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KASTLER Alfred

Membre de l’Institut, prix Nobel de Physique, (Pl) (★ Guebwiller 3.5.1902 † Bandol, Var, 7.1.1984, inhumé à Bures-sur-Yvette, Essonne).

Fils de Frédéric Kastler, commerçant, et d’Anna Frey. ∞ 27.12.1924 à Paris Ve Élise Cosset (★ 25.4.1901 † 29.9.1984), professeur d’histoire-géographie ; 3 enfants. Études secondaires au lycée Bartholdi de Colmar, où il fut l’élève du professeur Édouard Greiner. Reçu simultanément à l’École polytechnique et à l’École normale supérieure en 1921. Élève à l’École normale supérieure de 1921 à 1926. Agrégé des sciences physiques en 1926, reçu 1er. Successivement professeur aux lycées de Mulhouse (1926), Colmar (1927), Bordeaux (1931). Assistant à la faculté des Sciences de Bordeaux de 1931 à 1936. Docteur ès sciences physiques en 1936. Maître de conférences à la faculté des Sciences de Clermont-Ferrand de 1936 à 1938, année où il fut nommé professeur titulaire à la faculté des Sciences de Bordeaux. Appelé à Paris en 1941, par Georges Bruhat, pour assurer la suppléance de Pierre Auger à la Sorbonne et à l’École normale supérieure en tant que chargé de cours. Élu successivement maître de conférences (1944), professeur sans chaire (1945), puis professeur titulaire à la Sorbonne (1952).

Après les événements de mai-juin 1968, il demanda à être muté au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) en qualité de directeur de recherches (1968-1973). Chargé de la chaire Francqui de physique à l’Université catholique de Louvain (1953-1972), directeur du groupe de spectroscopie hertzienne à l’École normale supérieure (1941-1972), directeur du Laboratoire CNRS de l’horloge atomique (1958). Membre du Comité consultatif et du Conseil de l’Enseignement supérieur entre 1947 et 1954. Membre de la Section optique et physique atomique et moléculaire du CNRS, élu en 1947, réélu en 1950, 1957 et 1963. Membre suppléant du Directoire du CNRS de 1957 à 1961. Président de la Société française de physique (1954). Président du Comité français d’optique (1958). Président du conseil de l’Institut d’Optique (1962). Membre de la Commission « Physique » du Ve Plan et de la Commission du Centre national d’études spatiales (1963).

Kastler reçut un grand nombre de prix scientifiques et de distinctions académiques : 3 fois lauréat de l’Académie des Sciences (1940, 1948, 1957) ; prix de l’Association « Au service de la pensée française » (1951) ; prix Holweck de la Physical Society de Londres (1954) ; Grand prix scientifique de la Ville de Paris (1963) ; prix des Trois physiciens (1965) ; médaille de l’Université de Liège (1950) ; médaille Mees de l’Optical Society of America (1962) ; médaille d’or du CNRS (1966) ; médaille d’or du prix Strasbourg (1983). Kastler fut aussi membre d’honneur de plusieurs institutions : Société française de physique (1959) ; Optical Society of America (1963) ; Société polonaise de physique (1963). Membre du Comité d’honneur de l’Académie d’Alsace (1961). Membre de l’Institut (Académie des Sciences) en 1964, membre de l’Académie des Sciences de Pologne (1967), de la Deutsche Akademie der Wissenschaften de Berlin (1969), de l’Indian Academy of Sciences (1970) et de l’Académie des Sciences de Hongrie (1973). À cette liste s’ajoutent les titres de docteur honoris causa qui lui furent décernés par les universités de Louvain, Pise, Oxford, Laval à Québec, Edimbourg, Jérusalem, Belgrade, Bucarest, Pavie, Sherbrooke, Nottingham. Les responsabilités et fonctions exercées par Kastler, les honneurs qui lui avaient été rendus, jalonnent une carrière scientifique assurément exceptionnelle. Mais Kastler était un homme exceptionnel ! En novembre 1984, année de son décès et pour assurer la pérennité de son souvenir, la Société française de physique et la Deutsche physikalische Gesellschaft créèrent d’un commun accord le prix Gentner-Kastler destiné à être attribué annuellement et alternativement à un physicien français et à un physicien allemand. Il est défini comme devant être décerné pour une contribution éminente en physique. Le premier lauréat en fut le Dr Edouard Brezin, de l’Université de Heidelberg, pour sa contribution à la théorie des phénomènes critiques (1986).

L’œuvre scientifique de Kastler est considérable. Une énumération de toutes ses publications, interventions écrites ou orales, n’a pas sa place ici. Mais il faut souligner d’entrée que les appli- cations des travaux de Kastler et de ses collaborateurs se retrouvent dans presque tous les domaines de la connaissance puisqu’elles procèdent des fondements mêmes des liaisons atomiques et moléculaires. Nous avons choisi d’en rapporter l’aspect émergent. Dans son exposé des titres et des travaux, Kastler explique que c’est à l’occasion des travaux qu’il avait menés sous la direction de Pierre Daure à la faculté des Sciences de Bordeaux de 1931 à 1936, en vue de sa thèse de doctorat consacrée à des Recherches sur la fluorescence visible de la vapeur de mercure, que son attention avait été attirée sur les relations existant entre les caractères de polarisation des radiations excitatrices et émises d’une part, et l’orientation spatiale des moments cinétiques et magnétiques des atomes d’autre part. Or ce sont ces mêmes relations qui interviennent dans les méthodes optiques de résonance magnétique qu’il développa à partir de 1949 au Laboratoire de Physique de l’École normale supérieure, alors administré par le professeur Yves Rocard. Kastler en a indiqué les principes dans une note adressée à l’Académie des Sciences (Comptes rendus des séances de l’Académie des Sciences 229, 1949, p. 1213), avec Jean Brossel, son principal collaborateur. Cette publication présentait alors les fondements de ce que les auteurs appelèrent la méthode de la double résonance qui permettait de détecter le phénomène de résonance magnétique d’un état atomique excité en observant la modification que subit l’état de polarisation de la lumière de résonance optique lorsqu’on applique à l’atome un champ magnétique de haute fréquence en résonance avec la fréquence de Larmor de l’état excité. Pour compléter cette procédure, Kastler inventa en 1950 la méthode de pompage optique, qui permet de produire des variations substantielles de population électronique entre les différents niveaux d’énergie des atomes, et d’étendre au niveau fondamental des atomes la détection optique des résonances hertziennes.

Ce procédé favorisait par conséquent l’excitation sélective de certains niveaux Zeeman ou hyperfins de l’état excité de façon à obtenir, par le jeu des transitions de retour à l’état fondamental, une concentration des atomes dans certains niveaux Zeeman ou hyperfins de cet état. Ce mécanisme correspond à l’orientation des moments cinétiques et des moments magnétiques des atomes dans une direction donnée de l’espace. C’est en 1951 que son collaborateur Jean Brossel revint du Massachusetts Institute of Technology, où il avait préparé sa thèse de doctorat sous la direction de Francis Bitter. Kastler et Brossel s’associèrent à compter de cette date pour développer ces méthodes au laboratoire de physique de l’École normale supérieure, très sous-équipé à l’époque, mais avec une équipe de chercheurs de grande qualité qui deviendront des savants de réputation internationale. Plusieurs d’entre eux entrèrent par la suite à l’Académie des Sciences. Pour atteindre ses objectifs, Kastler orienta les thèmes de recherches de son laboratoire dans deux directions principales : l’étude des états atomiques optiquement excités et l’étude des états fondamentaux des atomes. Ce schéma directeur, simple et efficace, a été généralisé sous le nom de méthodes optiques de détection des résonances hertziennes ; il sera déterminant pour le prodigieux développement scientifique et technique que l’on sait. L’Académie royale des Sciences de Suède récompensa en 1966 l’œuvre de Kastler en lui décernant le Prix Nobel de Physique, pour la découverte et le développement des méthodes optiques pour l’étude des résonances hertziennes dans les atomes. Il convient à ce propos d’attirer l’attention sur le fait qu’on lui attribue à tort l’invention du laser. Il précisa lui-même à ce sujet que « l’Académie des Sciences de Stockholm a eu mille fois raison de ne pas nous associer au prix Nobel décerné aux inventeurs des lasers et des masers ».

Mais l’homme de science était aussi un poète et un philosophe. On peut découvrir ses talents littéraires dans un grand nombre de publications. Ce qu’il écrivit par exemple dans le recueil de poésies publié en 1971 a d’ailleurs été largement commenté par le professeur H.-J. Maresquelle ©, ancien doyen de la faculté des Sciences de Strasbourg ; c’était à l’occasion d’une interview que celui-ci avait accordée à un journaliste des Dernières Nouvelles d’Alsace. Le doyen Maresquelle disait alors que « les deux cents poésies en langue allemande de Kastler étaient un témoignage de toute sa vie ; que s’il [Kastler] les offre en hommage à l’idée européenne, ce n’est pas de prime abord qu’on en comprend la raison, il y faudra quelque réflexion ; que ce qui frappe dès la première lecture, c’est la confession personnelle, une confession qui va depuis l’éducation de l’enfant jusqu’aux options philosophiques et religieuses en passant par les diverses crises qui ont secoué l’Alsace au cours des soixante dernières années ; que l’Armistice du 11 novembre 1918 l’avait profondément ému ; que c’est l’angoisse du garçon de 16 ans qui voyait déjà sa vie s’esquisser dans le cadre où il s’était trouvé placé et qui constate brusquement que ce cadre s’effondre. » Nous apprenons aussi qu’un voyage en Allemagne en 1922 avait mis Kastler « en présence d’une Allemagne en pleine crise économique et monétaire ; qu’il la ressentait profondément ; qu’il rendait hommage à la dignité qu’il constatait devant l’angoisse. » En 1923, Kastler était à Paris : « Oui, je t’aime, mon cher vieux Paris, avec tes longues rues populaires toutes noires. » En juin 1940, Kastler était dans les Charentes au moment de l’arrivée de l’Armée allemande : « Oui, ce sont eux, leurs chansons tremblent encore sur ma langue mais mon cœur cependant ne les reconnaît plus, car je ne suis plus le même. » En octobre 1939, il était à Strasbourg, évacuée et déserte. S’adressant à la cathédrale, il dit ceci : « Comme un cristal poussé en aiguille par la délicate et noble main d’un ange, légère et aérienne, tu es jaillie du sol et nous salues de loin, au pays d’Alsace. » Dans son émouvant recueil de poésies, on trouve encore bien des thèmes significatifs parmi lesquels on peut glaner au fil des pages : Novembre 1918 ; Mon cher Paris gris ; Mon Alsace ; Routes de France (1940) ; Ma France (1940) ; À un ami juif (anno domini 1940) ; D’r Schangi un d’r Dolfy (en dialecte alsacien) ; Aux otages fusillés de Nantes et Bordeaux (octobre 1940) ; Printemps 1944 ; Buchenwald 1945 ; La force de l’amour ; Avent ; Résurrection ; Solitude ; Adieu. Voici maintenant ce qu’il a écrit au titre de la dédicace de son livre Europe, ma patrie, à son frère Henri Kastler mort pendant la Seconde Guerre mondiale : « À toi, mon frère, musicien et poète, qui – pendant que nos villages renaissaient à la liberté et à la joie – es parti au-devant de la liberté, au-devant de la peine et de la mort. Aux bons camarades qui t’ont soutenu et traîné jusqu’à ce que, épuisé et mourant, tu t’affaisses sur cette terre de Galicie où longtemps après j’ai erré dans la neige sans retrouver ta trace. Tu continues à vivre dans mon cœur. »

Sur le plan religieux, Kastler avait très clairement fait connaître ses sentiments. Pour s’en rendre compte il suffit en effet de se reporter à l’article de la revue Comprendre, où il écrit : « Un comportement éthique ne peut trouver sa véritable source que dans le cœur. Un seul principe sert de base à toute morale. Il a été énoncé par le Christ : Aime ton prochain comme toi-même (Matthieu 22, 39). Ces paroles prononcées il y a deux millénaires constituent toujours le fondement de toute morale. » On peut aussi méditer la phrase qui termine la conclusion de son livre Cette étrange matière : « De même que la vie est une émergence sans commune mesure avec la matière physico-chimique dont elle est faite, de même l’humanité, si elle parvient à promouvoir la solidarité, émergera loin au-dessus d’une vie qui ne connaît que conflits et haine. » Kastler. a honoré l’Alsace et la France. L’Alsace le fit citoyen d’honneur de Colmar et de Guebwiller, et donna son nom au lycée de sa ville natale. La France l’éleva à la dignité de grand officier de l’ordre national du Mérite et à la dignité de grand officier de la Légion d’honneur.

Notice sur les titres et travaux d’Alfred Kastler (1958-1964) ; Optique, 6e éd. revue et corrigée du Cours de physique générale de G. Bruhat, Paris, 1965 ; Europe, ma patrie. Deutsche Lieder eines französischen Europäers, Paris, 1971 ; « La science et l’avenir de l’homme », Comprendre, 1974 ; Cette étrange matière, Paris, 1976 ; « Rapport sur le Colloque Jean-Henri Lambert qui s’est tenu à Mulhouse-Bâle », Comptes rendus des séances de l’Académie des Sciences 285, 1977, p. 29-31.

« Un alsacien prix Nobel de physique : Alfred Kastler », Dernières Nouvelles d’Alsace du
4.11.1966 ; Dernières Nouvelles d’Alsace des 6.-7. et 11.-12.11.1966 ; Nouveau dictionnaire national des contemporains V, 1968, p. 384 ; World who’s who in Science, 1968 ; « La poésie d’Alfred Kastler, entretien de R. Kiehl avec H.-J. Maresquelle », Dernières Nouvelles d’Alsace du 27.10.1971 ; Biographisch-literarisches Handwörterbuch der exakten Naturwissenschaften VII-b, 4, Berlin, 1973, p. 2392-2396 ; Who’s who in the World, 1974-1975 ; « Biographies de personnalités d’origines alsaciennes et mosellanes », Horizons d’Alsace 15, 1975, p. 9-19 ; R. Burgun, « Les prix Nobel et l’Alsace », Annuaire de la Société des Amis du Vieux-Strasbourg, 5, 1975, p. 156-176, portrait ; « Le prix Strasbourg 83 décerné à Alfred Kastler et remis à son fils Daniel », Dernières Nouvelles d’Alsace du 9.10.1983 ; Who’s who in France, 1983-1984 ; « Alfred Kastler repose près de l’I.H.E.S. de Bures-sur-Yvette, » Le Républicain du 12.1.1984 ; « Le professeur Kastler, prix Nobel de Physique, est inhumé à Bures-sur-Yvette », Le Parisien du 12.1.1984 ; « Les obsèques d’Alfred Kastler », Dernières Nouvelles d’Alsace du 12.1.1984 ; « Alfred Kastler repose à Bures-sur-Yvette », La Marseillaise de l’Essonne du 13.1.1984 ; B. Cagnac, « Alfred Kastler (1902-1984) » Bulletin de la Société française de Physique 52, 1984, p. 3 ; J. Brossel, « La vie et l’œuvre d’Alfred Kastler », Comptes rendus des séances de l’Académie des Sciences, 1984, t. 1, n° 6, p. 595-606, portrait ; Encyclopédie de l’Alsace, VII, 1984, p. 4419-4421, portrait ; Alfred Kastler, l’homme et son œuvre, catalogue de l’exposition réalisée par la Bibliothèque interuniversitaire de Jussieu et présentée à l’Institut de Physique de Strasbourg du 2 au 10 juin 1988.

Guy Perny (1993)