Religieux, maître spirituel (★ Guebwiller entre 1424 et 1428 Rome 16.6.1468). Immatriculé à Erfurt en 1442, il y devint maître ès arts. L’un de ses condisciples, Egeling de Brunswick, devait, comme lui, se préoccuper de théologie pratique et d’action pastorale. Il se peut qu’ils aient, l’un et l’autre, été marqués par l’atmosphère intellectuelle qui se développait à Erfurt, en même temps qu’à Vienne, et dont Gerson avait été dans une large mesure le promoteur.
Kreutzer revint en Alsace au plus tard en 1454. À cette date, il apparaît dans les documents comme curé de la paroisse de Saint-Laurent, à la cathédrale de Strasbourg. L’évêque Robert de Bavière lui confia les fonctions de pénitencier. Egeling l’accompagna et devint chapelain et prédicateur chez les Chartreux de Koenigshoffen. La querelle entre les séculiers et les réguliers à propos de l’ultimum vale donna l’occasion à Kreutzer de mettre son talent d’orateur au service de ses confrères et d’attirer sur lui l’attention des Mendiants qui le prirent pour cible de leurs attaques. Ils réussirent à le faire excommunier en 1455 et le Magistrat de Strasbourg l’expulsa au cours de l’été de 1456. Kreutzer reprit ses études de théologie à Heidelberg. Il obtint sa licence en 1461. Mais à cette date il avait déjà gagné Bâle où, en 1459, le chapitre cathédral lui avait conféré une prébende canoniale à laquelle était attaché le poste de prédicateur. Quand, l’année qui suivit son arrivée, l’Université de Bâle fut créée, la nouvelle faculté des Arts fit de Kreutzer son premier doyen. Non content d’assurer les prédications à la cathédrale et, sans doute, de donner des cours aux « artiens » il termina son cursus de théologien et soutint ses thèses sous la direction de Johann von Wesel qui représentait le courant de pensée nominaliste, celui qui orientait le plus ses tenants vers l’action pastorale. Recteur en 1464, Kreutzer devint professeur à la faculté de Théologie. Mais entre temps, un changement décisif s’était opéré dans les convictions de cet ancien adversaire des Mendiants. À Bâle, il avait rencontré les Dominicains de stricte observance. Leur ferveur et leur règlement l’avaient conquis. Dès 1461, il les avait aidés à réformer le couvent de leur ordre dans sa ville natale, Guebwiller. L’un des observants les plus actifs, Johann Meyer ©, était devenu son ami, qui put compter sur l’appui de Kreutzer qui imposa la réforme au monastère des Dominicaines de Fribourg-en-Brisgau (1465). Kreutzer persuada les Dominicains de Guebwiller de renoncer à leurs biens et leurs revenus, afin que ces ressources fussent mises à la disposition du monastère d’Engelporten, à Guebwiller. Grâce à cette dotation, des moniales dominicaines purent se réinstaller dans ce couvent en 1466. La même année, Kreutzer qui venait d’achever son noviciat, fit profession au couvent des Dominicains de Guebwiller. Il avait fait sur Geiler © de Kaysersberg qui l’avait entendu prêcher à Bâle, déjà revêtu de sa robe blanche, une très forte impression. Après avoir été pendant un an lecteur à Nuremberg, il revint en 1468 à Guebwiller comme prieur de sa communauté. La même année, il se rendit dans la ville éternelle afin d’obtenir le déplacement du chapitre général d’Avignon à Rome. Il fut entendu, mais mourut, épuisé, le jour où commençait le chapitre. Les écrits de Kreutzer qui sont conservés nous apprennent ce que fut son ministère auprès des religieuses dominicaines. La forme de ses textes est très lyrique et fait un large usage des allégories et des procédés emblématiques. De nombreuses images sont empruntées à la vie quotidienne, le printemps, la moisson, les cures thermales, les beignets de carnaval… Le fond s’apparente à la mystique nuptiale. L’influence de la spiritualité bernardine est sensible ; la tradition de la mystique dominicaine est continuée. La fruitio Dei est le but que Kreutzer propose à ses disciples.
L. Pfleger, « Dr. J. Kreutzer, ein elsässischer Prediger und Reformator des 15. Jhts », Historisch-politische Blätter für das katholische Deutschland 150, 1912, p. 178-191, 241-247 ; M. Barth, « Dr. J. Kreutzer (gest. 1468) und die Wiederherstellung des Dominikanerinnenklosters Engelporten in Gebweiler », Archiv für elsässische Kirchengeschichte, 1933, p. 181-208 ; F. Landmann, « Zur Geschichte der ober-elsässischen Predigt in der Jugendzeit Geilers von Kaysersberg », Archives de l’Église d’Alsace, 1946, p. 137 ; idem, « J. Kreutzer als Mystiker und Dichter geistlicher Lieder », Archives de l’Église d’Alsace, 1953-1954, p. 21-67, 1957, p. 21-62 ; W. Schmidt, « J. Kreutzer, ein elsässischer Prediger des 15. Jhts », Festschrift H. de Boor, Tübingen, 1966, p. 150-192 ; idem, « Zur deutschen Erbauungsliteratur des späten Mittelalters », Altdeulsche und alt-niederländische Mystik, Darmstadt, 1964, p. 437-461; Dictionnaire de Spiritualité VIII, 1974, c. 1779 ; F. Rapp, Réformes et Réformation à Strasbourg, Paris, 1974, p. 536 (index) ; Neue Deutsche Biographie, XIII, 1982, p. 26 et s. ; S. Pelletier-Gautier, L’Église et la vie quotidienne à Guebwiller à la fin du Moyen Âge, Colmar, 1988, passim.
† Francis Rapp (1994)