Homme politique, (C) (★ Mendern, Prusse Rhénane 25.3.1869 † Iena 13.11.1919).
Fils d’un garde forestier, Emmel apprit le métier de serrurier à Trèves (1878-1881). Après son service militaire, il fit un tour d’Europe qui le mena en Allemagne, en Autriche, en Suisse et en Italie. Il adhéra au socialisme à Zurich en 1887. En 1889, il joua un rôle important dans la reconstitution du Parti social-démocrate à Francfort. Au début de 1892, le Parteivorstand l’envoya en Sarre pour y implanter le SPD et y rédiger le Bote von der Saar. Dès ce moment, Emmel étendait son activité au Bassin houiller lorrain, puisqu’il fut candidat aux élections législatives de 1893 à Sarreguemines-Forbach contre l’abbé Colbus et obtint 25 % des suffrages exprimés. En 1894, il s’établit comme marchand de cigares à Sarreguemines, vraisemblablement avec l’aide financière du Parti, pratique courante dans le mouvement ouvrier allemand. Le nouveau Bezirksvertrauensmann tenta de créer une organisation socialiste séparée pour la Lorraine, mais l’unité régionale fut rétablie le 10 mai 1896 par la Conférence socialiste de Strasbourg. En 1899, il était membre de la commission de la presse et contrôleur financier du Comité régional. Dès septembre 1899, la Conférence d’arrondissement de Mulhouse avait désigné Emmel pour succéder à Bueb ©, député socialiste au Reichstag, dont elle exigeait la démission. Il ouvrit dans la grande ville ouvrière, au début de 1900, un commerce de cigares et d’articles de pêche. Malgré l’aide prestigieuse de Bebel ©, qui vint tenir des meetings en sa faveur à Mulhouse et à Rixheim, le candidat immigré fut battu par Théodore Schlumberger © le 5 juillet 1900 et il en fut de même en juin 1903. Comme le disait Bueb, « Ce n’est pas un crime d’être un « Schwob, ce n’est qu’une malchance ». À son initiative, le 15 juin 1900, les socialistes de Mulhouse avaient exclu Bueb et son prédécesseur Hickel © « protestataires sous le masque social-démocrate ». Cette sanction, déconseillée par Bebel, allait ouvrir une longue crise qui aurait dû gêner l’intégration d’Emmel dans son nouveau milieu. En 1903, l’ancien aubergiste du Parti, Weissbecher, l’accusa d’avoir commis diverses escroqueries à son départ de Sarreguemines. Le marchand de vin Brun l’accusa d’avoir détourné des fonds du Parti. Une commission d’arbitrage, venue de Berlin, refusa de trancher et obligea Emmel à engager, en 1904, une procédure judiciaire compliquée pour se disculper. La section de Mulhouse soutint son leader et refusa de le suspendre de toutes ses responsabilités, comme le lui demandait la commission. Au Congrès d’Iéna (septembre 1905), Klara Zetkin envisagea de sanctionner cette indiscipline par l’exclusion d’Emmel. La « justice bourgeoise » l’ayant lavé de tout soupçon, la querelle fut liquidée lors d’une dernière visite des délégués de la direction à Mulhouse le 18 juin 1906. Le Parti déclara n’avoir plus aucun motif de refuser sa confiance à Emmel. Entre temps, Emmel, « excellent débateur, intelligent et instruit » (E. Reybell), avait transformé l’Association électorale ouvrière de Mulhouse en un véritable réseau socialiste, implanté dans tous les quartiers. Il le lia très solidement aux coopératives et aux syndicats. Ayant gagné une large popularité, il était entré dès 1902 au Conseil municipal. Malgré le veto initial du Gouvernement, il représenta de 1903 à 1906 la ville de Mulhouse au Landesausschuss. Premier et seul membre socialiste, ce « brochet dans l’étang des carpes » fit du « Parlement des Notables » une véritable assemblée politique. Ses polémiques avec le secrétaire d’Etat von Köller © accrurent son influence, mais sa modération lui permit de convaincre le chef de l’exécutif d’offrir sa médiation entre patrons et ouvriers lors des grèves de 1906. A partir de 1906, il siégea également au Conseil général de Haute-Alsace, où il représentait le canton de Sainte-Marie-aux-Mines. En 1907, il fut élu député de Mulhouse au Reichstag dès le premier tour.
Il conserva ce siège, avec un score accru, en 1912. Par contre, en 1908, les socialistes furent battus aux élections municipales par une coalition bourgeoise. Emmel retrouva son siège au Conseil lors de l’élection complémentaire du 1eroctobre .1911 et fut réélu en mai 1914. Le 29 octobre 1911, ce « cochon de Prussien », comme disait son adversaire centriste Brom © enleva, avec 63 % des votants, le siège de Mulhouse I (La Cité) à la seconde Chambre du Landtag. Avec Jean Martin ©, Emmel fit de Mulhouse le centre de l’orthodoxie marxiste dans le SPD d’Alsace-Lorraine, ce qui l’opposa constamment aux révisionnistes de Strasbourg, Bohle © et Peirotes ©. À partir du Congrès régional de 1912, sa tendance était devenue légèrement majoritaire, ce qui lui valut d’être désigné comme représentant de la fédération au Parteiausschuss. Au congrès de Sélestat (juillet 1913), Emmel adhéra même aux thèses radicales de l’extrême-gauche en s’attaquant au soutien apporté par les sociaux-démocrates du Reichstag au chancelier Bethmann Hollweg lors du vote de l’impôt militaire et de l’impôt sur le capital. Il s’opposa toujours à l’adoption, sous quelque motif que ce fût, de ressources pour l’Etat bourgeois. Emmel apparut longtemps comme un internationaliste indifférent à la question nationale. Au cours du débat sur la Constitution de l’Alsace-Lorraine au Reichstag, en janvier 1911, il constata que la social-démocratie était le seul produit de l’esprit allemand qui ait pu gagner la sympathie d’une large fraction de la population alsacienne. Pourtant, il estimait que les indigènes voulaient rester Allemands, alors qu’ils refusaient un statut politique qui ferait d’eux des Prussiens. Fidèle aux instructions des socialistes mulhousiens, Emmel était décidé à voter contre la Constitution, alors même que la fraction social-démocrate avait décidé de l’approuver. Il fallut toute l’autorité de Bebel pour le convaincre de ne pas prendre part au vote définitif le 26 mai 1911. Le 29 juillet 1914, lors de la dernière manifestation pacifiste autorisée à Mulhouse, Emmel s’écria « A bas la guerre ! ». En raison des difficultés de communications, il ne réussit pas à atteindre Berlin pour participer à la réunion du 3 août 1914, où la fraction socialiste du Reichstag décida de voter les crédits de guerre. Après l’occupation temporaire de Mulhouse par l’armée française en août 1914, il se brouilla avec les socialistes indigènes, Martin et Wicky ©, qui l’écartèrent de la présidence de la fraction au Conseil municipal. Dans une lettre au Parteivorstand du 2 janvier 1915 ouverte par la censure militaire, il les accusa de « tendances françaises-nationalistes à la Weill ». Emmel était ainsi responsable (volontairement ?) de l’arrestation et des persécutions subies jusqu’en 1918 par Martin, Wicky, Gsell © et d’autres conseillers municipaux socialistes. Il affirma sans cesse, dans la Mülhauser Volkszeitung, qu’il contrôlait désormais, que l’Alsace-Lorraine devait rester allemande. Pourtant E. n’apparaissait pas comme un belliciste. Au sein de la fraction social-démocrate du Reichstag, il s’opposa comme Peirotes au vote des budgets de guerre, mais, comme lui, il n’alla pas jusqu’à quitter le Parti pour adhérer à l’USPD. Il attaqua également la dictature militaire imposée au Reichsland et les opérations de colonisation de la société Westmark. Au début de novembre 1918, il fit campagne pour une Alsace-Lorraine indépendante qui pourrait, seule, maintenir les droits acquis des fonctionnaires et des ouvriers. Sous prétexte d’aller chercher des instructions à Berlin, Emmel s’enfuit de Mulhouse le 14 novembre 1918 après avoir saboté la rotative du journal socialiste. Il fut l’un des douze représentants des réfugiés et expulsés, qui tentèrent de siéger à l’Assemblée nationale de Weimar comme représentants de l’ex-Reichsland. Il mourut peu après avoir retrouvé un emploi de journaliste à la Volkszeitung d’Apolda (Thuringe).
Archives départementales du Bas-Rhin, AL 32 (42) ; Archives départementales du Haut-Rhin, Purg. 25200 ; Archives départementales Archives municipales Moselle, 2 AL 123 ; AM Mulhouse : Papiers Jean Martin ; Protokoll über die Verhandlungen des Parteitages der Sozialdemokratischen Partei Deutschlands, Berlin, 1890-1917 ; Stenogr. Berichte über die Verhandlungen des deutschen Reichstages, 1907-1918 ; Verhandlungen des Bezirkstages des Oberelsass,1906-1918 ; Verhandlungen des Landesausschuss von E.-L., 1903-1906 ; Verhandlungen der 2. Kammer des Landtages von E.-L., 1911-1918 ; Sitzungberichte des Gemeinderats der Stadt Mülhausen, 1902-1908, 1911-1918 ;Die Reichstagsfraktion der deutschen Sozialdemokratie 1898 bis 1918, publié par E. Matthias et E. Pikart, Düsseldorf, 1966 ; Freie Presse, Schiltigheim, puis Strasbourg, 1898- 1918 ; Freie Presse für das Ober-Elsass, Mulhouse, 1902-1904 ; Mülhauser Volkszeitung, 1904-1918 ; Der Republikaner, Mulhouse, 1918-1919 ; Biogr.-statist. Handbuch von Regierung und Landtag E.-L.,Mulhouse, 1912 ; Wer ist’s ?, Leipzig, 1914 ; Journal d’Alsace-Lorraine du 20.11.1919 ; M. Schwarz, Mdr. Biographisches Handbuch der Reichstage, Hannover, 1965 ; Encyclopédie de l’Alsace, V, 1983, 2700-2701 ; E. Reybell, « Le socialisme et la question d’Alsace- Lorraine », Revue Socialiste, Paris, 1904 ; P. Bourson, La presse alsacienne pendant la guerre, Bruxelles, 1924 ; F. Bronner, Verfassungsbestreb d. Landesausschusses 1875-1911, Heidelberg, 1926 ; Das Elsass 1870-1932, Colmar, 1936-1939 ; H. D. Soell, Die s.-d. Arbeiterbewegung im Reichsland E.-L. 1871-1918,Diss. Heidelberg, 1963 ; J.-M. Mayeur, Autonomie et politique en Alsace. La constitution de 1911, Paris, 1970 ; J. Hincker, Les catholiques et les élections à Mulhouse de 1890 à 1914, Maîtrise, Strasbourg, 1974 ; R. Wagner, La vie politique à Mulhouse de 1870 à nos jours, Mulhouse, 1976 ; A. Wahl, « Mulhouse dans le Reichsland », Histoire de Mulhouse des origines à nos jours, Strasbourg, 1977 ; F. Igersheim,L’Alsace des Notables 1870-1914, Strasbourg, 1981 ; J.-M. Bockel, E. Riedweg, Mulhouse du passé au présent,Mulhouse, 1983 ; K.-M. Mallmann, Die Anfänge der Bergarbeiterbewegung an der Saar (1848-1904), Saarbrücken, 1981 ; H. Hiery, Reichstagswahlen im Reichsland, Düsseldorf, 1986.
Léon Strauss (1986)