Rozeille, Creuse, 1.9.1752 † Charenton-le-Pont, Val-de-Marne, 21.3.1813); 2 filles dont l’aînée, Marguerite Judith ∞ Pierre François Monet ©, maire de Strasbourg de 1793 à 1794. De 1758 à 1765 il fréquenta le très libéral collège des Oratoriens de Troyes. On ne sait où il poursuivit ses études. On retrouve sa trace à Genève en février 1773 où il se déclara Benédictin de Grenoble (alors qu’il n’y en a jamais eus dans cette ville) et «ayant rendu une fille enceinte, l’a enlevée et a quitté le pays avec elle, qu’il a passé à Genève, Noyon, Berne, Bâle et Francfort où il a fait abjuration, que de là il est revenu à Bâle ayant avec lui une femme prête d’accoucher, qu’aujourd’hui il ne sait de quel côté se tourner, mais qu’il espère trouver quelque ressource à Bâle, qu’il a besoin de secours en attendant». Le 21.1.1775, le petit sénat de Bâle lui accorda l’autorisation de séjour en tant que civis academicus et la régence de l’université l’autorisa, pour sa sécurité, à porter un autre nom. Il prit alors celui de Delavaux qu’il modifia par la suite en de Lavaux puis de la Vaux. Entre 1775 et 1779, il enseigna le français à l’université de Bâle. Il y publia son premier ouvrage, Œuvre du chevalier Heidlinger, ou recueil des médailles de ce célèbre artiste, 2 vol., Bâle, 1776-1778, puis en 1780, l’Eloge de la folie d’Erasme ©, traduit du latin, et le Musarion de Wieland, également en traduction. Il quitta Bâle en 1779 pour Berlin où, ayant d’abord ouvert une école de langue française qui avait rapidement périclité, il se tourna vers la publication de pamphlets et surtout de manuels scolaires de français, ce qui amena Frédéric II à lui conférer le titre de professeur royal, sans poste ni rente. En 1783 il fit paraître une Défense de l’abbé Raynal et de Borelli et les Nuits champêtres, recueil de pensées et de réflexions sur des thèmes variés dans le pur esprit de Rousseau, ouvrage traduit en plusieurs langues. En 1785, il publia un Dictionnaire français-allemand en 2 vol. plusieurs fois réédité (7e édition, Strasbourg, 1810-1812). Apprécié pour ses publications et ses enseignements, son empressement à polémiquer lui attirèrent de nombreuses inimitiés. Pendant l’été 1785, le prince-héritier lui fit savoir que si le roi venait à mourir, il lui retirerait la protection royale dont il jouissait, ce qui l’engagea à rechercher une autre situation. Il la trouva auprès du duc Charles Eugène de Wurtemberg, et arriva à Stuttgart le 16.10.1785 pour occuper le poste de professeur de langue et littérature françaises à l’Académie Caroline. Lors de son séjour à Berlin, il avait été gagné aux Lumières et était en correspondance avec l’abbé Raynal. Il y avait aussi fait la connaissance de Mirabeau qui s’assura de sa collaboration pour son ouvrage De la Monarchie Prussienne sous Frédéric le-Grand, 4 vol., Londres, 1788. Lui-même publia une Vie de Frédéric II, roi de Prusse, 7 vol., 1787-1789, éditée par le libraire strasbourgeois Jean Georges Treuttel ©. A cette époque, L. était un grand admirateur de Frédéric II et un défenseur passionné du despotisme éclairé, forme de gouvernement qu’il estimait supérieure à toutes les autres, même à la démocratie. Le 31.10.1791, il présenta à la société des Amis de la Constitution de Strasbourg un certificat de civisme délivré par celle de Metz, prêta le serment requis et fut admis comme membre correspondant. Il avait définitivement quitté Stuttgart le 10.10.1791. «Je vivais dans le Wurtemberg, lorsque la sublime révolution française m’a fait tourner les yeux vers ma patrie. Plein d’enthousiasme pour la liberté qu’elle m’offrait, j’ai repoussé loin de moi l’intérêt avili par le joug, et je me suis jeté dans les bras de mes frères et concitoyens, pour me livrer, au milieu d’eux, sinon au bonheur, du moins à l’espoir de servir ma patrie.» En réalité, il avait été licencié de l’Académie Caroline, non pour des raisons idéologiques comme il essaya de le faire croire, mais suite à une querelle provoquée parce que sa femme avait tenté de resquiller au théâtre. Il n’en était pas à sa première dispute, d’autres, toutes aussi mesquines et grotesques, avaient révélé un «Mr le professeur de la Vaux» teigneux, menteur, vindicatif et imbu de sa supériorité de Français. Arrivé à Strasbourg, sans occupation, il se décida pour l’activité politique et démocratisa son nom d’emprunt, s’appelant désormais Laveaux, sans particule. Au moment où une crise divisait les partisans de la Révolution, peut-être entraîné par Frédéric Christophe Cotta © et Euloge Schneider © qu’il avait connus à Stuttgart, il choisit de se joindre aux plus radicaux. Le 11.11.1791, il conclut un contrat de collaboration avec Jean Georges Treuttel qui lui confia l’entière responsabilité de la rédaction du Courrier de Strasbourg, seul quotidien en langue française à Strasbourg, et de son supplément tri-hebdomadaire, le Courrier de Paris et des départements à Strasbourg, qui parut du 21.12.1791 jusqu’en juin 1793, L. s’en étant retiré le 6.4.1793. Parmi les journaux révolutionnaires, le Courrier de Strasbourg était, si on excepte ceux de Paris, l’un des plus importants de France, avec 1 200 à 1 500 abonnés. Dès lors, L. fut un assidu de la société des Amis de la Constitution, s’imposant de suite comme le chef de file des radicaux francophones. Il y prononça son premier dis- cours le 3.1.1792 et déjà le 13 du même mois en fut élu président. Il en vint rapidement à s’opposer au maire Frédéric de Dietrich ©, l’accusant de vouloir faire mettre la ville en état de guerre pour en expulser les meneurs Jacobins, dont lui. Il provoqua ainsi une vive polémique qui aboutit à la scission de la société le 5.2. entre Jacobins et modérés et contribua pour beaucoup à la détérioration de la situation par ses articles critiquant les corps administratifs qui, selon les Jacobins, refusaient d’appliquer les lois contre les prêtres réfractaires. Le 19.4.1792, il fut accusé par la municipalité de Strasbourg d’avoir tenté de provoquer la veille une expédition à main armée contre ces prêtres. Incarcéré, mais libéré le 16.5. pour vice de procédure, il transforma un jugement de pure forme en victoire politique, qui fut amplifiée par toutes les sociétés jacobines du pays. Voulant exploiter la réputation ainsi acquise, début juin, il quitta Strasbourg pour Paris, en compagnie du général Charles Hesse (prince Charles Constantin de Hesse-Rheinfels) et des frères Junius et Emmanuel Frey, deux juifs moraves, enrichis et anoblis, membres des Jacobins de Strasbourg (de leur vrai nom Dobruschka) qui l’avaient généreusement soutenu pendant sa détention. Il y dénonça le maire Dietrich au ministre de l’Intérieur Roland. Intervenant aux Jacobins de Paris après les événements du 20 juin, il se déclara anti-monarchiste et milita pour la déchéance du roi. Tenu au courant par Jean Christophe Kienlin © et Jean Frédéric Simon ©, membres du comité central secret des fédérés à Paris, de l’action qui s’organisait, L. revint précipitamment à Strasbourg avec Philibert Simond © pour préparer les Strasbourgeois à la prochaine tentative de destitution du roi. Arrivés le 9.8., ils furent aussitôt expulsés et s’en retournèrent à Paris alors qu’entre-temps la Monarchie fut renversée. Le 14, L. dénonça le maire Dietrich à l’Assemblée nationale, puis, en compagnie de Philibert Simond et Jean Frédéric Simon, une seconde fois le 18, provoquant ainsi sa destitution et sa citation à la barre de l’Assemblée. L. serait peut- être revenu à Strasbourg si le ministre Roland avait consenti à le désigner à la succession de Dietrich. L. lui en tint rigueur. Il trouva une autre opportunité. Le 29.8. il fut nommé commissaire du Conseil exécutif provisoire pour superviser et encourager le recrutement des volontaires dans le département du Loiret. Contrairement à certains de ses collègues, il se montra modéré, ce qui n’empêcha pas son rappel fin septembre. Il en voulut à Roland et aux Girondins et se rapprocha alors de la Montagne. A nouveau assidu aux Jacobins, il intervint souvent dans leurs débats, mais n’ayant pu trouver d’emploi, il retourna fin novembre à Strasbourg où il avait laissé sa famille, y reprenant ses activités de journaliste et de jacobin, avec l’ambition de se faire élire à la municipalité, sinon maire, du moins procureur de la commune. Ce fut l’échec, le sien et celui de tous les Jacobins de la ville, mais le 28.1.1793, après que Michel Thomassin eût été destitué, L. réussit à se faire nommer à sa place de directeur de la régie nationale de l’enregistrement du Bas-Rhin par les commissaires de la Convention nationale envoyés à Strasbourg pour épurer les corps administratifs. Sa nomination ayant été déclarée illégale, il fut contraint d’y renoncer le 18.3. Peu de jours auparavant, Dietrich avait été acquitté par le tribunal criminel du Doubs malgré un témoignage accablant de L. Le 17.3., avec Euloge Schneider, L. avait provoqué des troubles dans la ville et était menacé d’être lynché par la foule. Dénoncé à la même époque à la Convention nationale d’être la cause et le prétexte des dissensions qui agitaient Strasbourg, il prit conscience de son impopularité croissante, et, début avril, quitta la ville avec femme et enfants pour définitivement s’établir à Paris dans l’espoir d’y trouver une situation ou un emploi. Il reprit sa fréquentation aux Jacobins et se lia avec Pierre Louis Bentabole ©, député du Bas-Rhin qui lui fit obtenir le 18.4. la place de sous- chef de bureau à l’inspection générale des troupes au ministère de la guerre. Ce fut encore grâce à lui que les Jacobins le nommèrent le 8.5. rédacteur en chef du Journal de la Montagne, leur journal officiel, dont le premier numéro parut début juin. Il s’engagea de suite dans une violente campagne contre le général Custine et témoigna contre lui devant le tribunal révolutionnaire. Mais il entra aussi en conflit avec l’hébertiste Nicolas Vincent, son supérieur hiérarchique au ministère, ce qui entraîna son licenciement le 26.9. et même une courte incarcération jusqu’au 9.10. Anticlérical, anti-catholique, mais déiste, L. s’opposa à la campagne de déchristianisation orchestrée par les hébertistes, mais fut pris à partie par Hébert qui exigea son renvoi immédiat du Journal de la Montagne. Ayant commis quelques maladresses politiques, L. ne trouva pas de soutien aux Jacobins et donna sa démission de rédacteur le 20 brumaire II (y 10.11.1793). Le 6 nivôse Il (= 26.12.1793), en même temps que Simond, Bentabole, Schneider et Perrigny, il déposa devant le tribunal révolutionnaire contre Dietrich. Il fut aussi l’un des témoins à charge au procès des hébertistes. Sans emploi, privé d’appuis, il tenta de reconquérir son audience aux Jacobins, et le 1er germinal II (y 21.3.1794) il fit paraître le premier numéro du Conservateur en s’alignant sur l’orthodoxie du Comité de salut public définie par Robespierre; pourtant, le 12 germinal II (y 1.4.1794), jour de l’exécution d’Euloge Schneider, il fut arrêté par ordre du Comité de Sûreté Générale «par mesure de sûreté générale» et incarcéré à Ste-Pélagie, passant le reste de la Terreur en prison. Libéré le 18 thermidor II (y 6.8.1794), il se proclama de suite victime de la tyrannie de Robespierre. Il retourna aux Jacobins, y retrouva une certaine faveur, mais s’étant prononcé pour la liberté totale de la presse, il y rencontra une si violente opposition qu’il n’y parut plus. Il fut nommé agent national du district de Paris près le département de Paris en août 1794, mais en fut démis après les émeutes des 1er au 4 prairial III (= 20-23.5.1795). Au cours de l’été 1795, L. acheta une maison à Charenton et y installa deux presses, car dégoûté, il était « résolu de ne plus jamais se mêler d’affaires publiques, et de renoncer pour jamais à la carrière des places, ainsi qu’à la rédaction des journaux politiques, je me confine uniquement dans ma solitude et à la composition et à l’impression d’ouvrages de littérature d’une utilité générale », ainsi qu’il l’écrivit à Jean Georges Treuttel à Strasbourg sollicité pour s’associer à son entreprise. Pourtant en l’an IV, il accepta une place de commissaire du pouvoir exécutif près l’administration municipale du canton de Charenton, puis, en frimaire VI (novembre/décembre 1797) celle de chef de division du bureau des domaines nationaux de l’administration centrale du département de la Seine qu’il occupa jusqu’à la fin du Directoire. Il n’avait pas pour autant abandonné ses activités littéraires et en 1795 il publia, à Lausanne, une traduction des Sermons de Zollikoffer (2 vol.) et en l’an IV, à Paris, son Histoire des premiers peuples qui ont habité la France (3 vol.), rédigée à Stuttgart entre 1788 et 1791. L’année suivante il fit paraître plusieurs ouvrages dont les Annales de la République Française depuis l’établissement de la Constitution de l’an trois et l’Histoire de Pierre III, empereur de Russie. En l’an XII (1803- 1804), il fut promu chef de bureau de l’administration des institutions militaires à la préfecture de la Seine et rédacteur du bureau des statistiques ainsi qu’accessoirement, en 1807, traducteur officiel à la préfecture. En 1808, il passa chef de division pour l’administration des prisons et hospices. En 1802, il avait publié le Dictionnaire de l’Académie française. Nouvelle édition augmentée de plus de vingt mille articles (Paris, 2 vol.) qui généra une cascade de procès jusqu’en 1806, se terminant par la confiscation du dictionnaire, la ruine des éditeurs, mais une solide réputation de lexicographe pour L. Avec la chute de l’Empire il perdit ses fonctions à la préfecture, bien qu’il acceptât la Restauration sans état d’âme, et même de coopérer avec le « gouvernement légitime » en reniant « l’hydre révolutionnaire » (selon ses propres termes dans un mémoire de 1816). Il alla même jusqu’à reprendre un nom aristocratique abandonné en 1791, publiant ses ouvrages sous le nom de Jean-Charles Thibault de Laveaux. Hormis ses fonctions de traducteur-interprète qu’il garda jusqu’en 1823, il se consacra alors entièrement à des travaux de grammairien et de lexicographe, publiant, en 1818, un Dictionnaire raisonné des difficultés grammaticales de la langue française (réédité en 1822, 1847, 1873, 1892 et 1910), en 1820, un Nouveau dictionnaire de la langue française, en 1825, un Nouveau dictionnaire portatif de la langue française, et en 1826, le Dictionnaire synonymique de la langue française, dernier ouvrage publié de son vivant.
Staatsarchiv Basel-Stadt, Kleiner Rat, 148 ; Universitätsarchiv Basel, Privatarchiv 141 F 1 ; Archives d’Etat de Genève, Prosélytes, 5 ; Archives départementales de la Creuse, RP de Moutier-Rozeille ; Hauptstaatsarchiv Stuttgart, A 272, Bü 139, dossier de la Vaux ; Archives départementales de Haute- Savoie, Tabellion sarde de Bonneville, actes passés à l’étranger, n° 1693 ; EC Montrouge registre des décès, 1844, n° 108. Essentielle est la thèse de H. Gough, Jean-Charles Laveaux, 1749-1827. A Political biography, Université d’Oxford, 1974, XI t 542 p., dactyl., qui contient une liste très complète des écrits de L. (p. 514-519). Présentation des journaux et journalistes alsaciens dans La presse départementale en Révolution (1789-1799), La Garenne-Colombes, 1992, (p. 185-274 : J.-P. Kintz, Alsace. Départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin). M. Barth, Notices biographiques sur les hommes et la Révolution à Strasbourg et les environs, Strasbourg, 1885, p. 356-362, et Sitzmann II, p. 119-120, comportent de nombreuses erreurs. E. Seinguerlet, Strasbourg pendant la Révolution, Paris, 1881, doit être complété par un article de H. Gough, Politics and power : the triumph of jacobinism in Strasbourg, 1791-1793, The Historical Journal 23, 1980/2, p. 327-352, qui renouvelle les études de cette période (tiré à part : AMS, BrD 710). Cf. aussi R. Marx, Recherches sur la vie politique de l’Alsace pré-révolutionnaire et révolutionnaire, Strasbourg, 1966 et la récente thèse de M. Neugebauer-Wôlk, Revolution und Constitution. Die Brüder Cotta, Berlin, 1989, 679 p.
Claude Betzinger (1994)