Prédicateur, responsable d’Église, professeur, philanthrope, (Pl) (★ Strasbourg 29.3.1747 † Strasbourg 17.2.1816).
J.-L. Blessig fut l’aîné de 12 enfants, 6 garçons et 6 filles. La famille Blessig dite « Blessig à la Hache » (armoiries : destrochère armé, brandissant une hache) est originaire de Wasselonne, Bas-Rhin au moins depuis le milieu du XVIIe siècle. Fils de Jean Laurent Blessig, pêcheur et marchand de poisson au quartier Finkwiller à Strasbourg, puis aux environs de Düsseldorf (Allemagne), où il finit dans la misère. Sa mère, Suzanne Siegwald, était fille d’un aubergiste du hameau d’Ehnwihr, près de Muttersholtz, Bas-Rhin. (ne pas confondre avec un petit cousin, Jean-Louis Blessig, (★ Strasbourg 20.4.1759), étudiant à Strasbourg de 1775 à 1784 où il a soutenu des thèses de droit). ∞ 8.5.1780 à Strasbourg Suzanne Madeleine Beickert († 1828), fille de Jean Philippe Beickert, professeur de théologie, prédicateur au Temple Neuf et directeur du Gymnase, et de Suzanne Madeleine Froereisen ; sans enfant. Blessig fréquenta le Gymnase où il s’enthousiasma pour l’étude des langues et de l’Antiquité et se lia d’amitié avec ceux qui furent, sa vie durant, des compagnons de lutte : les frères Jean © et Frédéric de Turckheim ©, les deux frères Spielmann et Frédéric Rodolphe Saltzmann ©. En 1762 et grâce à diverses bourses, Blessig put engager des études universitaires. Docteur en philosophie en 1770. Une importante subvention lui permit d’entreprendre un périple universitaire de deux ans et demi qui le conduisit à Vienne (octobre 1772 – mai 1773), Venise, Prague, Dresde, Leipzig (août 1773 – mai 1774) avec séjours à Halle et léna ; de là par Berlin, Magdebourg, Braunschweig et les Pays-Bas jusqu’à Dunkerque, retour vers l’Allemagne du Nord où il passa l’hiver 1774/1775 à Goettingen. Des séjours à Paris (1779 et 1803) complétèrent sa formation. Il fait la connaissance personnelle de toutes les célébrités intellectuelles du temps : Diderot, Goethe, Mendelssohn, Lessing, Ernesti, Crusius, Jacobi, Zollikofer et bien d’autres et profita des enseignements les plus réputés.
À son retour à Strasbourg Blessig termina ses études avec le doctorat en théologie suivi de l’ordination (1778) et entama une carrière assez extraordinaire dont voici les principales étapes au plan pastoral : vicaire au Gymnase (1775, peu de temps) ; prédicateur du soir à Saint-Pierre-le-Vieux, puis diacre de la paroisse française, prédicateur du mardi au Temple Neuf, du dimanche à Saint-Nicolas, et enfin de 1781 à sa mort, à la suite de son beau-père, prédicateur principal du Temple Neuf. À ces activités s’ajoutèrent les responsabilités les plus importantes à la tête des structures ecclésiales : président de la conférence générale de Strasbourg (1797-1801), président du consistoire, et inspecteur ecclésiastique du Temple Neuf (1804) et, la même année, membre du consistoire général et du directoire de la Confession d’Augsbourg.
Parallèlement sa carrière universitaire suivit un cours assez normal à compter de 1778 : professeur, professeur titulaire de philosophie (1786), de théologie (1787) ; recteur de l’Université (semestre d’hiver 1786/87 – semestre d’été 1789) ; chanoine de Saint-Thomas (1794).
La réputation strasbourgeoise et internationale de Blessig est d’abord celle d’un prédicateur hors pair, l’un des meilleurs de l’Europe protestante et le seul à pouvoir s’exprimer avec un bonheur égal, a-t-on dit, en français et en allemand. Les dimanches ordinaires il excellait dans des thèmes de l’actualité la plus quotidienne : les soins à donner aux malades, l’honnêteté commerciale, la lecture, les dangers de la loterie ou l’éducation des enfants. Aussi des postes enviés – qu’il refusa – lui seront offerts à Francfort, Berlin ou Vienne. Mais il était avant tout l’orateur des grandes célébrations politiques ou historiques. Les textes de son discours pour le centenaire du rattachement à la France ou pour la translation du corps du maréchal de Saxe – discours qui eut un retentissement européen – de même que les panégyriques annuels de Louis XVI qu’il proposa de 1784 à 1789 sont imprimés, traduits ou recopiés et circulent de main en main.
L’activité de Blessig au service des églises de la Confession d’Augsbourg n’est pas le moindre de ses mérites. Avant, pendant et après les évèments de 1789 il a largement contribué à la pérennité du culte évangélique. Il participa à la rédaction d’un projet de décret – non suivi d’effet – pour la Constitution civile des Églises de la Confession d’Augsbourg (début 1791) puis, après la Terreur et la réorganisation napoléonienne, il fut chargé, au sein du Directoire, de l’organisation générale et du recrutement des pasteurs. ll s’inspira alors largement des structures en place en Rhénanie et sur la rive droite du Rhin. Dans le cadre de sa mission il réorganisa le collège Saint-Guillaume, fit avancer le projet d’un recueil de cantiques et d’un catéchisme, mit en place le Séminaire, se préoccupa du Gymnase et de son autonomie face au lycée impérial. Il s’intéressa tout autant aux écoles primaires paroissiales pour lesquelles il avait préconisé, dès 1792, l’adjonction d’un enseignement technique. Il y introduisit un livre de lecture, étendit l’enseignement obligatoire aux mois d’été et applaudit à la création des écoles normales qu’il dota d’une bibliothèque. Par ailleurs, il fit collaborer les pasteurs avec l’autorité préfectorale en faisant recommander en chaire des affaires aussi profanes que la vaccination, la conscription ou l’entretien des chemins ruraux…
Blessig a été un fervent partisan de la Révolution à ses débuts. Membre élu de la municipalité, il recommanda le futur « terroriste » Euloge Schneider pour un poste de vicaire épiscopal. Mais dès août 1789 il rédigea un appel aux luthériens pour les inciter au calme, signa en août 1792 une adresse à la Constituante contre la déposition de Louis XVI et, à l’assemblée municipale, il s’éleva contre l’anarchie et la dictature des clubs. En février 1793 il fut d’abord exilé à Nancy, puis dans sa maison de campagne de Dorlisheim et enfin enfermé pendant 11 mois, et au delà de Thermidor, au Séminaire épiscopal de Strasbourg (du 2.12.1793 au 3.11.1794).
Au plan des idées, Blessig tenta davantage que ses confrères d’accorder les principes du luthéranisme traditionnel à la philosophie rationaliste de l’Aufklärung. Si la majorité des juristes protestants strasbourgeois de l’époque avaient, comme Blessig, complété leur formation à Goettingen, bastion avancé du rationalisme « moderniste », il n’en était pas de même des théologiens, davantage influencés par le piétisme ou l’orthodoxie de Halle ou de Tübingen. Aussi les cours de B. sur Leibniz, Locke ou Malebranche comme celui de psychologie pratique (1785) étaient sans aucun doute les plus « modernes » de France et même d’Europe dans la mesure où ils supposent un bilinguisme total. Mais on ne saurait, pour autant, les assimiler aux « Lumières » françaises. Foncièrement spiritualiste, Blessig admirait Descartes, Leibniz, Newton et Christian Thomasius. Mais il n’adhéra pas aveuglément à Locke, combattit Rousseau comme Voltaire et se méfiait de Kant, de Fichte et de Schelling. Blessig n’avait rien d’un sectaire.
Son idéal est double : d’abord justifier la foi évangélique par des arguments tirés de la Raison, puis la concrétiser dans la pratique quotidienne. Son engagement social et politique ne s’explique pas autrement. Il a reconnu avoir participé aux activités maçonniques dont ses amis de toujours, F.-R. Saltzmann et les frères de Turckheim, étaient les dirigeants à l’échelle européenne ; et la formule de liberté, d’égalité et de fraternité le fascinait.
Sous la terreur Blessig a fait preuve d’un attachement sincère à ses convictions chrétiennes, à la Révélation et à son Église, rassurant ainsi des coreligionnaires que son rationalisme progressiste avait effrayé.
Blessig, dit un biographe, « … avait l’esprit pratique et était un homme d’affaires né… » Sa vie est jalonnée par la multitude de structures et de groupements spécifiques qu’il a créés ou animés. Dès 1767, il était secrétaire perpétuel d’une société de Philosophie et de Belles Lettres et vers 1779 Blessig faisait partie de la Deutsche Gesellschaft et de loges maçonniques. Durant les années 1775-1780 il organisa des séminaires libres qui ont formé une bonne partie de l’élite strasbourgeoise du XIXe siècle, notamment L. Stoeber et G.-D. Arnold ©. Il participa, vers 1796, à l’inspection des monuments et bibliothèques nationales du département. À partir de 1803 il présida la conférence pastorale, dont il faut admirer l’efficacité sociale et culturelle, notamment dans l’institution de cours du dimanche et de bibliothèques de prêt pour les ouvriers-artisans. De 1805 à sa mort Blessig dirigea la Société biblique. D’autres activités étaient orientées vers la bienfaisance. L’œuvre de bienfaisance pour les pauvres honteux qu’il n’a pas fondée, mais qu’il présida de 1787 à 1816 est aujourd’hui encore un rameau vivace de la charité discrète des Strasbourgeois. Blessig fut associé de près au mouvement dit des Soupes populaires du philanthrope américain Rumford lors des difficultés dues au blocus et à diverses initiatives de l’aide aux prisonniers. Dans le cadre plus restreint de sa paroisse du Temple Neuf, il géra de plus tout un système d’aides personnalisées, dont une caisse de prêts aux artisans. Mais l’institution de loin la plus caractéristique, pour l’époque comme pour le personnage est la Société des Philanthropes. Elle allie les théories de l’Aufklärung et des droits de l’homme à la pratique sociale et politique. Blessig la fonde vers 1775 avec F.-R. Saltzmann et les frères de Türckheim, il en rédige des statuts qui, à juste titre, revendiquent pour Strasbourg le titre de « métropole de la philanthropie » et en est à la fois l’aumônier et le directeur (1777). Parmi les réalisations de ce groupe, il convient de noter en premier la campagne pour l’émancipation des Juifs menée au plan international – et couronnée de succès. Des concours, des conférences, des mémoires et aussi l’activité des « Philanthropes » strasbourgeois au sein de la municipalité où Blessig mena ce combat contre la majorité des membres dans les groupements révolutionnaires locaux, à la Constituante et à l’Assemblée législative, permettent de voir en Blessig l’un des agents les plus efficaces de la cause des Juifs, tant en France qu’en Allemagne. Dès 1776 il avait mis en rapport les principaux protagonistes européens de la cause : von Dohm, l’abbé Grégoire (jusqu’à sa mort il entretint avec eux une active correspondance), Mirabeau, Moyse Mendelssohn
L’œuvre imprimée de Blessig ne reflète que partiellement le caractère et les activités du personnage. Il a rédigé des revues : Der Bürgerfreund (1776-1778), Strassburger Gelehrten und Kunstnachrichten (1782-1785), et collaboré au Journal encyclopédique qu’éditait von Dohm en langue allemande à Clèves et à Düsseldorf (1774/1775) à l’hebdomadaire strasbourgeois Patriotisches Sonntagsblatt (1er semestre 1792) sans oublier de nombreux écrits de circonstance.
L’appréciation de la vie et de l’œuvre de Blessig reste délicate. La masse de ses papiers a disparu lors de l’incendie du Temple Neuf en 1870. Des documents essentiels avaient déjà été éliminés auparavant, et la légitime prudence des biographes de la Restauration a gommé ou atténué l’aspect « rationaliste », voire « révolutionnaire » de sa pensée. Le cas Blessig est aussi celui de l’inextricable écheveau d’activité sociales, politiques, religieuses, bancaires, commerciales, maçonniques, philanthropiques et culturelles des notables que sont les Türckheim, les Saltzmann et autres de Dietrich ou Franck. Ils sont aux côtés de Blessig partout et toujours, ils le logent et l’entretiennent, financent ses voyages, dirigent avec lui les associations culturelles.
La personnalité de celui qui a été le « premier ecclésiastique protestant d’Alsace » avant, pendant et après la Révolution Française n’a livré, à ce jour, qu’une partie de sa vérité.
Œuvre :
Outre sa thèse latine de 1770, Origenis philosophiae apud Romanos, le cours de 1785, Vorlesungen zur praktischen Seelenlehre et des Predigten bei dem Eintritt in das 19. Jh. (1808 et 1816) Blessig n’a publié que des textes de circonstance, ce qui n’est pas péjoratif. R. Reuss, De scriptoribus rerum alsaticarum 1897, p. 208, a souligné que Blessig a enrichi l’édition du discours de 1781 sur le centenaire du rattachement par des chroniques et des documents inédits.
Liste exhaustive de l’œuvre imprimée dans C. M. Fritz, Leben D. Johann Lorenz Blessigs, t. Il, 1818, p. 336 à 343 qui édite de nombreux extraits ; Blessig ayant rédigé ses notes et journaux de voyage en langue française, son biographe n’en donne hélas que les traductions. On y ajoutera des Nachgelassene Predigten auf alle Sonn- und Festtage des Jahres, 2 vol., 1826 et les inédits publiés par les Monatsblätter der Blessig-Stiffung de 1847 à 1850.
Des manuscrits divers ont échappé à l’incendie du Temple Neuf. Aux Archives municipales de Strasbourg, chapitre Saint-Thomas 108, 61 (3), des Lettres. D’autres lettres à Oberlin, Bibliothèque Nationale, Paris, mss. allemands, vol. 192, à Schweighaeuser, Bibliothèque de Nancy, ms. n° 1258-65. Nous avons consulté à la bibliothèque de Port-Royal ses lettres à l’abbé Grégoire dont une partie a été publiée dans la Revue d’Alsace par Ingold, 1910, p. 478-490 ; 1911 p. 58-64 ; p. 210-222. Une autre collection de lettres devrait se trouver dans le fonds privé des Türckheim. Blessig a traduit en allemand les Recherches sur la domesticité de l’abbé Grégoire, Ms n° 5901 à la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg qui conserve aussi les Ms du cours de Dogmatische Theologie, 1812, Ms n° 86. Le fonds du Directoire de la Confession d’Augsbourg déposé aux Archives départementales du Bas-Rhin recèle de nombreuses notes et commentaires de Blessig. Les volumes des P.V. de la Société des Pauvres Honteux (Blessig président de 1787 à 1816) sont déposés aux Archives départementales du Bas-Rhin. Un Programma inaugurale philosophiae (21.1.1786) est aux Archives municipales de Strasbourg, chapitre Saint-Thomas, 445 n° 58.
M. Fritz, Leben des Dr. J. L. Blessig, 2 vol. Strasbourg 1818 ; J. G. Dahler, Memoria viri maxime reverendi J. L. Blessig, 1816 ; G. D. Arnold, Blessigs Todtenfeier, Elegie, 1816 ; J. Rathgeber, Die Strassburger und die St. Petersburger Blessigsstiftung, 1892 ; M. Scheidhauer, Les églises luthériennes en France, 1800-1815, Strasbourg 1975.
Documents familiaux, portraits, monuments, ex libris Tableau généalogique complet de la famille Blessig aux Archives municipales de Strasbourg, Fonds « Généalogies Raeuber » – Berger-Levrault, Annales des professeurs des académies et universités alsaciennes 1523-1871, Nancy, 1890 énumère sept portraits de J.-L. Blessig dans Annales des Professeurs, 1892, p. 23. Le plus fidèle semble être un pastel en médaillon ovale des salons du chapitre Saint-Thomas, avec trois couplets de prose rythmée par D. Arnold de Debeyer, gravé par Guérin. Une autre gravure de Ch. Schuler (1812) plus tardive, a été abusivement retouchée. Le Musée Historique de Strasbourg possède un pastel rectangulaire non signé (34 x 28). Un monument B. avec portrait en relief sculpté par Ohmacht en 1847, épargné par l’incendie de 1870 se trouve dans le Temple Neuf actuel; pierre tombale avec inscription au cimetière Saint-Gall (5 A ; 14) : le nom de Blessig est gravé avec ceux de Goethe, Herder, Lenz, Wagner, Schlosser dans la tour de la cathédrale (cf. moulage n° 451 aux archives de l’Œuvre Notre-Dame Date : 1776) -Ex-libris de Blessig dans le manuscrit 2801 de la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg Strasbourg. Une rue de Strasbourg porte son nom et une fondation Blessig a été instituée en 1847 par F.W. Engel pour l’éducation d’adolescents protestants.
Marcel Thomann (1984)