Homme politique, (Pl) (★ Saverne 21.7.1883 † Brumath 28.12.1963).
Fils de Pierre Dahlet (★ Voellerdingen 23.2.1853 † Saverne 28.9.1927), comptable à l’usine Goldenberg puis épicier, et d’Aurelia Brunner, (C) (★ Marmoutier 1858 † Saverne 30.1.1913), petit-fils de Jean-Adam Dahlet (★ Voellerdingen 1816), meunier, d’une famille d’origine huguenote, et de Marie Élisabeth Fuhrmann. ∞ 23.1.1928 Mathilde Stahl (d’origine allemande). Son père, qui avait temporairement émigré en France après 1871 était avant 1914 président de la section de Saverne du Souvenir français. Étudiant en pharmacie à Strasbourg, il adhéra au Cercle des étudiants alsaciens-lorrains proche du Dr Bucher ©. Le 2.12.1905, il déposa avec trois camarades une couronne aux couleurs rouge et blanche aux pieds de la statue de Rapp à Colmar à l’occasion du centenaire d’Austerlitz. L’affaire donna lieu à un débat au Landesausschuss (30.1.1906). Il dirigea la revue bilingue H2S, dans laquelle il réservait une large place à René Schickelé ©, son ami de Saverne. Après son service militaire à Saverne, il voyagea en Suisse, Belgique, Italie et Angleterre. En 1914, il envisageait de s’installer en Amérique du Sud quand il fut mobilisé à l’hôpital militaire de Strasbourg. Soupçonné d’espionnage, il fut emprisonné, puis envoyé en résidence forcée à Hameln et à Wetzlar. Il fut de nouveau mobilisé, en Russie, à la fin de la guerre.
En 1918, il se réjouit du retour à la France républicaine et laïque. Il ne reprit pas l’exercice de la pharmacie : au début de 1919, il devint journaliste au Strassburger Echo, l’ancienne Bürgerzeitung rachetée par Lucien Minck © pour servir d’organe au Parti radical. Dahlet devint rapidement rédacteur en chef et directeur politique de ce quotidien, qui prit le titre de La République. Il fut aussi vice-président de la section de Strasbourg du Parti radical, figura sur sa liste aux élections législatives de 1919 et de 1924 et siègea au Comité exécutif de la rue de Valois. Bien décidé à œuvrer pour que « notre pays soit de nouveau un pays français » (28.3.1919), il n’entendit pourtant pas « faire de sacrifices sur l’autel du nationalisme et du militarisme » (17.9.1919). Après la « lune de miel » (25.2.1919), il s’indigna de l’incompétence de certains fonctionnaires venus de l’intérieur et de l’attitude méprisante des « revenants », dénonça les atteintes aux droits de l’homme que représentaient les commissions de triage, les mutations à l’Intérieur ou le licenciement des fonctionnaires et les mesures d’assimilation linguistique. Il fut le premier à employer l’expression Heimatrechte (décembre 1919) et celle de « minorité linguistique » (juillet 1923). Il entra en mai 1925 au conseil municipal de Strasbourg sur la liste de Cartel des Gauches de Peirotes © et fut réélu à ce Conseil en 1929 et 1935. Cependant, il supportait de plus en plus mal la passion assimilationniste des leaders radicaux strasbourgeois Minck et Oesinger ©, ce qui le conduisit à rompre avec la République (mai 1925) et avec le parti radical-socialiste (août 1925). Engagé désormais dans le camp autonomiste, il aurait participé à la rédaction du manifeste du Heimatbund, mais président du Freidenker Verein, il refusa de le signer à cause de sa coloration cléricale. Le retour au scrutin d’arrondissement lui permit de se présenter aux élections législatives à Saverne contre le pasteur Altorffer ©, démocrate soutenu par l’U.P.R. Bénéficiant des voix de la majorité de l’électorat protestant ainsi que de celles des catholiques autonomistes et du désistement communiste, Dahlet l’emporta au second tour (28.4.1928). Il fut désormais le plus éloquent défenseur de l’autonomisme à la Commission d’Alsace-Lorraine et à la tribune du Palais Bourbon (notamment le 29.1.1929 et le 3.4.1933). Il s’inscrivit successivement au groupe des Indépendants de gauche (1928-1932), au groupe de la Gauche indépendante (1932-1936) et au groupe alsacien-lorrain des Indépendants d’action populaire (1936-1940). Sur le plan régional, il adhèra au Parti progressiste (Fortschrittspartei) fondé par Georges Wolf © et en devint le président (février 1 928). Il rédigea (février 1929) le programme de ce parti, qui réclamait le retour à la Constitution de 1911 dans le cadre d’une République française décentralisée. Il engagea son parti dans les coalitions regroupant les forces autonomistes : Einheitsfront (octobre 1928), Autonomistische Arbeitsgemeinschaft (4.5.1930), Volksfront (fin 1930). Il prit aussi contact avec les autres autonomismes au Congrès breton de Châteaulin (août 1928) et au Congrès des minorités à Genève. Après l’interdiction de l’hebdomadaire de son parti, Das Neue Elsass (17. 3. 1928), il publia, à partir du 23.6.1928, la Freie Zeitung qui fusionna avec le Volkswille de Schall © pour permettre la création (7.12.1929) de l’ELZ que Dahlet dirigea avec René Hauss ©. La sympathie affichée pour le IIIe Reich par ses alliés de la Landespartei l’amena à quitter l’ELZ (16.9.1933). L’hebdomadaire Die Neue Zukunft (remplacé en 1936 par le mensuel Die Zukunft) devint alors l’organe de Dahlet et de son parti. Le 28.2.1934, il parfait la rupture avec l’autonomisme pro-nazi en quittant l’Arbeitsgemeinschaft. Adversaire déclaré du fascisme, il avait déjà participé en août 1932 au Congrès international contre la guerre impérialiste d’Amsterdam (août 1932). En décembre 1935, il dénonça, à la tribune de la Chambre, l’agression italienne contre l’Ethiopie.
Réélu en 1936, avec le soutien au second tour des autonomistes, de l’U.P.R. et des partis de gauche, Dahlet soutint le gouvernement Léon Blum. Cependant, malgré ses convictions laïques, il se joignit en 1937 à la campagne pour la défense du statut scolaire local. En octobre 1937, après de nombreuses tentatives infructueuses (à Soultz-sous-Forêt, 1922, à Bouxwiller, 1928, 1934, à Saverne, 1931), il fut envoyé au Conseil général par les électeurs du canton de Saverne. Il se démarquait désormais de plus en plus nettement de ses anciens alliés Roos ©, Hueber ©, etc. Après l’Anschluss, il s’abstint de participer au dernier meeting de la Heimatfront (22.5.1938). Le 10.7.1940 à Vichy, Dahlet vota les pleins pouvoirs à Pétain. Rentré en Alsace, il ne fut pas inquiété par les Allemands à cause de son passé de Heimatrechtler, mais ne s’engagea dans aucune organisation nazie. Il fut chargé de gérer la pharmacie Sainte-Aurélie, dont le propriétaire était resté en zone Sud. Son officine devint le lieu de rencontre de certains hommes politiques d’avant-guerre, qui rêvaient d’une Alsace devenue autonome grâce aux libérateurs britanniques et américains.
À la Libération de Strasbourg, il fut l’un des rares conseillers municipaux présents à Strasbourg et non compromis dans la Collaboration. En cette qualité, il reçut Leclerc © et fut désigné pour faire partie du Conseil provisoire. Très rapidement, il prit ses distances avec le nouveau régime, auquel il reprochait les excès de l’épuration. Il témoigna à plusieurs grands procès, ainsi pour Rossé © et Sturmel ©. Relevé de l’inégibilité malgré son vote de 1940, il ne réussit pourtant plus à obtenir de mandats électifs et continua à exercer sa profession, à partir de 1947, à la pharmacie internationale, place de la Gare, où « chaque client est servi dans sa langue maternelle : français, anglais, allemand, espagnol ». D’août 1945 à 1952, il publia les Cahiers verts sans périodicité régulière, où il attaquait avec beaucoup de violence la « prétendue » Résistance, de Gaulle, la IVe République « fasciste », tout en applaudissant aux premiers pas de l’unification européenne. Il collabora au journal zurichois Die Tat, où il fit campagne pour des emprisonnés, comme Rossé et Ernst ©. De 1956 à 1958, il fut directeur politique du bimensuel du néo-autonomisme La Voix d’Alsace. Brouillé avec ses associés alsaciens et allemands, il fonda le 1.5.1958 la Voix d’Alsace-Lorraine, « journal du fédéralisme européen » qu’il dirigea jusqu’en 1960. En 1959, il proposa de constituer Strasbourg-Kehl en district européen indépendant. Opposé à la guerre d’Algérie, il fut condamné en décembre 1959, sur plainte du ministre des Armées, à 200 000 F d’amende pour avoir reproduit un article de la Weltwoche dénonçant l’emploi de la torture par l’Armée française.
L. Bachmeyer, Livre d’or de Saverne (manuscrit), 99 ; Dictionnaire des Parlementaires français 1889-1940. Publ. sous la dir. de Jean Jolly, t. 4, 1966, 1204-1205 ; M. Sturmel, Voix d’Alsace, 15.1.1964 ; J. Zemb, Nouveau Rhin français, 17.1.1965; R. Heitz, Souvenirs de jadis et de naguère, 1963 ; F. G. Dreyfus, La vie politique en Alsace 1918-1936, 1969 ; S. Berstein, « Une greffe politique manquée: le radicalisme alsacien de 1919 à 1939 », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 1970 ; Himly, Chronologie, p. 318-319 et 330 ; K.-H. Rothenberger, Die e.-l. Heimat- und Autonomiebewegung zwischen den beiden Weltkriegen, 1975 ; C. Wendling-Brickert, Camille Dahlet, député, Maîtrise Strasbourg II, 1975 ; P. C. F. Bankwitz, Alsatian autonomist leaders 1919-1947, 1978 (traduction : Saisons d’Alsace, n° 71, 1980) ; P. Zind, Elsass-Lothringen/Alsace-Lorraine, une nation interdite, 1979 ; Ch. Metzger, L’Alsace entre la France et l’Allemagne 1919-1932, Th. 3e cycle, Metz, 1980 ; A. Wahl, Confession et comportement dans les campagnes alsaciennes Th. Metz, 1980 ; M. Sturmel, « Das Elsass und die deutsche Widerstandsbewegung » Oberrheinische Studien V, 1980 ; P. Klein « Dahlet », Encyclopédie de l’Alsace, IV, 1983, p. 2216 ; P. Klein, Camille Dahlet, une vie au service de l’Alsace, 1983 ; P. Bieber, « Zur Herkunft der Familie Dahlet », Bulletin du Cercle généalogique d’Alsace, n° 63, 1983, p. 121-122 ; J.-C. Richez, « Fortschrittspartei », Encyclopédie de l’Alsace, t. V, 1983 ; L. Strauss, « Parti radical », Encyclopédie de l’Alsace t. X (à paraître). Photos dans P. Klein.
Léon Strauss (1986)