Théologien réformé, traducteur et hébraïsant, (C, puis P zwinglien) (★ Guémar 1482 † Zurich 19.7.1542).
Fils de Johann Jud († Ribeauvillé 1501), curé de Guémar, et de Katharina Hochsang, de Soleure, où la famille Jud avait de la parenté. ∞ 19.11.1523 Katharina Gmünder, ex-religieuse de Saint-Gall. Sous le nom de Leo Keller, élève de Craton Hoffman © à l’école latine de Sélestat, inscrit ensuite à l’Université de Bâle (18 octobre 1499) pour des études en médecine, Keller mena, semble-t-il, la vie difficile et besogneuse d’un étudiant pauvre. On retrouve sa trace seulement en 1502 par son inscription au collège des arts de Fribourg-en-Brisgau, une bourse des seigneurs de Ribeaupierre © l’aidant à poursuivre ses études après la mort de son père. Bachelier ès arts (1503), il continua d’acquérir des connaissances avant de retourner à Bâle (1505) s’inscrire à la faculté de Théologie. Il y suivit des cours de Thomas Wittenbach, où il rencontra Ulrich Zwingli, dont l’amitié et l’influence allaient transformer sa vie. Pour entrer dans les ordres, il sollicita de Rome la dispense nécessaire à son ordination et la permission de porter le nom de son père. Diacre à Saint-Théodore (Petit-Bâle) sur la recommandation des Ribeaupierre (1506) et ordonné prêtre (1510), il s’inscrivit à la faculté des Arts sous le nom de Leo Jud. Curé de Saint-Hippolyte (1512) grâce à ses protecteurs, il disposait enfin de ressources suffisantes pour obtenir le grade de maître ès arts. En 1518, il partit remplacer à sa demande Zwingli, curé d’Einsiedeln depuis 1516, qui allait à Zurich. « C’est à Einsiedeln entre 1519 et 1522 que j’ai appris à connaître le véritable Évangile » écrivit-il plus tard. Au pèlerinage de Notre-Dame-des-Ermites, il continua les réformes introduites par Zwingli dont il exposait par la prédication les arguments contre le culte de la Vierge et des saints, les indulgences et les vœux monastiques. Cependant pour mieux comprendre l’Écriture et les Pères qu’il lisait constamment, il se mit à l’étude du grec et de l’hébreu. Pour lui-même et pour les rendre accessibles à un public plus étendu que celui des lecteurs habituels d’Erasme ©, il entreprit de traduire un certain nombre des écrits du grand humaniste. Sa version du Commentaire sur le 1er Psaume parut à Bâle (1520) et fut reproduite sans tarder à Strasbourg. En moins de deux ans (1521-1522), Jud donna chez Froschauer, à Zurich, les Commentaires séparés de plusieurs épîtres (principalement de saint Paul) qu’il compléta (1523) par la traduction de l’ensemble des paraphrases d’Erasme. Simultanément, il mit à la disposition du public de langue vernaculaire plusieurs œuvres par lesquelles Erasme invitait à réfléchir sur le christianisme véritable : L’institution du prince chrétien (Zurich, février 1521), le Manuel du soldat chrétien (Bâle, 1521), un écrit de 1504, où Erasme développait le combat du chrétien qui veut vivre selon sa foi. Jud y ajouta une version allemande de la Complainte de la Paix (mars 1521) et de l’Expostulatio Jesu cum homine (1522), sévère avertissement du Christ à l’homme pécheur. Il en rendit la véhémence par un poème de forme dramatique conforme à une tradition de la littérature populaire. Outre ces traductions soignées et originales d’œuvres d’Erasme, pour conforter les positions de Zwingli, Jud traduisit deux traités de Luther : Sur la liberté du chrétien (1521) et Sur les vœux monastiques (1522). Pendant le séjour de Jud à Einsiedeln, le nombre et la qualité des publications témoignent d’une rare puissance de travail et d’une remarquable aptitude au maniement et à l’acquisition des langues, au service d’un zèle sans défaillance aux idées qu’il avait adoptées.
Après le colloque réuni à Zurich, Zwingli proposa Jud pour la cure de Saint-Pierre (janvier 1523). Il en fit son bras droit et son remplaçant lorsqu’il devait s’absenter de Zurich. Jud mit toutes ses capacités au service des profondes transformations religieuses que Zwingli introduisit dans la ville dont le Conseil, proscrivant tout autre culte, établit (1525) une Église d’État qui professait « la pure expression de l’Évangile » (entendez la doctrine de Zwingli) et imposait les règles non seulement des croyances et de la pratique religieuses mais aussi de la conduite quotidienne de tous les habitants. Comme pasteur, pour ménager la transition entre les habitudes anciennes et le nouveau culte, Jud publia en allemand un Rituel du baptême et une brochure sur le décalogue avec les prières courantes (1523). Chargé par le groupe de Zurich de la diffusion de ses positions doctrinales, Jud écrivit une véhémente réfutation du traité de la défense de la messe catholique et de l’Eucharistie de M. Kraetz et un compte rendu militant de la polémique qui avait opposé Zwingli et M. Emser à propos du canon de la messe. Vis à vis de Luther, en revanche, Jud cherchait à modérer l’intransigeance de son ami. Il tenta même, dans une brochure sans marque d’origine, sous le pseudonyme de Ludovicus Leopoldus, de démontrer que sur la Cène les opinions de Luther, d’Erasme et des réformateurs suisses n’étaient pas fondamentalement contradictoires (1526). Erasme et Luther ayant violemment protesté, Jud signa et publia une mise au point et des excuses à Erasme. Il seconda Zwingli dans sa lutte contre les anabaptistes (1525) et au synode de Zurich (1528). Il diffusa les positions de Zwingli en traduisant en allemand ses traités Sur la vraie et la fausse religion (1525 et 1526) et Sur la Cène (1526) ainsi que le Sermon sur la Providence (dédié au landgrave de Hesse, 1531). Zwingli avait fondé et dirigeait un groupe d’études bibliques, qui publia, dès 1525, une traduction allemande (à partir du texte hébreu) des trois premières parties de l’Ancien Testament : Das Alt Testament dütsch. Jud, cheville ouvrière de ces travaux, s’effaçait parmi les « Prédicants de Zurich » qui signèrent (1529). Après la parution de Das Vierde teyl des Alten Testaments, ils firent paraître la Bible de Zurich en y joignant la traduction du Nouveau Testament (1531). À l’appui de leurs travaux, Jud publia entre 1527 et 1531 des notes prises aux cours (en latin) de Zwingli sur la Genèse et des Épîtres de saint Paul. Jud fit en outre imprimer (Zurich, 1529) sous son nom une traduction des livres exclus du canon hébreu : les Apocryphes de l’Ancien Testament, qui parut aussi à Augsbourg (1529) et à Strasbourg (1530) et fut plusieurs fois rééditée. La défaite de Cappel et la mort de Zwingli (11 octobre 1531) remirent tout en question. « Serviteur de la parole de l’Église de Zurich » parmi les autres, Jud proposa pour l’élection du successeur de Zwingli comme le plus capable un pasteur de 27 ans, Henri Bullinger, chassé de Bremgarten après Cappel. Il mit son expérience au service du groupe pour maintenir et réorganiser l’Église de Zurich. On négocia avec le Conseil de la ville rendu plus conscient et plus jaloux de son autorité par les conséquences des transformations introduites depuis 1523 et celles de la défaite. Bullinger et Jud rédigèrent les termes de l’accord passé entre le Conseil de la ville et les Serviteurs de la parole de Dieu pour « assurer l’ordre et la concorde dans la ville par une meilleure compréhension et organisation de l’Église réformée » (synode du 12 octobre 1532). Jud se devait d’abord de défendre la mémoire de Zwingli « mort en blasphémateur » selon Luther et son héritage spirituel violemment attaqués. Plus de ménagement à l’égard de Luther, Jud se brouilla même avec son ami Bucer © coupable d’avoir peu réagi à l’attaque contre « les fanatiques, les sacramentaires et les partisans de Zwingli » lancée par Luther (1533). Il s’employa à faire connaître la pensée et toute l’œuvre de Zwingli dont il publia (1532) une traduction des psaumes en latin, établie sur le texte hébreu. Il donna une traduction latine d’un exposé doctrinal en allemand (1535) et une autre en allemand de l’Expositio fidei Christianae ad regem Christianum écrite par Zwingli pour François Ier (1537). Toutes les notes, que Megander et lui-même avaient prises aux cours de Zwingli sur la Bible, furent progressivement publiées. Pour la formation des fidèles, Jud rédigea un catéchisme en allemand (janvier 1534, préface de Bullinger) qui fut adopté par plusieurs Églises, dont celle de Heidelberg.
Le groupe de Zurich en reprit le texte (1537) et l’abrégea. Bullinger avait réfuté les erreurs des anabaptistes dans des dialogues en allemand, Jud les traduisit en latin (1535). Il participa au colloque de Bâle (1536) qui établit la Confessio Helvetica prior. Il composa en latin un catéchisme (vers 1539) très proche de l’Institution chrétienne de Calvin ©. Le duc de Wurtemberg voulut prendre Jud à son service pour introduire la Réforme dans ses terres d’Alsace (Horbourg et Riquewihr), celui-ci déclina cette offre : il ne pouvait quitter Zurich où le retenaient de nombreuses obligations. Continuant ses travaux personnels de traducteur, Jud compléta (1534) les traductions des Paraphrases du Nouveau testament qu’Erasme venait de terminer et donna une édition avec un index et un tableau des textes des cultes de toute l’année (1542). Il établit la première traduction en allemand du traité de saint Augustin : L’esprit et la lettre, et celle de l’essai de Louis Vivès : La concorde et la discorde dans le monde, qui parurent à Bâle. Jadis Jud avait traduit L’Imitation de Jésus Christ, il jugea utile à la piété des fidèles de constituer dans le même esprit, à partir des Évangiles, un recueil de récits et de méditations, Das Lyden Christi (1534-1539). Le groupe biblique avait perdu son animateur et la situation à laquelle étaient confrontés les Serviteurs de la parole les contraignit à y renoncer, mais non au grand dessein de Zwingli, hâtivement réalisé : la Bible de Zurich, dont la traduction, comme la présentation, nécessitait une révision complète. Jud en prit la responsabilité. Pour l’Ancien Testament, l’hébraïsant Conrad Pellican © et un juif converti, Michel Adam, l’aidèrent à résoudre des difficultés du texte hébreu. En dépit de son énergie, Jud, malade, ne put soutenir le rythme de ses travaux. Bullinger s’y associa de plus en plus. La Bible de 1531, entièrement revue (1540) et encore améliorée (1542) parut avec tous les index, notices et concordances nécessaires. Parallèlement Jud avait préparé une traduction latine de la Bible, dont il fit imprimer le Livre des proverbes de Salomon ; Bullinger, après sa mort, publia (1543) la Biblia sacro-sancta, traduite d’après toutes les sources alors connues de l’hébreu et du grec.
En dépit de sa discrétion et de son effacement volontaire, on ne peut ignorer l’influence que Jud a exercée sur le passage à la Réforme des protecteurs de sa jeunesse : les seigneurs de Ribeaupierre. Leur bibliothèque a conservé plusieurs de ses traductions, dont une, dans un des recueils d’Ulrich, avec une dédicace manuscrite ainsi que de nombreux livres de Bullinger. Des documents confirment d’autre part les relations longues et constantes qui ont existé entre Anna Alexandrina de Furstenberg, veuve d’Ulrich, sa famille et Henri Bullinger. En 1563, ce fut la Réforme suisse que choisit Eguenolphe de Ribeaupierre.
Allgemeine deutsche Biographie, XIV, 1882, p. 551-654 ; J. Janssen, L’Allemagne et la Réforme, III, Paris, 1892, passim ; Sitzmann, Dictionnaire de biographie des hommes célèbres de l’Alsace, Rixheim, t. 1, 1909, p. 865-866 ; Bopp, Die evangelischen Geistlichen in Elsass-Lothringen, 1959, p. 273, n° 2566 : Neue Deutsche Biographie, X, 1974, 636 ; P. Chaunu, Le temps des Réformes, Paris, 1975, passim ; K. H. Wyss, L. Jud, seine Entwicklung zum Reformator, Francfort, 1976 ; L. Baillet, « Aspects et richesses de l’humanisme à Colmar et en Haute-Alsace », Grandes figures de l’humanisme alsacien, Strasbourg, 1978, p. 63-108.
Lina Baillet (1992)