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BRANT Sébastien, surnom : Titio (le tison)

Juriste, humaniste (★ Strasbourg 1457 (et non 1458) † Strasbourg 10.5.1521).

Fils de Diebolt Brant, aubergiste du « Lion d’Or », rue d’Or (★ 1419 † 1468), petit-fils de Diebolt Brant 8 fois membre du Conseil pour les gourmets. ∞ 1485 à Bâle Élisabeth Burgis, fille d’Henri Burgis, maître de la corporation des couteliers bâlois ; sept enfants dont Onuphrius, juriste, membre du Conseil 1523. Études à Strasbourg, immatriculé à l’Université de Bâle 1475, bachelier, licencié, 1489 docteur de l’un et l’autre droit (civil et canonique), doyen de la faculté de Droit 1492, professeur à l’Université. Brant s’agrégea en même temps à un cercle d’humanistes ayant pour chef spirituel Johann Heynlin vom Stein qui lui transmit sa passion pour les lettres anciennes, son respect de l’Église, son idéal d’humaniste chrétien conservateur. Il étudia le grec, donna des cours de poésie et de lettres, écrivit des poésies latines et allemandes, travailla comme correcteur d’imprimerie. Il publia en février 1494 chez Bergmann d’Olpe son chef-d’œuvre Das Narrenschiff, qui le rendit célèbre dans l’Europe entière. Sur les sollicitations de Geiler © et peut-être par déplaisir de voir Bâle se détacher de l’Empire, il revint en 1500 à Strasbourg, s’installa, 18, quai Saint-Nicolas jusqu’à sa mort. D’abord conseiller juridique, il fut nommé (1503) secrétaire de la ville (Stadtschreiber). À côté de son rôle juridique, il dirigea la censure des livres, instituée en 1504, réorganisa les archives, participa à de nombreuses ambassades de la ville auprès des princes et de l’empereur Maximilien, qui l’appela plusieurs fois à sa cour, le nomma conseiller impérial, assesseur au tribunal aulique de Spire, comte palatin avec pension (qui ne fut jamais payée !). A l’avènement de Charles-Quint, Brant fut envoyé à Gand pour obtenir le renouvellement des privilèges de la ville et prononcer, au nom des princes assemblés, l’éloge du nouvel empereur (1520). À sa mort, Brant fut inhumé dans la cathédrale, mais sa pierre tombale avec épitaphe est aujourd’hui dans l’église Saint-Thomas. L’œuvre écrite de Brant est abondante (plus de 70 publications imprimées) et très variée. Les écrits juridiques sont nombreux : son cours d’introduction au droit civil et canonique (1490) connut 8 éditions dont une à Paris et une à Venise (1584) ; à Strasbourg, il publia deux manuels de pratique juridique, le Layen Spiegel (1509) et le Clagspiegel (1516). De ses travaux historiques il ne subsiste qu’une Histoire de Jérusalem, un itinéraire des routes partant de Strasbourg, avec indication des distances entre les localités, fragment d’un projet non réalisé de Chronique d’Allemagne (publié en 1543), des notes prises au jour le jour sur des événements divers, réunies sous le nom d’Annales de Brant, (publiées par Dacheux en 1892). La poésie latine ou allemande de Brant s’inspire souvent de faits divers et d’événements contemporains, comme la chute d’un aérolithe à Ensisheim (avec une gravure, 1492), l’invention de l’imprimerie, la prise de Grenade etc. Sa poésie politique est principalement faite d’adresses, de louanges à Maximilien, dont il attendait la réforme de l’État et même de l’Église et surtout, obsédé toute sa vie par le péril turc, la direction d’une croisade européenne pour reconquérir la Terre sainte. Humaniste fervent, Brant publia, avec des commentaires, des auteurs latins, notamment Esope, Térence et Virgile. L’inspiration religieuse est dominante dans sa poésie latine, qui comporte surtout les pièces rassemblées par lui dans les Varia Carmina (1498). Il y célèbre les saints et surtout la Vierge : il était un partisan fanatique de l’immaculée Conception. Le Narrenschiff qui a fait la gloire de Brant est un poème satirique et moralisant, truffé de citations classiques et bibliques, d’environ 7 000 vers en langue allemande, répartis en 112 chapitres (les deux derniers rajoutés dans la deuxième éd., 1495). Brant y dénonçait les vices contraires à la morale divine et à la raison humaine : ceux qui en sont affligés sont des fous qui s’embarquent dans une ou plusieurs nefs les menant à la perdition. D’après le prologue, Brant voulait surtout que son poème fût un miroir des fous, dans lequel chacun pût se reconnaître afin de se corriger. Selon la volonté de Brant, chaque chapitre était orné d’une gravure évoquant le vice dénoncé. Cette illustration est l’œuvre de trois ou quatre artistes anonymes et est parfois d’interprétation délicate. On admet en général que les deux tiers sont dus au jeune Durer, encore à Bâle au début de 1494 ; pourtant elles sont de facture bien inférieure aux autres gravures de Dürer de la même époque. Si Brant n’a pas inventé l’allégorie de la nef des fous, celle-ci a beaucoup contribué au succès inouï de sa satire. À peine imprimée à Bâle, elle fut publiée dans plusieurs autres villes dès 1494. Elle fut traduite en latin en 1497 par Locher sous le titre Stultifera Navis, en français la même année à Paris par Pierre Rivière, La nef des folz du monde, puis en anglais à Londres en 1508, en bas-allemand à Lubeck et Rostock (1497 et 1519), en flamand à Bruxelles en 1548 et encore en 1635. Nombreuses furent les imitations, les pastiches, il est probable que l’Éloge de la Folie d’Erasme (1509) a été conçu partiellement comme une réfutation de la Nef. Tombé dans l’oubli au XVIIe siècle et jusqu’au milieu du XIXe, le Narrenschiff depuis lors a fait l’objet d’innombrables travaux érudits sur la langue, le style, les idées, les sources, la morale, l’humanisme, l’illustration ; il a été traduit en allemand moderne, en anglais et en français.

Ch. Schmidt, Histoire littéraire de l’Alsace à la fin du XVe et au début du XVIe siècle, Paris, 1879, I, p. 191-333, II, p. 340-373 (réimpr. Newkoop 1966) ; R. Newald, Charakterköpfe aus dem Zeitalter des Humanismus, Colmar, 1944 ; M. A. Rajewski, Sebastian Brant, Studies in religious aspects of his life and works with special reference to the Varia Carmina (Catholic University of America. Studies in Germanistic XX), Washington, 1944, XVII-270 p. ; Neue Deutsche Biographie, 2, 1955, p. 534-536 ; Ph. Dollinger, « Sébastien Brant le Strasbourgeois, l’humaniste », Bulletin de la Société académique Bas-Rhin, 81, 1959, p. 8-22 ; H. Krueger, « Die Strassburger Itinerarsammlung Seb. Brants aus dem 1. Viertel des 16. Jahrhunderts », Archiv für deutsche Postgeschichte, 1966, 2, p. 2 34, (la carte est reproduite dans l’Histoire de Strasbourg, éd. Livet-Rapp, 2, p. 256) ; J. Jimenes Delgado, Studia Brantiana, estudios bibliographicos sobre el humanista strasburghés Seb. Brant, Salamanque, 1967 ; L’Alsace du 22.11.1969 ; D. Wuttke, « Seb. Brant und Maximilian I. Eine Studie zu Brant Donnerstein. Flugblatt des Jahres 1492 », Die Humanisten in ihrer politischen und sozialen Umwelt, Boppard, 1976, p. 141-176 ; M. Lemmer, « Brant, Sebastian (latinisiert Titio) », Die deutsche Literatur des Mittelalters, 1, 1978, col. 992-1005 ; R. Peter, « La pierre tombale de S. Brant », Ann. de la Soc. des Amis du Vieux- Strasbourg, XIII, 1983 ; Encyclopédie de l’Alsace, 2, 1983, p. 794-798. Portraits : Hans Burkmair 1508, Staatliche Kunsthalle Karlsruhe (couleur) : Albert Durer, gravure 1520, Kupferstich Kabinett, Berlin.

Spécialement sur la Nef des fous :

Texte du Narrenschiff : par Friedrich Zarncke, réimpr. Darmstadt, Wissensch. Buchgesellschaft, 1973 ; Fac- similé de l’éd. de M. Hupfuff de 1512, par R. Matzen, R. Beltz, La nef des fous, Souffelweyersheim, 1977 ; Traduction en allemand moderne : H. A. Junghans, Stuttgart, Reclam, 1968 ; adaptation française par Mad. Horst, La nef des fous, Strasbourg et Paris, 1977 ; F. Winckler, Dürer und die Illustration zum Narrenschiff (Forschungen zur deutschen Kunstgeschichte 36), Berlin, 1941, 122 p., 88 pl. ; U. Gaier, Studien zu Seb. Brants Narrenschiff, Tübingen, 1966, 411 p. ; G. Duennhaupt, « Sebastian Brant : The ship of fools », The Renaissance and Reformation in Germany, New York, 1977, p. 69-81 ; A. Gendre, Humanisme et folie chez Séb. Brant, Erasme et Rabelais. Vorträge der Aeneas Silvius Stiftung 14., Bâle, 1978 ; G. Baschnagel, « Narrenschiff » und « Lob der Torheit ». Zusammenhänge und Beziehung, Francfort, 1979, 258 p. ; B. Mischler, Gliederung und Produktion des Narrenschiffes von S. Brant (Studien zur Germanistik…), Bonn, 1981, 365 p., 37 pl.

Philippe Dollinger (1984)