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FREY Albert Charles

Journaliste, maire de Strasbourg, parlementaire, sous-secrétaire d’État, (Pl) (★ Strasbourg 26.2.1888 † Strasbourg 14.10.1955).

Fils de Charles Frey, ébéniste puis employé des PTT, et de Marie Henck. ∞ 15.4.1919 à Strasbourg, Émilie Catherine Emma Heyler (★ Illkirch 22.2.1894 † Strasbourg 21.8.1945), docteur en médecine, fille de Théophile Heyler, directeur de la Société de constructions mécaniques d’Illkirch-Graffenstaden. Issu d’une famille d’origine modeste, orphelin de père en 1907, il était le 5e de onze enfants. Sa mère exerça sur lui jusqu’à sa mort une grande influence. Études secondaires à l’Oberrealschule de Strasbourg et universitaires, à la faculté de Philosophie jusqu’en 1913. Incorporé dans l’armée allemande, il réussit en 1914, à se faire nommer dans le service sanitaire de Strasbourg. Il s’inscrivit à la faculté de Droit et de Sciences politiques. Encore étudiant, Frey s’était orienté vers le journalisme, prenant notamment position contre la constitution de 1911 concédée par le gouvernement allemand, à laquelle il reprochait à la fois l’intégration confirmée de l’Alsace dans le cadre du Reich allemand et son caractère insuffisamment démocratique. Il fit ses premières armes à la Bürgerzeitung de Strasbourg de tendance libérale et fut le correspondant de la Frankfurter Allgemeine Zeitung et du Matin. Il dénonça avec son ami Paul Bourson © en 1913, dans une série d’articles retentissants, les projets du gouvernement impérial tendant à renforcer la mainmise de l’Allemagne sur la province et fit paraître, en 1918, avant l’effondrement de l’Empire allemand, des articles dans lesquels il affirmait sa position sans ambigüité : ni autonomie, ni plébiscite, mais un retour pur et simple à la France. Il se fit l’apôtre de ces conceptions, notamment durant les journées révolutionnaires qui se déroulèrent à Strasbourg, avant l’entrée des troupes françaises dans la ville, le 22 novembre 1918. Des soviets de soldats et de marins avaient alors proclamé l’instauration d’une république soviétique. Frey s’infiltra dans l’organisme central dit Comité des Treize et, épaulé par Jacques Peirotes ©, député socialiste de Strasbourg au Reichstag, il s’opposa avec courage aux meneurs qui appelaient au désordre dans la rue et pressa le commandement français de hâter son installation dans la capitale alsacienne, assurant du même coup le retour de l’Alsace à la France. Aussi fut il appelé le 23 janvier 1919 par le haut-commissaire de la République, à siéger, tant à la Commission municipale qui se substitua à l’administration allemande, qu’au Conseil consultatif d’Alsace et de Lorraine, mis en place dans les jours qui suivirent le 22 novembre 1918. Le gouvernement Clemenceau fit procéder en 1919, à des élections législatives dans l’ensemble du pays. Ces élections se déroulèrent au scrutin de liste départemental.

Frey figura en seconde position sur la liste du Bloc national constitué par une coalition des partis modérés, allant de l’UPR au parti radical et incluant le parti républicain démocratique dont Frey était le chef. Ce dernier remporta un succès personnel en obtenant 70.694 voix sur 133.616 votants et participa à la séance solennelle de rentrée de la Chambre des députés, accueillant, dans une cérémonie patriotique inspirée de celle de 1871, les députés des 3 départements recouvrés. Appelé à siéger à la Commission d’Alsace et de Lorraine et secrétaire de la Commission des Affaires étrangères, il participa activement à la vie parlementaire. Réélu sur la liste du Bloc national le 11 mai 1924, il fut rapporteur de 11 projets ou propositions de loi relatifs à l’Alsace et à la Moselle et consacra l’essentiel de ses interventions en séance publique, aux problèmes des départements alsaciens. Pour les élections du 29.4.1928, il choisit de se présenter dans l’arrondissement de Strasbourg-campagne et battit au second tour le communiste Charles Hueber ©, appuyé par les formations autonomistes. Durant cette troisième législature, il déploya une activité fructueuse dans les commissions où il siégea. Appelé au gouvernement en qualité de sous-secrétaire d’État au Commerce et à l’Industrie, il conserva ce poste dans les 3 ministères Pierre Laval du 28 janvier 1931 au 20 février 1932, faisant adopter par le Parlement une importante loi relative aux brevets d’invention. Les électeurs de Strasbourg-campagne lui renouvelèrent leur confiance le 3 mai 1932, en l’élisant député du Bas-Rhin contre l’autonomiste Karl Roos ©. Au cours de ce 4e mandat, il siégea sur les bancs de l’opposition, mettant son expérience de la vie parlementaire et sa profonde connaissance du monde politique, au service de ses concitoyens. En 1935, Frey envisagea de quitter le Palais Bourbon pour le Sénat, mais fut battu par le chanoine Eugène Muller ©. Aux élections générales de 1936, toujours candidat dans l’arrondissement de Strasbourg-campagne, il fut devancé au premier tour de scrutin, dans l’ambiance du Front populaire, par le communiste Alfred Daul ©. Jacques Fonlupt-Esperaber ©, ancien secrétaire général du Bas-Rhin et colistier de Ch. Frey en 1924, candidat modéré de tendance démocrate-chrétienne, qui briguait avec persévérance le siège de député de Strasbourg-campagne depuis 1928, arriva en 3e position. Il s’était, en 1928 et 1932, retiré de la compétition au 2e tour du scrutin. Le 3 mai 1936, il demeura sur les rangs au mépris des avertissements qui lui furent prodigués, assurant ainsi, à la faveur d’une élection triangulaire, l’élection d’un député communiste. Après cet échec qu’il ressentit cruellement, Frey se consacra exclusivement à sa tâche de maire de Strasbourg. L’homme politique expérimenté, rôdé par 16 années de mandats, terminait ainsi sa vie parlementaire. Entretemps, il s’était présenté en effet, en mai 1935, aux élections municipales de Strasbourg. Le poste de maire était détenu depuis 1929 par Charles Hueber ©, soutenu en particulier par les régionalistes appartenant au parti catholique de l’UPR. Les relations personnelles de Frey avec Michel Walter ©, principal leader de l’UPR, hâtèrent la désunion de la municipalité sortante qu’accentuait la sympathie que les chefs de la Landespartei (Karl Roos ©, Schall ©, Hauss ©) affichaient pour l’Allemagne nationale-socialiste. La lutte électorale fut âpre et longtemps indécise. Son prestige d’ancien membre du gouvernement ainsi que le précieux mélange d’habileté joviale et d’opiniâtre autorité qui formait le fond de son caractère, le désignèrent tout naturellement pour prendre la direction de la coalition des démocrates, des socialistes, de l’APNA et de l’UPR, soutenue par les radicaux-socialistes, qui se lança alors dans la bataille. Une liste proportionnelle d’entente fut constituée à la lumière des résultats du 1e tour de scrutin. Celle-ci s’opposa dans les 4 cantons de la ville à celle dite du Volksfront et remporta de justesse la victoire, en obtenant 20 sièges de conseillers municipaux contre 16 aux candidats autonomistes et communistes. Le 18 mai 1935, le nouveau conseil municipal entra en fonction. À l’appel de leur nom, 20 conseillers répondirent par un « présent » significatif, 16 autres conseillers firent entendre un ja non moins éloquent. Le suspense prenait fin. Les suffrages conjugués de tous les partis nationaux de droite et de gauche, le portèrent au poste de maire de Strasbourg ce même jour. Les postes d’adjoints furent équitablement répartis au sein de la coalition nationale, en faisant siéger côte à côte le catholique Michel Walter et le socialiste Marcel Edmond Naegelen ©. Le drapeau tricolore revenait à l’hôtel de ville après une absence de 6 ans. Cette élection, qui eut un retentissement national, marqua un tournant dans la carrière de Frey.

Il allait immédiatement se voir confronter avec le Front Populaire et les déchirements passionnés que provoquèrent dans la coalition municipale, les bouleversements politiques et sociaux de l’année 1936. Frey allait alors faire preuve de tout son génie politique, fait à la fois de doigté et d’autorité, pour assurer la survie d’une municipalité aussi diverse et maintenir la cohésion de son équipe, par-delà les divergences de doctrines et de personnes. D’autre part, en plus des antagonismes sociaux et politiques, il parvenait au pouvoir au moment même où la vie de la cité se voyait compromise, dans le domaine économique, par les départs continus vers l’intérieur du pays d’un nombre croissant d’entreprises et de particuliers, effrayés par le caractère de « glacis » que l’entre-deux-guerres finissant avait rendu à l’Alsace. Mais surtout, il allait se heurter à la montée des périls internationaux qui menaçaient au premier chef la cité dont il était le premier magistrat. Après les illusions de Munich, qui amenèrent le conseil municipal à donner, dès le 30 septembre 1938, aux avenues de la Paix et de la Liberté, les noms de Neville Chamberlain et d’Édouard Daladier, le maire Frey dut se consacrer désormais à l’établissement définitif et à la sensible amélioration, du premier plan d’évacuation de sa ville, déjà partiellement mis au point dès 1937. Ce fut d’ailleurs à cette occasion que débutèrent les excellentes relations que Frey eut toujours avec le futur maréchal de Lattre. Celui-ci avait en effet été nommé, le 22 août 1938, chef d’état-major du général Hering ©, gouverneur de Strasbourg et chargé par ce dernier, des relations indispensables avec la municipalité pour la mise en place des divers dispositifs d’évacuation prévus. Après avoir encore présidé, le 14 juin 1939, aux grandioses cérémonies du demi-millénaire de l’achèvement de la cathédrale, Frey eut à veiller du 2 au 4 septembre, à l’évacuation totale de sa cité dont les services municipaux furent transférés, sous la direction de l’adjoint Naegelen, à Périgueux. Frey déclara lui-même à ce sujet que « les Strasbourgeois devant l’épreuve décisive, avaient su, avec sérénité, rendre à la nation l’immense service qui leur était réclamé, et par là, s’étaient montrés dignes du grand passé, de la fière histoire, de leur ville… ». Durant toute la période de la « drôle de guerre », il demeura à la tête de « Strasbourg-maintenu » où il sut faire respecter avec fermeté, contre les empiètements et les réquisitions exagérées de certains services militaires, les biens des Strasbourgeois, et les prérogatives de la municipalité. Le 15 juin 1940 enfin, devant l’avance allemande, il quitta à son tour, le dernier, sa ville menacée et se réfugia à Périgueux où il demeura durant toute l’Occupation. Par le souci constant qu’il eut des conditions de vie de ses Strasbourgeois, Frey devint « le Maire des Réfugiés ». Il fut officiellement le symbole de Strasbourg captive et maintint, par sa seule présence, dans la communauté française, le souvenir de la capitale alsacienne. Rentré à Strasbourg où il reprit immédiatement la tête de la municipalité, le 27.11.1944, il se lia d’amitié avec le général Leclerc ©, le libérateur de Strasbourg. Son sang-froid légendaire allait faire une fois encore ses preuves, au début de 1945, lorsque Strasbourg, menacée par une double contre-offensive allemande, se vit en passe d’être abandonnée par le 6e groupe d’armée américain qui reçut alors l’ordre d’installer, à compter du 5 janvier, sa nouvelle ligne de résistance, le long des Vosges. Immédiatement, le général de Lattre décida, le 2 janvier, que la 1ère Armée française prendrait à sa charge la défense de la ville, symbole de la résistance et de la grandeur de la France. Cette décision fut immédiatement confirmée, dans la nuit du 3 janvier, par le général de Gaulle. À son tour informé de la situation, au matin du 3 janvier 1945, Frey résolut de ne pas quitter une seconde fois sa ville et de demeurer, quoiqu’il arrivât, au milieu de ses administrés. Il allait, d’autre part, tout mettre en œuvre pour la sauver. Dans la journée même, il télégraphia au général de Gaulle, pour protester contre l’évacuation des troupes américaines et réclamer la défense de Strasbourg. En même temps, le courrier personnel qu’il eut à ce moment avec le premier ministre britannique, Winston Churchill ©, avec lequel il entretenait déjà de cordiales relations, amena celui-ci à intervenir auprès du généralissime Eisenhower et à faire annuler, par ce dernier, l’ordre d’évacuation de la grande cité alsacienne, lancé par son état-major. Ses déplacements ostensibles à travers la ville, l’exemple de sang-froid et d’énergie qu’il donna une fois encore, firent merveille, évitèrent la panique et ramenèrent la confiance dans la population. En même temps, parvint la nouvelle de l’annulation par Eisenhower, de l’ordre d’évacuation, sur les interventions pressantes et résolues de de Gaulle et de Churchill. La menace subsista, mais le 4 janvier  parvint la nouvelle de l’arrivée à Strasbourg d’une division de la 1ère Armée. La ville sauvée, continua cependant à être bombardée par l’artillerie lourde allemande d’Oberkich et Frey harcela de Lattre, pour qu’une fois encore, il fût, sur la rive droite du Rhin, le sauveur de la capitale alsacienne. Ce fut chose faite le 15 et le 16 avril : de Lattre venant de Kehl et par eau, fit dans Strasbourg, une entrée triomphale, accueilli en grande pompe par le maire lui-même. Après le rétablissement de la législation française, le conseil municipal de Strasbourg, complété par arrêtés préfectoraux, fut réinstallé par le préfet Haelling, à la Mairie de Strasbourg, le 19 avril 1945. Les premières élections municipales qui eurent lieu les 23 septembre et 1er octobre. 1945, virent, le 7 octobre 1945, la réélection de Frey comme maire par 17 voix contre 15 à E. Naegelen. Les premières années qui suivirent la fin de la guerre, furent principalement des années de réadaptation et de reconstruction au milieu de toutes les difficultés créées en particulier par l’épuration, les restrictions, la crise du logement, etc. Le maire Frey assista non sans un certain scepticisme, à la fondation du Conseil de l’Europe qui tint ses premières séances à la mairie. Au cours de ces cérémonies, il eut la joie de remettre le 15 août, à Winston Churchill, le diplôme de citoyen d’honneur de Strasbourg, distinction que le conseil municipal avait déjà votée à l’unanimité, à son instigation, le 14 mai 1945, en faveur des généraux de Gaulle, de Lattre et Leclerc.

Durant ses vingt ans de mandat municipal, Frey poursuivit avec ténacité et énergie une politique à la fois méthodique et ouverte sur l’avenir. Il s’acquitta de cette tâche dans un style très personnel où une apparente nonchalance et un réel esprit de conciliation, voisinaient avec une autorité réelle et une intransigeance pouvant confiner à l’obstination. Il définit lui-même son action en ces termes : « les difficultés de la prévision économique n’empêchèrent pas la municipalité de Strasbourg d’avoir une politique immobilière, une politique de construction, une politique de l’énergie et une politique de l’industrialisation, pour ne citer que ces quatre, qui n’étaient pas condensées à la mode du jour dans quelque plan triennal ou quinquennal, ni même limitées à la durée du mandat d’un conseil municipal, mais qui, avec des variantes, furent poursuivies depuis un demi-siècle par les municipalités successives, au travers des conjonctures variables, parce que répondant à des nécessités vitales et permanentes ». Il avait acquis au fil des ans une assurance incontestable faite de la connaissance qu’il avait des choses et des hommes. Son humour, son sens de la répartie, sa causticité s’affirmèrent. On connaissait son calme, certains disaient son flegme, face aux événements les plus graves ou les plus imprévus. Il ne se laissait troubler par personne, conservant en toutes circonstances, la maîtrise de sa pensée, désarçonnant par ses boutades, parfois cruelles, ses adversaires comme ses amis. Robert Heitz qui fut, après la fin de la guerre, un de ses adjoints à la mairie et qui le connaissait bien, lui a consacré, dans un ouvrage publié après la mort de Frey, des pages qui constituent un véritable glossaire de ses boutades émaillées d’un esprit critique, souvent bonhomme, parfois cinglant. Il aimait ses aises, son intérieur, ses livres, la bonne chère, la grasse matinée. Ses détracteurs soulignaient avec complaisance sa nonchalance qui allait s’accentuant avec les ans. Fait commandeur de la Légion d’honneur, Frey demanda au général de Lattre de lui remettre les insignes de cette distinction, cérémonie qui eut lieu à la mairie de Strasbourg le 21 mars 1951. Ses obsèques se déroulèrent le 17 octobre 1955, en présence d’une foule nombreuse massée place Broglie devant l’Hôtel de Ville et au cours de laquelle plusieurs membres du gouvernement et la plupart des personnalités qu’il approcha, lui rendirent un solennel hommage.

Archives personnelles ; F. Eccard, L’Alsace sous la domination allemande 1871-1918, Paris, 1919 ; Ville de Strasbourg, compte rendu administratif (1935-1945), 2 volumes, Strasbourg, 1948 ; J. de Lattre de Tassigny, Histoire de la Première Armée française, Paris, 1949 ; G. Haelling, Une préfecture désannexée, Strasbourg 23.11.1944-8.5.1945, 1954 ; « In memoriam Ch. Frey », Revue de la navigation intérieure et rhénane, 1955, p. 671 ; Ch. Frey, Un grand strasbourgeois, Strasbourg, 1956 ; À la mémoire de Charles Frey, maire de Strasbourg, Strasbourg, 1956 ; Ville de Strasbourg, compte rendu administratif (1945-1955), 2 volumes, Strasbourg, 1957 ; Élan, 1957, n° 4 ; Dictionnaire de biographie française, V, 1968, 1742-1743 ; G. Foessel, « Strasbourg sous le drapeau rouge. La Révolution de novembre 1918 », Saisons d’Alsace, n° 28, automne 1968, p. 470-509 ; F.-G. Dreyfus, La vie politique en Alsace (1919-1936), Cahiers de la Fondation nationale des sciences politiques, 1969 ; B. Deck et collaborateurs, « Les élections municipales à Strasbourg 1945-1971 », Développement et Communauté, mars 1971 ; R. Heitz, Vues cavalières, Strasbourg, 1972 ; Himly, p. 306, 317, 318, 349 ; G. Foessel, « L’évacuation de Strasbourg (2-4 septembre1939) », Revue historique de l’Armée, 1973, n° 1 ; F. L’Huillier, Libération de l’Alsace, 1975 ; Histoire de Strasbourg des origines à nos jours, t. 4, Strasbourg, 1982. ; Encyclopédie de l’Alsace, VI, 1984, p. 3212 ; G. Foessel et M.-A. Oster, « Un personnage : Charles Frey », Saisons d’Alsace, n° 100, p. 93-96.

Georges Foessel et Maurice A. Oster (1988)