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GRÜNEWALD Mathis ou Matthaeus von Aschaffenburg dit

Peintre, (C) (activité attestée de 1503 à 1524). Vraisemblablement originaire d’Aschaffenburg, Grünewald dont l’activité est attestée notamment à Francfort et à Mayence, a réalisé, probablement sur place en Alsace, les panneaux peints du retable de l’autel majeur de la commanderie des Antonins d’Issenheim (aujourd’hui au Musée d’Unterlinden à Colmar). En 1531, Melanchthon (Elementorum rethorices) cite comme peintre, Matthias, après Dürer et Cranach; un «Mathis van Oschnaburg» est mentionné parmi les peintres dans les Accuratae effigies… publiées à Strasbourg par Jobin en 1573, mais c’est Joachim Sandrart qui donne, enfin, en 1675 (Teustche Académie…) les indications les plus précises quoique lacunaires sur l’artiste qui peuvent être rapprochées de quelques mentions d’archives concernant un «Mathysmolern». Grünewald devait être actif dès 1503, date qui apparaît sur le retable de Lindenhardt et sur le Christ aux outrages (Munich, Alte Pinakothek) dont l’attribution est vraisemblable. Vers 1510, il peignit des volets fixes en grisaille (Karlsruhe, Kunsthalle et Francfort, Institut Staedel) destinés à compléter le retable de l’Assomption commandé à Dürer par Jacob Heller pour être placé dans l’église des Dominicains de Francfort où il devait peindre également une Transfiguration du Christ à la tempera (disparue). Sur l’un des panneaux de Francfort figure le monogramme MGN, signature probable de l’artiste. En 1510, il fut chargé par le chapitre de Mayence de réparer une fontaine du château de Bingen. En 1514-15, il fut cité dans un procès à Francfort à propos d’une malfaçon dans la construction, au château d’Aschaffenburg, d’une cheminée dont il avait dirigé l’exécution. C’est vers cette date qu’il dut travailler au retable d’Issenheim qui porte la date de 1515 (sur le pot d’onguent de sainte Madeleine) qui pourrait être celle de son achèvement. Un monogramme MGN, proche de celui qui figure sur la grisaille de Francfort et la date de 1519 figure sur le cadre d’un autel dédié à la Vierge des neiges (dont le panneau est probablement identifiable avec la Vierge actuellement conservée dans l’église de Stuppach), commandé par Heinrich Reitzmann, chanoine de la collégiale d’Aschaffenburg. Le même Reitzmann avait également commandé en 1504 une épitaphe à un «Meister Mathis» et souhaitait, dans son testament rédigé en 1514, qu’une œuvre soit exécutée par «Magister Matheus in Selgenstadt», mentions qui pourraient ne pas concerner Grünewald. En 1524, enfin, 146 florins sont payés àMeister Mathys pour le compte de l’archevêquede Mayence: il s’agit probablement d’un règlement total ou partiel du tableau commandé par Albert de Brandenburg pour l’église collégiale de Halle (Saint Maurice et Saint Erasme, Munich, Alte Pinakothek) cité dès 1525 dans un inventaire de l’église. Sandrart cite encore une Crucifixion qui appartenait à Guillaume de Bavière, gravée par A. Sadeler (Washington, National Gallery), un saint Jean (disparu) et trois triptyques de la cathédrale de Mayence enlevés en 1631 ou 1632 par les Suédois et disparus dans un naufrage. Deux identifications différentes avec des artistes connus par des mentions d’archives ont été proposés. La plus fréquemment citée reconnaît Grünewald en Mathis Nithardt (ou Neithardt) de Wurtzbourg. Ce dernier fut cité en 1516 à Mayence où il réclamait son dû au chapitre de la cathédrale, il habitait, en 1527, à Francfort où il fut cité dans un procès. La même année, on lui demanda le plan d’un moulin. Il mourut à Halle en 1528 et il fut alors cité comme «Maler adderwaserkunstmacher» et sous le nom de «Nithartoder Gothart». L’inventaire après décès de ses biens laisse à penser qu’il a pu également s’occuper de mines et avoir des sympathies pour le mouvement des paysans révoltés. Son nom de Nithardt expliquerait le N du monogramme, ses rapports avec le chapitre de Mayence, sa qualité de technicien de l’adduction d’eau et son passage à Halle seraient compatibles avec l’activité connue de Grünewald. Par contre, en 1528, à la mort du peintre, la femme de Mathis Nithardt décéda, alors que, selon Sandrart, la femme de Grünewald lui a survécu. En outre, cet artiste est toujours mentionné comme originaire de Wurtzbourg et jamais d’Aschaffenburg ou d’une ville identifiable avec «Oschnaburg».

Une autre hypothèse fait de Mathys Grün, le peintre d’Issenheim. Ce dernier acquit le droit de bourgeoisie à Francfort en 1512 à l’occasion de son mariage avec Anna, une juive dont la conversion fut l’occasion d’une grande fête au couvent des Antonins de la ville. Il est alors cité comme «Matheus Grune von Isenach» (Issenheim?), ce qui pourrait faire allusion à ses travaux pour les Antonins. En 1523 sa femme devint folle et dut être internée à l’hôpital du Saint-Esprit (or Sandrart dit de Grünewald qu’il était malheureux en ménage). En 1527, il vendit sa maison de Francfort et quitta la ville avec son fils. On le retrouve en 1529 au service de Valentin Schenck von Erbach au château de Reichenberg où lui-même et son fils décédèrent en 1532. Toutefois, entre 1515 et 1532 il fut souvent mentionné comme «bilthauer» ou «bildschnytzer», alors qu’une activité de sculpteur de la part de Grünewald n’a jamais pu être prouvée (malgré quelques tentatives). Surtout, pas plus que Nithardt, il n’est jamais cité comme venant d’Aschaffenburg et rien dans les mentions qui le concernent ne peut expliquer l’interpolation d’un N dans son monogramme.

Récemment Georges Bischoff a proposé d’identifier Grünewald avec un «mester Mathis», mentionné en 1523-24 à Belfort pour avoir peint un «guidon», (une bannière) et un tableau de l’église. Le même peintre pourrait avoir été au service de Jean de Morimont, seigneur de Belfort qui avait quelques relations avec les Antonins d’Issenheim et c’est peut-être le même personnage au profit duquel l’évêque de Strasbourg était intervenu en 1523 pour favoriser le règlement d’une affaire concernant la carrière d’Orschwihr comme celui qui fait des démarches, en 1525, pour obtenir l’appui du sire de Ribeaupierre. L’hypothèse conduirait à imaginer une part plus importante de l’activité de Grünewald se déroulant en Alsace, mais compte tenu du nombre considérable d’artistes portant le nom de Mathis à cette époque, rien n’autorise à la tenir pour assurée. En fait, aucun argument définitif ne permet de trancher entre les différentes identifications proposées et l’on ne saurait écarter l’éventualité de devoir les rejeter toutes. Aucune des identifications proposées ne justifient le nom de «Grünewald» introduit par Sandrart et qui n’a encore jamais été relevé dans une mention d’archives. Il est singulier de noter que Grünewald est cité pour avoir assumé le rôle d’une sorte de conducteur de travaux d’architecture et de spécialiste de l’adduction d’eau, que Nithardt s’occupe de la construction d’un moulin et peut-être de mines, que Grün fait de la sculpture. C’est dire que ces trois artistes, qu’ils soient réductibles ou non à deux, n’ont pu s’assurer une réputation suffisante pour vivre seulement de leur activité de peintre. Si le mystère de la personnalité de Grünewald demeure, son art est bien connu. Sa peinture se distingue de celle de ses contemporains par la vigueur de son expression, par l’audace de ses couleurs, par le caractère un peu visionnaire de ses paysages (qui le rapproche de l’école du Danube). Elle est caractéristique d’une peinture de transition entre l’expression gothique et l’art de la Renaissance. L’étrangeté de certaines des scènes peintes par Grünewald, notamment dans le Retable d’Issenheim, a fait parfois proposer des interprétations mystérieuses en rapport avec des sectes voire des hérétiques. Les travaux les plus fondés ont bien montré qu’il ne s’agissait que d’iconographies rares, mais toujours orthodoxes, certainement suggérées par quelque savant théologien.

F. A. Schmid, Die Gemälde und Zeichnungen von Matthias Grünenwald, Strasbourg, 1911; Thieme-Becker, Allgemeines Lexikon der bildenden Künstler von der Antike bis zur Gegenwart, XV, 1922, p. 134; W. K. Zülch, Der historische Grünewald. Mathis Gothardt-Neithart, Munich, 1938; Neue Deutsche Biographie, XVII, 1966, p. 191; H. J.Rieckenberg, «Matthias Grünewald. Name und Leben neu betrachtet», Jahrbuch derstaatlichen Kunstsammlungen in Baden-Wurttenberg, 11, 1974, p. 47-120; «Grünewald et son œuvre, actes de la table ronde de Strasbourg et Colmar, 1974», avec bibliographie sur Grünewald de Pierre Schmitt, Cahiers alsaciens d’archéologie, d’art et d’histoire, 1975; Bénézit, Dictionnaire critique… des peintres, sculpteurs, dessinateurs…, V, 1976, p. 246; P. Vaisse, Tout l’œuvre peint de Grünewald (Les Classiques de l’art), 2e éd., Paris,1984 (avec un état des questions malheureusement très partiel et mal informé); Encyclopédie de l’Alsace, VI, 1984, 3536; G. Bischoff,«Grünewald en Haute Alsace et à Belfort en 1523 et1524?», Revue d’Alsace, 112, 1986, p. 107-118.

Albert Châtelet (1989)