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ERWIN dit de Steinbach

Architecte († 17.1.1318). ∞ Husa († 21.7.1316).

Maître d’œuvre de la cathédrale de Strasbourg de 1284 à 1318. Est mentionné pour la première fois dans une charte de 1284 (meister Erwin der wercmeister). Bien que son nom soit porté sur une rature, on peut considérer Erwin comme le premier maître d’œuvre nommé par le Magistrat, succédant ainsi à l’architecte inconnu chargé de l’exécution du « projet B » et à maître Rodolphe le Vieux († 1276). Abstraction faite d’une citation incertaine en 1293, les mentions incontestables se situent toutes à la fin de la vie d’Erwin. En 1316, il construisit la gracile chapelle de la Vierge dans la grande nef de la cathédrale. Démolie en 1682, cette chapelle nous est connue par des gravures et un fragment de l’entablement conservé au musée de l’Œuvre Notre-Dame avec le nom d’Erwin en lettres onciales. Sur sa pierre tombale, dans le Leichhöfel entre la chapelle Saint-Jean-Baptiste et la sacristie des chanoines, il est qualifié de gubernator fabricae ecclesiae Argentinensi (administrateur de la fabrique de l’église de Strasbourg). Ce titre peut surprendre, car les deux administrateurs régulièrement nommés par le Magistrat, le chevalier Burkard Waldecke (1311-1321) et Gösselin Schöp (1312-1326) étaient toujours en fonction. En revanche, le poste de procurator, confié en principe à un clerc, était peut-être vacant vers 1317. À Heinrich von Hagenau (1289-1316) succéda en effet Johannes Urselinger (1318-1332). On ne sait rien pour l’année 1317 faute de documents. Aucune source authentique des XIIIe et XIVe siècles ne fait état du nom de famille « de Steinbach » accolé au nom d’Erwin depuis la Renaissance au moins. Une famille de ce nom existe cependant à Strasbourg dès le XIVe siècle ; Rodolphe de Steinbach par exemple représentait en 1348 la corporation des tanneurs au Conseil de la ville. C’est dans le catalogue des évêques de Strasbourg publié par Wimpfeling en 1508 que nous trouvons pour la première fois mention de l’inscription peinte du portail latéral nord de la façade de la cathédrale : Anno Domini MCCLXXVII in die beati Urbani hoc gloriosum opus inchoavit Magister Erwinus de Steinbach. Cet épigramme apocryphe remonte au XVe siècle, voire à la fin du XIVe siècle, à l’époque précisément où apparaît un premier maître d’œuvre avec son nom d’origine, c’est-à-dire Michel de Fribourg (1383). Or l’arrivée de ce représentant de la famille des Parler marque non seulement la fin de la dynastie erwinienne, mais aussi et surtout un revirement complet dans les sources d’inspiration. Dans ce contexte gothique d’outre-Rhin, où s’efface le rayonnement du domaine royal français, on comprend mieux cette tentative d’enraciner Erwin dans le terroir et de lui attribuer au surplus la paternité de toute la façade. La critique moderne a considérablement terni l’image resplendissante du héros romantique, auteur inspiré de la façade occidentale. Pour certains, son œuvre est difficile ou impossible à circonscrire, pour d’autres, Erwin est un incapable qui a mal interprété les données du « projet B », pour d’autres encore, c’est un simple exécutant doublé d’un administrateur. La notoriété du maître établie dès le XIVe siècle, la qualité des dessins qu’il faut lui attribuer (« projet C » avec la grande rose et « projet D » avec le somptueux narthex) et l’exécution magistrale de l’étage des portails et de la
grande rose incitent néanmoins à donner une place exceptionnelle à cet architecte inventif qui a permis à Strasbourg de devenir l’un des foyers créateurs du gothique international. Au cours de sa longue maîtrise, qui a duré presque 34 ans, il acheva l’étage des portails vers 1290 et monta la grande rose, sans doute avant l’incendie de 1298, car le grand gable du portail principal semble avoir influencé l’art anglais dès 1292. Après 1299 il fit élever le tombeau de l’évêque Conrad de Lichtenberg dans la chapelle Saint-Jean-Baptiste de la cathédrale. La fonte du gros bourdon en 1316 implique la poursuite des travaux à hauteur de la grande rose. Mais l’exécution plus sommaire de ces parties de l’édifice n’est guère compatible avec l’esthétique de la fin du XIIIe siècle. Ce changement est peut-être dû à des difficultés financières, il ne signifie pas forcément le remplacement du maître d’œuvre.

Johannes Winlin, l’un des fils d’Erwin, mourut le 18.3.1339, selon l’inscription de la pierre tombale précitée. Maître d’œuvre de la cathédrale, succédant directement à son père, il consacra ses vingt et un ans de maîtrise à la construction ou à l’achèvement du deuxième niveau des clochers, de part et d’autre de la grande rose. Un deuxième fils d’Erwin († 1330) est l’auteur du grand vaisseau et de la façade de Niederhaslach. Sur sa pierre tombale, encastrée dans la chapelle de la Vierge, il est représenté avec le compas de l’architecte. L’inscription incomplète (le nom est effacé) nous rappelle qu’il fut « fils d’Erwin, l’ancien maître d’œuvre de l’église de Strasbourg (filius Erwini magistri quondam operis ecclesiae Argentinensis). Parmi les représentants des tailleurs de pierre au Conseil de Strasbourg, nous relevons en 1333, 1335 et 1337 un autre Erwin(e) qui ne porte pas toujours le titre de maître, mais il s’agit d’un troisième fils de l’architecte, puis maître Gerlach qui est cité douze fois entre 1341 et 1370 et qui pourrait être un petit-fils du grand Erwin, et en 1357 Johans Winlin, qui est peut-être identique à Johans Erwin, en fonction en 1361.

Gérard, Les artistes de l’Alsace pendant le Moyen Âge, Paris, 1872; F. X. Kraus, Kunst und Alterthum in Elsass-Lothringen, vol. I, Strasbourg, 1876; A. Schulte, Urkundenbuch der Stadt Strassburg, III, Strasbourg, 1884 ; Sitzmann, Dictionnaire de biographie des hommes célèbres de l’Alsace, Rixheim, t. 1, 1909, p. 458 ; H. Witte, Urkundenbuch der Stadt Strassburg, VII, Strasbourg, 1900 ; J. Knauth, « Erwin von Steinbach », Strassburger Münsterblatt, 1912, p. 7 ; Thieme-Becker, Allgemeines Lexikon der bildenden Künstler von der Antike bis zur Gegenwart, XI, 1915, p. 17 ; O. Kletzl, Meister Erwin von Steinbach und seine Bedeutung für die deutsche Gotik, Berlin, 1935 ; O. Kletzl, Titel und Namen von Baumeistern deutscher Gotik, Munich, 1935 ; V. Beyer, La sculpture strasbourgeoise au quatorzième siècle, Strasbourg, 1955 ; T. Rieger, Das Strassburger Münster in Wort und Bild, Strasbourg, 1959 ; H. Klotz, « Der Name Erwins von Steinbach », Studien der Erwin von Steinbach-Stiftung, 1965, t. 1, p. 9 ; H. Reinhardt, « Le fils d’Erwin à Niederhaslach », Cahiers alsaciens d’archéologie, d’art et d’histoire, 1964, p. 127; B. Körte, « Erwin von Steinbach in der Sicht des jungen Goethe und der Romantik », Studien der Erwin von Steinbach-Stiftung, 1968, t. 2, p. 7 ; R. Wortmann, « Der Westbau des Strassburger Münsters und Meister Erwin », Bonner Jahrbücher, 1969, p. 290 ; R. Recht, « Le mythe romantique d’Erwin de Steinbach », L’Information d’histoire de l’art, 1970; R. Recht, L’Alsace gothique de 1300 à 1365, Colmar, 1974 ; R. Will, « Les inscriptions disparues de la porta sertorum ou Schappeltür de la cathédrale de Strasbourg et le mythe d’Erwin de Steinbach », Bulletin de la cathédrale de Strasbourg, XIV, 1980, p. 13 ; Encyclopédie de l’Alsace, V, 1983, 2849.

Théodore Rieger (1987)