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EPPENDORF Heinrich von (ab)

(Aependorpius, Ependorf, Eppendorff, Eppendorp(h)ius, Epphendorp(h)ius ; sous la plume d’Erasme : Dorpianus, Harpalus, Ornithoplutus ab Isocomo, Planodorpius, Thraso), humaniste, ami, puis adversaire d’Erasme, traducteur et vulgarisateur (C, puis P, puis non-conformiste). (★ Eppendorf près de Freiberg en Saxe/Misnie 1495/96 ; † probablement à Strasbourg (?, peut-être peu après 11 septembre 1553 – le Hinrich Eppendorffer qui fait baptiser le 15 décembre 1560 un fils à Saint-Thomas, dont les parrains sont Jacob Ingolt et N. Wurmser, et la marraine la fille de Jerg Ingolt (Archives municipales de Strasbourg, N° 245, f° 164 v°, n° 1396) est-il le même personnage ?). Peut-être fils de Nicolaus (von) Eppendorf, brasseur et Erbschulze (prévôt héréditaire) à Eppendorf, d’où vraisemblablement la prétention de son fils d’être noble : ce dernier se faisait appeler junker (damoiseau) par ses serviteurs et eques (chevalier) par les amis qui le voulaient bien, mais Hieronymus Emser, Petrus Mosellanus et par la suite Erasme lui contestèrent, probablement avec raison, sa noblesse. Eppendorf fut immatriculé en 1506 à l’Université de Leipzig, où il devint bachelier ès arts en 1508, après quoi on ne sait pas ce qu’il fit pendant une douzaine d’années (un moment secrétaire de la ville de Camenz en Lusace ?). En 1520 le duc Georges de Saxe Albertine l’envoya à Louvain avec un présent pour Erasme : chemin faisant il fit la connaissance d’Ulrich von Hutten et de Johannes Huttich(ius) ©. De septembre 1520 à mai 1522 il continua ses études à Fribourg en Brisgau chez Zasius, mais dut en partir étant criblé de dettes. Il se rendit à Bâle, où il fréquenta assidûment Erasme, qu’il accompagna en septembre 1522 à Constance avec Beatus Rhenanus ©. Ayant adopté l’idée d’une réforme plus musclée, prônée par Hutten réfugié depuis novembre 1522 à Bâle, puis à Mulhouse, Eppendorf l’aurait défendue devant la Régence d’Ensisheim, à en croire Joh. Lonicer. En tout cas il joua un rôle peu clair dans la brouille, puis rupture, qui survint alors entre Erasme et Hutten, le premier l’accusant d’avoir voulu faire du chantage avec le libelle accusateur du second (« Expostulatio ») et d’en avoir surveillé la publication à Strasbourg en juin 1523 chez Joh. Schott © (cf. la réplique d’Erasme (« Spongia »), Bâle, août 1523). En 1523 Eppendorf s’établit à Strasbourg, sans devenir bourgeois, mais profitant probablement comme noble (présumé) d’un contrat individuel de protection (Schirmvertrag) municipale (cf. le cas de Peter Scher von Schwarzenburg ©), et sans qu’on sache d’où il tirait ses ressources (peut-être des revenus patrimoniaux virés par un frère resté en Misnie). Toujours est-il qu’il secourut des victimes de la réaction religieuse consécutive à la Guerre des paysans, p. ex. Paul Volz ©, et qu’il s’apitoya sur la misère des classes rurales. S’estimant lésé par une lettre d’Erasme au duc Georges de Saxe, il vint au début de 1528 à Bâle porter plainte contre l’humaniste ; l’affaire fut réglée par un arbitrage de Boniface Amerbach et de Beatus Rhenanus (3.2.1528), mais toutes les clauses de cet arrangement ne furent pas tenues. Ainsi, dans un Adage d’automne 1528 et dans le Colloque « Hippeus anippos » (« le chevalier sans cheval ») paru vers la même date, Erasme traça, sous des noms fictifs, mais clairs pour les initiés, un portrait féroce de son adversaire et publia en 1530 une « Adversus mendacium… admonitio », où il prenait Eppendorf nommément à partie. Celui-ci répliqua en février 1531 par sa « Justa querela », parue à Haguenau chez Joh. Secer ©, après s’être rendu aux diètes de Spire (1529) et d’Augsbourg (1530). Finalement les deux antagonistes arrêtèrent leur échange de libelles, très probablement à la suite des conseils que leur prodigua en 1531 le conseiller de Georges de Saxe, Julius Pflug.

Cela permit à Eppendorf de se livrer à des travaux plus utiles : dès février 1531 il republia chez Secer à Haguenau le récit de la révolte de Sicile en 1517 fait par le Luxembourgeois Vecerius (Weber), avec l’histoire de l’empereur Henri VII de Luxembourg du même, et celle d’Attila (« Conradi Vercerii… de seditionibus Siciliae »), et dédia sa réédition au duc Antoine de Lorraine qu’il félicita d’avoir réprimé la révolte des paysans. Mais plus importantes furent les traductions allemandes qu’il publia à partir de 1534 à Strasbourg chez Joh. Schott. Le premier auteur fut Plutarque, traduit d’après des éditions latines commentées d’Erasme : d’abord ses « Sentences » (« Plutarchi… kurtz, weise und höfliche sprüch », 1534), puis une partie de ses « œuvres morales », éditée avec l’autre partie traduite par Michel Herr © (« Plutarchi… guter sitten ein- undzwentzig bücher… durch D. Michael Herr », 1535). Le stock invendu de ces deux publications fut conjointement remis deux fois sur le marché sous des titres et des pièces liminaires modifiés : en 1544 par Schott (« Guoter sytten XXI bücher… Syttliche hoffsprüch der alten kunigen… »), et en 1551 par (Georg Messerchmidt) © à (Strasbourg) (« Tugentspiegel der hoch und weltweisen. Vonn löblichen guten sitten… »). Puis Eppendorf se tourna vers l’histoire et traduisit successivement en allemand : a) une compilation de l’histoire romaine continuée jusqu’à l’époque contemporaine de l’Italie et de Charles Quint (« Römischer historien bekürtzung », 1535) ; puis b) un ensemble de récits concernant les Turcs, d’après divers traités du début du XVIe siècle, en particulier de Joh. Lud. Vivès (« Türckischer keyser ankunftt », 1540) ; ensuite c) l’histoire des pays Scandinaves, incluant celle des Lombards, des Goths et des Normands, en trois tomes (Denmärkische Chronick, Swedische Chronick, Norwägische Chronick, toutes 1545), d’après l’œuvre du doyen hambourgeois Albert Krantz († 1517), dont Eppendorf publia également le manuscrit latin chez Schott (Chronica regnorum Aquilonarium, 1546/48) ; enfin d) une histoire des grands capitaines et faits de guerre, depuis César jusqu’à la première croisade et la prise de Constantinople et de Rhodes par les Turcs (Kriegsübung dess… kaisers Julii… durch Franciscum Floridum… Gedruckt zu Strassburg in Hans Knoblouchs druckerey durch Georgen Messerschmidt, 1551). Entre temps, à la demande de Schott, désireux de présenter aux gens avides de lecture des ouvrages sérieux à la place des libelles théologiques séditieux, Eppendorf avait aussi traduit en allemand les livres 7 à 11 de l’Histoire naturellede Pline l’ancien relatifs à l’homme et aux animaux, auxquels il joignit le chapitre 22 du livre 14 combattant l’ivrognerie (PliniiNatürlicher Historii fünff bücher, 1543).

Ces traductions faites dans un style simple, clair, riche en locutions proverbiales, connurent un certain succès auprès du public allemand, auquel elles rendirent plus familiers les préceptes des moralistes anciens et les faits de l’histoire antique, médiévale et contemporaine : c’est ainsi que le poète nurembourgeois Hans Sachs (1494-1574) leur emprunta le sujet de plusieurs de ses pièces. Pour le fond, Eppendorf reprend dans ses préfaces des idées empruntées à Erasme et à Vivès et plaide pour la paix entre États chrétiens, à la fois pour combattre le Turc et pour éviter aux pauvres populations les maux de la guerre. Il fustige le mercenariat et dénonce le déclin croissant des mœurs, à commencer par l’ivrognerie et l’appétit de luxe qui envahit même les classes inférieures de la société allemande et les rend vulnérables à la corruption « welche » : comme Hutten il exalte le sentiment national germanique opposé à Rome et aux pays de langue romane. A titre de remède il veut faire connaître du grand public les exemples de la vertu, tant dans le monde antique que dans le passé de l’Empire, et en appelle aux leçons de l’histoire. Il était pour la mise en pratique de l’Évangile, mais, à l’instar de Brunfels ©, d’A. Engelbrecht ©, de J. Sapidus ©, de W. Schultheiss © et d’autres, il voyait d’un œil très critique, voire hostile les efforts déployés par M. Bucer © pour établir avec l’aide du Magistrat de Strasbourg une discipline ecclésiastique plus rigoureuse, comme nous l’apprend Jean Sturm ©. En octobre 1550 Eppendorf fut délégué avec Ulmann Boecklin par la noblesse immédiate d’Alsace auprès de Charles Quint à Augsbourg et obtint pour elle l’exemption des taxes municipales pour les produits de ses terres importés à Strasbourg. En septembre 1553 un sénateur se plaignit qu’Eppendorf n’avait pas acquis le droit de bourgeoisie : l’affaire fut renvoyée devant le conseil des XV, sans que l’on en connaisse le dénouement.

Principales sources : Archives municipales de Strasbourg, XXI, 1553, f° 317 v° et 318 v° ; Politische Correspondenz der Stadt Strassburg, t. V, 1928, p. 78-79 et 86, n° 49, 50 et 55 ; surtout certaines correspondances de l’époque : Opus epistolarum Erasmi,ed. P. S. Allen, t. IV, 1922, et suiv., passim (v. t. XII : indices, p. 5 et 88) ; Briefwechsel des Beatus Rhenanus, hsg. v. Adalb. Horawitz und Karl Hartfelder, Leipzig, 1886 (repr. Nieuwkoop, 1966), passim ; Die Amerbachkorrespondenz, hsg. v. Alfred Hartmann, t. II, 1943, et III, 1947, passim ; etc.

Ses publications : Josef Benzing, Bibliographie haguenovienne, Baden-Baden, 1973, p. 92, n° 156 et p. 95, n° 173 ; Ritter, Répertoire bibliographique des livres imprimés en Alsace aux XVe et XVIe siècles, Strasbourg, II, n° 703, 740, 872, 1314-1317, 1888, 1894- 1895, 1897, 2389 (= Jean Muller, Bibliographie strasbourgeoise… au XVIe siècle, t; II-III, Baden-Baden, 1985-1986, p. 94-99, n° 214, 218, 221, 236, 248, 250-253, 256 ; p. 443, n° 27 : y ajouter le « Tugentspiegel » de 1551 ; le n° 215 = n° 250 ; l’attribution à Eppendorf du n° 241 n’est pour le moment qu’une hypothèse de Jos. Benzing, Bibliographie strasbourgeoise, t. I, Baden- Baden, 1981, n° 494).

Bibliographie générale : Christophorus Saxius, De Henrico Eppendorpio commentarius, Lipsiae, 1745 ; Tim. Wilh. Röhrich, Geschichte der Reformation im Elsass, t. I, Strasburg, 1830, p. 404, t. II, 1832, p. 121 ; H.A. Erhard, Allgemeine Encyclopädie v.Ersch und Gruber, 1. Section, 36. Theil, Leipzig, 1842, p. 80-82 ; Scherer, Allgemeine deutsche Biographie, VI, 1877, p. 158 ; Werner Kaegi, « Hutten und Erasmus », Historische Vierteljahrsschrift, 22 (1924/25), p. 469-479 ; Heinr. Grimm., Neue Deutsche Biographie, 4 (1959), col. 548-549 ; Julius Pflug, Correspondance, éd. p. J. V. Pollet, t. I, Leiden, 1969, p. 211 etc. ; Deutsches Literatur-Lexikon, begr. v. Wilh. Kosch, 3. Aufl., t. 4, Bern, (1972), col. 361-362 ; Barbara Könneker, Contemporaries of Erasmus,t. 1, Toronto, 1985, p. 439-441 (ces 4 derniers art. avec bibliographie supplémentaire).

Querelle avec Erasme : cf. Allen, op. cit., t. IV, p. 303 et 615-619, t. VII, p. 297, etc. ; la « Spongia » d’Erasme est réimpr. dans Ulrichi Hutteni Opera, ed. Ed. Böcking, t. II, Lipsiae, 1859, p. 265-324 ; la « Justaquerela » d’Eppendorf, ibid., p. 447-454 ; l’Adage n° 944 d’Erasme et son « Admonitio » figurent aux t. II, col. 350, et X, col. 1683- 1692 de ses Opera, Lugduni Bat., 1703 et 1706 ; son colloque « Hippeus anippos » dans ses Opera omnia, t. I- 3, ed. L. E. Halkin, Amsterdam, 1972, p. 612-619 ; voir aussi. Ferd. van der Haeghen, Bibliotheca Erasmiana, (t. II), Gand, 1900, p. 3-28 ; Briefe an Desiderius Erasmus, hsg. v. Jos. Förstemann und Otto Günther, Leipzig, 1904, p. 125-126 et 344-345 ; Pres. Smith, A key to the Colloquies of Erasmus, Cambridge, 1927, p. 12, 35-36, 41, 44, 47, 49-50.

Fortune littéraire : Arthur Ludw. Stiefel, « Über die Quellen der Hans Sachsischen Dramen », Germania, 36 (N. R. 24, 1891), p. 26-27 ; le même, « Über die Quellen der Fabeln, Märchen und Schwänke des Hans Sachs », Hans Sachs-Forschungen. Festschrift, Nürnberg, 1894, p. 120, 173/4, 180/1 ; Wolfgang Golther, « Hans Sachs und der Chronist Albert Krantz », ibid., p. 263-277; Wilh. Abele, Die antiken Quellen des Hans Sachs, I-II, Cannstatt, 1897-1899, p. 41-49, 79-83, 129 ; A. L. Stiefel ; « Neue Beiträge zur Quellenkunde Hans Sachsischer Fabeln und Schwänke », Studien zur vergleichenden Literaturgesch., 8 (1908), p. 283-285 ; V. A. Nordman, Die Chronica regnorum Aquilonarium des Albert Krantz, Helsingfors, 1936, p. 10-16, 21, 38, 43.

Portraits : deux médailles, l’une de 1524, attribuée à Christoph Weiditz, l’autre de 1530, par un maître augsbourgeois anonyme, dans Georg Habich, Die deutschen Schaumünzen des XVI. Jahrhunderts, t. I, 1, München, 1929, p. 55, n° 334 und pl. XLIV, n° 3 + p. 61, n° 379 et pl. XLIX, n° 1 (cf. aussi t. II, 2, 1932, pl. CII, n° 140), dans Pflug, Correspondance, t. I, op. cit., pl. VIII et p. 579-580.

Jean Rott (1986)