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BRION Frédérique, Élisabeth

Devenue célèbre par les amours éphémères de Goethe (★ Niederroedern, près de Seltz, 19.4.1752 † Meissenheim, Bade, 3.4.1813), était la 3e fille de Jean-Jacques Brion ©.

Goethe, jeune étudiant venu de Francfort-sur-le Main, rendit visite en octobre 1770 au pasteur Brion avec son commensal Weyland, étudiant en médecine, parent de celui-ci ; ils furent reçus avec empressement ; lors de cette première visite, G. remarqua Frédérique, dont il nous trace dans ses Mémoires (écrits plus de 40 après) le portrait physique et moral : « Un astre charmant se leva sur ce ciel campagnard quand elle entra ; elle était vêtue à l’allemande comme sa sœur et avec cette toilette, elle tenait le milieu entre la paysanne et la citadine ». Svelte et légère, elle marchait, comme si ses pieds n’eussent rien à porter et son cou semblait trop délicat pour les épaisses tresses blondes », et il conclut : « J’eus ainsi le bonheur, dès le premier coup d’œil, de la voir paraître devant moi avec toute sa grâce et tous ses attraits » (Dichtung und Wahrheit, 10e livre). Bientôt, à la suite de visites réitérées, Goethe se trouva dans l’intimité de la famille. Comme elle n’était « ni promise, ni amoureuse », selon Weyland, Goethe ne tarda pas à être captivé par les charmes de la jeune fille et la première gêne fit bientôt place à de doux épanchements. Durant les nombreuses fêtes familiales auxquelles participaient Goethe, toute la parenté proche et lointaine et de nombreux amis, durant les jeux qu’on pratiquait, les airs populaires qu’elle jouait au clavecin et qu’elle chantait, et aussi les promenades autour de Sessenheim qu’il fit avec sa bien-aimée, Goethe eut tout le loisir d’admirer « la grâce de ses manières qui semblait rivaliser avec la terre fleurie et l’inaltérable sérénité de son visage avec le ciel bleu » (Dichtung und Wahrheit, livre XI). Il composa pour Frédérique des poèmes sur des airs connus, les « Sessenheimer Lieder », dont huit nous sont conservés grâce à sa sœur Sophie. Quoi d’étonnant qu’au village on ne parlait que de fiançailles ! Était-ce le projet de Goethe ? « Ma tête est comme une girouette, quand un orage éclate », écrivait-il à son ami Salzmann, fin mai. Il revint à Sessenheim fin juin 1771 après une grande excursion à travers l’Alsace et la Lorraine, mais ne resta pas longtemps. « L’état de mon cœur est étrange », écrivit-il fin juillet, après avoir rencontré la mère et les deux filles dans leur famille strasbourgeoise. « Ce qui se passe dans mon âme n’est pas très facile à saisir ; mais j’y vois trop clair pour ne pas me rendre compte que je poursuis une ombre » (Dichtung und Wahrheit, Livre X). L’adieu est admirablement exprimé à la fin de Willkommen und Abschied.

« Ich ging, du standst und sahst zur Erde
Und sahst mir nach mit nassem Blick.

Und doch, welch Glück geliebt zu werden !

Und lieben, Götter, welch ein Glück ! »

« Je partis, tu restas, les yeux à terre
Ton regard me suivit, mouillé de larmes
Et pourtant, quel bonheur d’être aimé !

Et d’aimer, O dieux, quel bonheur ! »

Après son retour à Francfort, Goethe écrivit à Frédérique, dont la réponse « lui déchira le cœur », surtout que cela se passait à un moment où elle faillit perdre la vie, d’après une lettre à Mme de Stein (28.9.1779). De même, il dit dans le Livre XII de ses Mémoires : « Ici pour la première fois, j’étais coupable, j’avais blessé profondément le plus noble des cœurs ». Goethe quitta Strasbourg le 14 août 1771, avec le grade de licencié en droit (6 août 1771). Il faut pourtant dire, malgré ce qui précède, que les relations de Goethe et Frédérique comptent parmi un des chapitres les plus controversés et des plus impénétrables de la vie de Goethe. Mais l’idylle de Sessenheim a donné lieu à quelques très belles pages dans les Mémoires et à des poésies devenues immortelles.

Goethe revit Sessenheim en 1779. Il retrouva à ce moment là Frédérique. Elle le reçut avec cordialité et une « affectueuse simplicité » : elle évita tout reproche. « Les parents, de même, se montraient affectueux et confiants : le lendemain, au départ, il était entouré de visages bienveillants qui lui prouvèrent qu’il pouvait repenser avec plaisir à ce petit coin de terre ». Cette attitude de Frédérique dictera au poète une lettre à Mme de Stein, où il dira : « Son amour a été plus beau que je ne le méritais ». C’est la première expression d’un regret. La version la plus accréditée sur la vie ultérieure de Frédérique, lui fait quitter Sessenheim en octobre 1787 après la mort de ses parents. Avec sa sœur Sophie, célibataire comme elle, et également de santé fragile, elle se rendit d’abord chez son frère Chrétien, pasteur à Rothau. Elles auraient même tenu un petit commerce pour subsister ; puis en 1801 elle habitait chez sa sœur Salomé et son beau-frère Marx, pasteur d’abord à Diersburg, Bade, puis à Meissenheim près de Lahr. Cette dernière étant morte, laissant une fille unique, Fr. se consacra tout entière à l’éducation de sa nièce. Elle eut même la satisfaction de marier sa pupille. Elle mourut à l’âge de 61 ans. Fr. vivait donc encore, lorsque parut en 1812 dans le tome II des Mémoires de Goethe, le récit de sa première visite à Sessenheim. Une simple pierre tombale (1866) du cimetière de Meissenheim porte cette inscription célèbre de Ludwig Ekkardt : « Ein Strahl der Dichtersonne fiel auf sie. So reich, dass er Unsterblichkeit ihr lieh ».

Bibliographie sélective : Gustav Ad. Muller, Die Goethe-Sammlung in Sessenheim, begründet seit 1894, Handschriften, Bilder und Erinnerungsgegenstände, Strasbourg, 1895 ; G.A. Müller, Goethe in Strassburg, eine Nachlese zur Goethe und Friederikenforschung aus der Strassburger Zeit, Leipzig, 1896 ; A. Bielschowsky, Friedrike und Lili, München, 1906 ; Sitzmann, Dictionnaire de biographie des hommes célèbres de l’Alsace, Rixheim, t. 1, 1909 I, p. 232-233, 1909 ; W. Bode, Die Schicksale der Friedrike Brion, Berlin, 1920 ; Jean de Pange, Goethe en Alsace, 1925 ; E. Vermeil, « Goethe à Strasbourg », Goethe, études publiées pour le centenaire de sa mort par l’Université de Strasbourg (1932), 3-93 ; C. Schneider : Friedrike von Sesenheim in Goethes Worten und Liedern, Strasbourg, 1939 ; Goethe et l’esprit français. Actes du Colloque international de Strasbourg, 23-27 avril 1957 (Publications de la Faculté des Lettres de l’Université de Strasbourg, fascicule 137), 1958 ; Stephan Ley, Goethe und Friederike. Versuch einer kritischen Schlussbetrachtung (avec bibliographie), 1947 ; A. Fuchs, Goethe. Un homme face à la vie, I, 1946, p. 215-259 ; W. Guggenbühl, Sessenheim, Chronik einer elsässischen Gemeinde, Saverne, 1961 ; H.E. Baader ; Fr. Brions hundertster Todestag », Die Ortenau, 1962, (date de décès) ; A. Fuchs, Goethe et l’Alsace…, 1971 ; A. Fuchs, « La Femme dans la vie de Goethe », Études, Recherches germaniques, 9, 1979 ; R. Matzen, Bilder und Klänge aus Sesenheim, Strasbourg-Kehl, 1982 ; H. Wild, Das Gästebuch des Sesenheimer Pfarrhauses, Kehl, 1983.

Georgette Krieg (1984)