Poète, (Pr) (★ Strasbourg 20.8.1913 † Zurich 22.6.1957).
Fils d’Éric de Dadelsen, notaire, d’ascendance danoise, et de Fanny Glintz, fille d’un pâtissier de Colmar. ∞ I Solange Puffeney, ∞ II 1943 Barbara Windebank, fille d’un officier de la marine britannique ; deux enfants, Anne et Alice. Dadelsen fréquenta les lycées Kœberlé de Sélestat, de Mulhouse puis d’Altkirch. Ami de Nathan Katz ©, de 21 ans son aîné, il traduisit quelques-uns de ses poèmes en français. Adolescent précoce, sensuel, assez tumultueux et narcissique, il se montra vite, les lettres à l’oncle Éric en témoignent, très critique vis-à-vis d’une certaine facilité littéraire. Il refusait l’artifice, le mensonge d’une poésie non réellement fondée sur le vécu et impuissante à changer la vie. Après un échec au baccalauréat, il fit une deuxième année de philosophie au lycée Louis le Grand à Paris et prit des cours de dessin à l’atelier du peintre alsacien Breitwieser auquel Nathan Katz l’avait recommandé. Deux années de khâgne, avec L. S. Senghor et G. Pompidou, mais échec au concours d’entrée à l’École normale supérieure. Licence d’allemand et diplôme sur les cantiques de Paul Gerhardt, agrégation (reçu premier). Professeur au lycée Saint-Charles de Marseille. Articles pour les Cahiers du Sud et traduction de Brentano, Glaeser, Keyserling et Kassner. La guerre allait changer sa vie. Après avoir été mobilisé comme interprète, il participa en mai 1940 à la campagne de Belgique, dans une unité de chars. Croix de guerre. Démobilisé, il reprit son métier de professeur, d’abord à Lyon, au lycée du Parc, ensuite au lycée d’Oran. Là-bas, en Algérie, il fit la connaissance de Francine et d’Albert Camus. En 1942, il passa en Angleterre, s’engagea dans les F.F.L. et réussit un brevet de parachutiste. Il fut engagé aux services d’information du Gouvernement provisoire. De retour à Paris en 1944, il entra au journal Combat. Il en devint le correspondant à Londres et de 1946 à 1950 tint régulièrement des chroniques à la B.B.C. Il voyageait beaucoup : Chili, Afrique du Sud, Berlin, Moscou, New-York, Strasbourg, etc. De temps en temps il allait voir son père, notaire à Erstein et, retrouvant le Ried de son enfance, allait se recueillir sur les bords du Rhin. Après tous ces voyages et cette activité journalistique plutôt dispersée, il choisit de s’installer en Suisse, d’abord à Genève, en 1951, puis, en 1956, à Zurich où il travailla à l’Institut international de la presse. Encore un voyage à New-York, en janvier 1957, qui lui permit de rencontrer Saint-John Perse. Mais il ressentit les premiers symptômes du cancer, une tumeur au cerveau, comme sa mère, deux ans auparavant. Il mit néanmoins la dernière main à la traduction d’un ouvrage du juge américain Learned Rand, L’esprit de liberté. À Pâques, opération au cerveau, qui le défigura. Écrivit ses derniers poèmes jusqu’au 3 mai. Le 22 juin, il s’éteignit. 44 années de vie, c’est peu pour faire une œuvre, peu pour travailler contre ses doutes, ses scrupules, ses peurs. Il y avait quelque chose de rimbaldien dans sa jeunesse, sa précocité, sa soif, son intelligence critique, son exigence d’authenticité et ce long silence qui s’en est suivi entre les premiers poèmes de l’adolescence, écrits jusqu’à 21 ans (1934 : Poème pour la naissance de Jean-Louis Hoffet), et la reprise de la création poétique seulement à l’approche de la quarantaine, quand il se fixa en Suisse (1951-1954). Comme si le moment était enfin venu de la concentration, comme s’il fallait alors se dépêcher de produire, comme si, au voisinage de la mort, l’énergie poétique s’était précipitée… Une vie abrégée comme la sienne a l’aspect d’un destin tragique et le tragique de la vie rejaillit sur l’œuvre que nous savons inachevée et sur l’interprétation que nous pouvons en donner. Quand il meurt, tous les poèmes qu’il a écrits, travaillés et retravaillés, sont inédits (sauf Bach en automne qui avait paru à la Nouvelle Revue Française en 1955). L’ami Albert Camus devait se charger de leur publication. Malheureusement, des difficultés mineures, mais assez nombreuses, ont ralenti la préparation des textes, de sorte qu’à la mort de Camus, en 1960, la sélection n’était pas encore arrêtée. C’est grâce ensuite à la conviction et aux efforts de Jacques Brenner et de Henri Thomas, qui écrivit l’avant-propos, que Jonas a pu paraître en 1962 aux éditions Gallimard. La critique française et parisienne se montra dans l’ensemble favorable, quoiqu’un peu tiède et même réticente (comme P.-H. Simon dans Le Monde du 6.6.1962), et il n’y a pas eu depuis de seconde édition. Seule l’Alsace a célébré avec enthousiasme « son » grand poète d’envergure européenne, dès 1962, dans deux numéros de Saisons d’Alsace et depuis, par des articles qui paraissent régulièrement à l’occasion des anniversaires. Traduction allemande en 1966, par Oswalt von Nostitz. Préface de Max Rychner, l’un des derniers compagnons du poète à Zurich. Quelques articles, des chroniques radiophoniques, des poèmes de jeunesse et quelques-uns de la maturité, mais restés à l’état de brouillon (comme Les ponts de Budapest), ont été rassemblés et publiés en 1982, sous le titre Goethe en Alsace, par les soins du meilleur connaisseur de l’écrivain, Baptiste-Marrey, Le temps qu’il fait. Dans les essais littéraires sur Frédéric Schlegel ou Albert Béguin, il se montra très sévère à l’égard du romantisme et du surréalisme, cette littérature de rêve ; c’est la même sévérité, toute protestante, peut-on dire, qu’il a sans doute eue pour son propre don poétique. De nombreux textes, articles parus dans Combat, chroniques lues à la B.B.C. et sa correspondance, restent inédits. Leur publication nous permettrait de mieux suivre l’évolution de sa pensée religieuse, philosophique et politique, une pensée qu’on devine très riche et souple, libérale, lentement mûrie et réfléchie, nourrie de trois cultures, la française, l’allemande et l’anglo-saxonne, une pensée qui, éclatée dans ses poèmes, garde sa juste part de mystère. Jean-Paul de Dadelsen a été qualifié de « plus grand poète alsacien d’expression française » du XXe siècle et « une manifestation fulgurante du génie alsacien ».
Jonas, réédition en cours dans la collection Poésie Poche aux Editions Gallimard ; Saisons d’Alsace, n° spécial, 1962, avec les contributions de A. Fischer, « Présentation de J.-P. de Dadelsen », p. 1 35 ; C. Claus, « Sur l’œuvre de J.-P. de Dadelsen », p. 142 ; N. Katz, « Sur les traces de J.-P. de Dadelsen », p. 148 ; F. Hoffet, « Du temps d’Altkirch », p. 154 ; C. Michel Saint Denis, « Mon ami Jean-Paul », p. 158 ; G. de Dadelsen, « J.-P. Alsacien », p. 1 60 ; J.-CI. Marrey, « Sur J.-P. de Dadelsen, p. 401 ; E. Jung, « Notre neveu Jean-Paul », p. 426 ; « Le dossier de l’oncle Éric. Lettres et poèmes de jeunesse de J.-P. de Dadelsen », p. 429 ; Élan, 1963, n° 1 ; R. Matzen, « Un événement littéraire, J.-P. de Dadelsen traduit en allemand », Saisons d’Alsace., 1967 ; Encyclopédie de l’Alsace, vol. 4, 1983, p. 2212-2214 ; L’Alsace, 22.12.1983 ; B. Marrey, « Dadelsen et Katz, deux poètes et le Sundgau. Témoignages à plusieurs voix », Bulletin de la Société industrielle de Mulhouse, n° 794, 1984 ; Le Nouvel Alsacien, 17 mai 1985 ; Manuscrits et portraits de J.-P. de Dadelsen au Musée d’Altkirch.
Jean-Paul Sorg (1986)