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LA GRANGE Jacques François de

Intendant d’Alsace, (C) (★ Blois, paroisse Saint- Honoré, Loir-et-Cher, 11.11.1643 † Andeuille, près d’Etampes, Essonne, 14.7.1710).

Fils de Pierre de La Grange († 1660), « noble homme », et de Marie Yonnet. ∞ 20.8.1679 à Paris Florimonde Bonnet de Mainville († 1737), veuve de Richard de Boistel de Courcelles, fille de « noble Jean Bonnet, conseiller du roi, et de Marie Hébert » (mariage fait « du consentement de… Michel Le Tellier, chancelier de France, et de F. M. Le Tellier, marquis de Louvois… ») ; 2 enfants. Formation sur le tas en tant que commis dans les bureaux de Louvois © qui estimait ses qualités d’intelligence, d’ordre et de fidélité, dès 1660. Commissaire des guerres sur la frontière du Nord (1671), il succéda en 1673, en qualité d’intendant, à Poncet de La Rivière © dans la province d’Alsace que Louvois venait d’obtenir par échange avec Pomponne. D’abord intendant de la police et des finances, puis de justice (1679). Il remplaça les grades juridiques qui lui manquaient par son activité dans tous les domaines et mérite ainsi le titre de « conquérant civil de l’Alsace » (R. Reuss). Avec les militaires Montclar, Créquy, d’Huxelles ©, et sous l’autorité directe de Louvois, il participa au « rassemblement des terres d’Alsace » et au développement de la politique de réunions (1679-1682) ; il travailla avec Vauban à la construction et à l’entretien des forteresses qui assurèrent la sécurité de la province nouvellement constituée ; souvent délégué en qualité d’intendant d’armée, il fut chargé du ravitaillement des armées opérant en Allemagne et à celui des garnisons. Il assista au siège de Heidelberg (1693). Il joua un rôle important dans le domaine des subsistances au moment des crises de 1675 et de 1697-1698, et se préoccupa de la « reconstruction agraire et artisanale » du pays en voie de repeuplement, après et pendant les misères de la guerre, quasi incessante entre 1673 et 1698. Il joua un rôle dans l’offensive de rupture avec le Saint-Empire (fin de la juridiction des tribunaux d’Empire) et surtout dans l’équilibre à garder entre les impératifs de la politique mercantiliste et le maintien du trafic nord-sud dans une province « à l’instar de l’étranger effectif ». Avec le vicaire général Martin de Ratabon © et les Jésuites, il développa, par la contrainte et le discours, une politique religieuse favorable au catholicisme (l’alternative et le simultaneum), surtout en Basse-Alsace. Avec la collaboration d’Ulrich Obrecht ©, prêteur royal de Strasbourg, il confectionna le grand Mémoire de 1698 destiné à l’instruction du duc de Bourgogne, très documenté et nourri d’impressions personnelles sur le caractère de la province et de ses habitants : « Le gouvernement de Strasbourg tient trop de la République… le naturel de ces peuples est à la joie… » Il ne négligea pas sa fortune personnelle, malgré ses ennuis domestiques avec son épouse qui partit habiter Paris. Il reçut du roi en 1682 les fiefs, alors vacants, de Florimont, Hattstatt, Holtzwihr, Wickerschwihr, Biltzheim et Oberhergheim. Il avait reçu de son oncle Yonnet le château d’Andeuille (20 chambres) et, de son frère officier, Fougères en Blaisois. Il possédait un hôtel à Paris rue des Francs-Bourgeois et, à Strasbourg, il s’installa après 1681 dans le Kartuserhof (hôtel des Chartreux à l’emplacement de l’école Saint-Thomas), devenu hôtel de l’intendance, avant d’accueillir en 1755 la Monnaie royale, après la fin des privilèges strasbourgeois dans ce domaine (dès 1690-1693). Sensible aux charges qui pesaient sur la province, il s’efforça de les limiter tout en exécutant le mieux possible les ordres royaux, à un moment où les besoins étaient énormes. Les jugements sur son activité sont contradictoires. Intendant de combat dans une province en voie de constitution, serviteur d’un maître impérieux voire brutal, plus soucieux de rendement et d’efficacité immédiate que de transparence juridique et de respect du droit, La Grange a été accusé de malversations dans la question des fourrages, des espèces d’or et d’argent et des grains, de despotisme personnel et bureaucratique. Il fut soumis à différentes enquêtes : « Le dit Sr de La Grange est haï universellement soit de la noblesse, soit des bourgeois, soit des peuples… » » (La Fond ©) ; « négligence et facilité à l’égard des gardes magasins » (La Boutière) ; « faveurs illicites de femmes, filles ou parentes… » (Jules de Pflugk, grand bailli du comte de Linange). Le syndic de Strasbourg, J.-B. de Klinglin ©, donna une opinion plus nuancée dans une lettre à Barbezieux qui avait succédé à son père en qualité de ministre de la Guerre (1691) : « Le Magistrat de cette ville, avec qui il a toujours vécu en très bonne intelligence et dont il s’est fait aimer… toute cette province qu’il a ménagée autant qu’il a pu, en avançant pourtant d’un autre côté les intérêts du roi à proportion des forces de l’Alsace. » Révoqué à la fin de janvier 1698, peu soutenu par ses pairs, La Grange se retira à Andeuille et à Paris.

Archives privées (R. Rousselle) ; Archives notariales (études Routier et Junot à Paris : contrats de mariage) ; Bibliothèque nationale, Dossiers Bleus, n° 330 ; Archives de la Guerre, A1 1215 (nomination de La Grange comme intendant dans l’armée d’Allemagne, 1693) ; R. Reuss, L’Alsace au XVIIe siècle, Paris, 1890 ; J. R. Brecht, Historischer Bericht von der Religions-Veränderung in Duttlenheim 1686, éd. par R. Reuss, Strasbourg, 1911. p. 20, 22 (exemple concret de la politique religieuse de La Grange ; J. Benoist d’Anthenay, Le premier administrateur de l’Alsace française, J. de La Grange, préf. d’A. Oberkirch, Strasbourg, 1930 ; G. Livet, « La monarchie absolue et la bourgeoisie alsacienne. D’après les fonds notariaux et les registres des magistrats », La bourgeoisie alsacienne, Strasbourg, 1967, p. 133- 152 (en appendice : contrat de mariage de J. F. Fumeron, secrétaire de l’intendance, et de M. C. Meyerhoffer, 13 juillet 1686) ; L’Alsace en 1700. Mémoire sur la province d’Alsace, présenté et commenté par Roi. Oberlé, augmenté de notes inédites du XVIIIe s. de Ph.-X. Horrer, préf. de G. Livet (mémoire de La Grange), Colmar, 1975 ; L. Châtellier, Tradition chrétienne et renouveau catholique, Paris, 1981, p. 319 (in- dex) ; G. Livet, L’intendance d’Alsace sous Louis XIV, 2e éd., Strasbourg, 1991, p. 417 et s., 942-944.

Georges Livet (1994)