Ecrivain, (★ au Grand Soldat (Soldatenthal), écart d’Abreschviller, Moselle 18. 12. 1826 † Villemomble 3. 9. 1890) (C).
Famille originaire de Chatrian, hameau du village de Torgnon, au pied du mont Cervin, Val d’Aoste. Son grand-père Jean-Baptiste, principal propriétaire de la verrerie de la localité, joua un rôle actif dans les luttes entre les factions rivales du district de Sarrebourg au début de l’an II. La verrerie familiale reprit son activité après la tourmente; mais après 1836, suite à la concurrence de celle de Vallérysthal, elle tomba dans une déconfiture, précipitée par une contrebande malheureuse. Ch. fréquenta d’abord l’école d’Abreschviller, puis, grâce à l’oncle Restignat, celle que l’abbé Thony avait ouverte à Dabo pour pousser l’instruction des enfants de la montagne. Ce dernier, engagé comme aumônier au collège, emmena avec lui cet élève doué à Phalsbourg, où il suivit l’enseignement tout pratique de la classe industrielle. A la sortie il rejoignit ses frères à la verrerie de Saint-Lambert, Belgique comme contremaître-comptable. Très vite il dut la quitter, à la suite d’une brutalité envers un ouvrier. Le principal du collège, Perrot, le reprit alors, comme maître d’études (classes de rhétorique et de philosophie), avec quelques cours dans la classe industrielle. Aigri par ses déboires personnels, humilié à la pensée de l’ancienne gloire des « gentils-hommes-verriers », il adopta l’air sombre du héros romantique marqué par le destin. C’est alors qu’il rencontra Emile Erckmann ©, qui vivait retiré dans sa chambre sur la rue des Capucins. Au retour d’une visite au Grand-Soldat, Erckmann décida de se l’attacher comme associé, car l’un et l’autre avaient l’ambition de parvenir à la gloire par les lettres. Les journées de février 1848 firent d’eux les orateurs enflammés d’un éphémère club républicain, bien vite suspect aux bourgeois de la ville. Perrot, de son côté, congédia le bouillant admirateur des grands révolutionnaires de 93, auxquels il entreprenait de convertir ses élèves. Erckmann l’envoya alors à Paris, avec mission de placer leurs œuvres littéraires. Le succès tardant à venir, Ch. obtint par l’intermédiaire de Chevandier de Valdrôme une place enviée aux chemins de fer de l’est. Ch. avait essayé dès 1847 de faire accepter au Théâtre de Bruxelles un drame touffu dans le goût du temps, Les montagnards des Vosges, dont la matière marquera plusieurs œuvres ultérieures, et d’abord Georges ou le chasseur des ruines, dédié à F. Pyat, reçu à l’Ambigu-Comique mais finalement retiré, et Karl-Maria, roman dans le genre moderne, devenu Malédiction, qui représente la lutte d’un homme fort contre le destin et la société, et qui paraît couplé avec Les deux crânes, devenu Vin rouge et vin blanc, d’Erckmann, dans le Démocrate du Rhin en 1850, pour la première fois sous la signature unique d’Erckmann-Chatrian (Georges… était signé E. Erckmann et Pierre Chatrian). L’Alsace en 1814, nouvelle adaptation des Montagnards des Vosges, pour le théâtre, remporte un succès à ‘Strasbourg, avant d’être interdite. Désormais, après une période difficile de laborieux efforts pour se faire accepter, ce furent les grands romans et contes nationaux et populaires que se disputèrent journaux et revues de Paris. A. Erckmann le plus souvent la conception générale; il discutait ensuite chaque chapitre avec Ch. puis les écrivait seul; Ch. revoyait l’ensemble avec son sens critique apprécié de son collaborateur et s’occupait de la publication. La collaboration reprit après la guerre de 1870, que Ch. avait passée à Clignancourt puis au Raincy. Erckmann laissa son associé adapter leurs romans à la scène : triomphes du Juif polonais au Théâtre de Cluny dès 1869 ; de l’Ami Fritz au Théâtre Français en 1876, des Amoureux de Catherine à l’Opéra-Comique sur une musique de Maréchal ; de la Taverne des Trabans (Taverne du jambon de Mayence) au même Théâtre en 1881 ; du Fou Chopine (Gretchen) à la Renaissance sur musique de Sellénick © en 1883 ; enfin des Rantzau (tirés des Deux Frères) à la Comédie Française en 1882 avant de remporter un grand succès à Berlin. Les Fiancés d’Alsace (tirés de l‘Histoire du Plébiscite et du Brigadier Frédéric) avaient été interdits en 1880 pour ménager l’Allemagne, ce qui avait mis Ch. en fureur ; Madame Thérèse fut accueillie froidement en 1884, et à la chute de Myrtille en 1885 il abandonna le théâtre. Fatigué, il venait de se retirer à Saint-Dié. Le retour d’Erckmann à Phalsbourg, l’indélicatesse de Ch. qui avait pris sur la part revenant à Emile pour payer ses collaborateurs anonymes, et son engagement dans le boulangisme avaient refroidi leur amitié. Cependant Ch. accepta en 1887 un arbitrage en faveur d’Erckmann. Mais un article de Georgel dans le Figaro, avec l’accord de Ch. aigri et très diminué conduisit en 1890 à un procès retentissant dont Ch. sortit condamné.
Erckmann-Chatrian, Contes et romans nationaux et populaires, Paris, 14 vol. 1962-1963 (vol. 14 : la vie et l’œuvre d’Erckmann-Chatrian. Témoignages et documents, 1963, 387 p. par Benoît Guyod.
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Charles Grandhomme (1985)