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WIDEROLD (WIDEROL, WIDEROLFUS, WIDRALDUS)

Évêque de Strasbourg († à la cour impériale à Bénévent, Italie méridionale, 15.7.999 ; inhumé à l’abbaye d’Ebersmunster, Alsace). Les origines familiales de Widerold et ses antécédents biographiques sont inconnus. Cet évêque de Strasbourg fait partie des évêques ottoniens de la seconde moitié du Xe siècle. Il est un parfait représentant du Reichskirchensystem ou organisation de l’Église impériale: les évêchés de l’Empire en formaient l’ossature; les hauts dignitaires de l’Église y étaient simultanément les hauts fonctionnaires de l’État. Peut-être était-il issu de la chapelle royale d’où sortaient les bons serviteurs de cette Église d’Empire (Reichskirche). La coïncidence des dates indique qu’il obtint son élévation au siège de Strasbourg grâce à l’impératrice Adélaïde © : celle-ci était revenue au pouvoir entre 991 et 994 comme régente sous la minorité d’Otton III. L’impératrice et l’évêque se rencontrèrent peu après, le 18 novembre 996, lors de la consécration de l’église abbatiale de Seltz, fondée par la souveraine en retraite. L’évêque Widerold présida la cérémonie en présence de l’empereur Otton III, de sa grand-mère, l’impératrice douairière Adélaïde, et d’un grand nombre de hauts dignitaires ecclésiastiques. Durant son épiscopat, Widerold joua un rôle supra-diocésain dans l’Empire. Selon la Chronique d’Ebersmunster, l’empereur Otton Ier, avant l’une de ses descentes en Italie, confia l’administration de toute la Germanie à Willigis de Mayence ; en même temps, il remit à l’évêque Widerold de Strasbourg la gestion de la province d’Alsace, avec ses abbayes et églises, qui relevait directement du fisc impérial. La délégation paraît le mieux se situer au début de l’expédition italienne d’Otton III en 996. Widerold
entretint en 995 une relation épistolaire avec Gerbert d’Aurillac, alors archevêque de Reims et futur pape sous le nom de Sylvestre II. Cet esprit brillant était également très lié avec la cour impériale. Dans une longue lettre sur l’amitié, Gerbert sollicita l’aide de Widerold dans le conflit qui l’opposait à Arnoul, nouvel archevêque de Reims, au sujet de cet archevêché.

Dans son évêché, Widerold développa une politique très orientée envers les monastères. Il demanda et il obtint la protection du souverain pour certaines abbayes royales, comme Andlau et Ebersmunster. Il renforça sa tutelle sur les établissements épiscopaux, comme Eschau. Il voulait certes relever ces maisons dévastées par les invasions hongroises. Il désirait en protéger d’autres contre les empiètements des seigneurs laïcs. Il poursuivait avant tout le dessein d’intégrer ces riches et puissantes abbayes dans le système de l’Église impériale pour en faire des bases locales d’une vaste pyramide centrale politico-religieuse. Il porta une attention particulière à l’abbaye d’Ebersmunster. Il la combla de biens et de dignités en l’honneur de saint Maurice et de ses compagnons martyrs, les patrons de l’église abbatiale. Il confirma dans sa charge, au nom de l’empereur, l’abbé Baudesius, librement élu par les moines. Les archives abbatiales contenaient trois chartes, dues à l’instigation de l’évêque Widerold. Dans l’état où ces actes de donation nous sont parvenus, il s’agit de faux du XIIe siècle. Il n’est pas exclu que ces falsifications reposent sur des diplômes authentiques. Quoi qu’il en fût, une certaine munificence de l’évêque Widerold envers l’abbaye bénédictine d’Ebersmunster reste indéniable. L’évêque statua dans son testament d’y être enterré. Les services impériaux se chargèrent de ramener son corps du lointain Bénévent à l’abbaye alsacienne.

La légende de sainte Attale ©, rédigée à la fin du XIIIe siècle, accuse l’évêque Widerold d’avoir voulu s’emparer du corps de cette sainte à l’église Saint-Étienne de Strasbourg : ce pèlerinage aurait porté ombrage au rayonnement de la cathédrale toute proche. En punition pour son méfait, le digne évêque aurait été dévoré par les souris. Un tableau du XVe siècle, suspendu à l’entrée de la cathédrale et probablement disparu lors de la Réforme au XVIe siècle, représentait le dignitaire dans cette mort infâme. La tradition populaire semble avoir confondu plusieurs éléments. La légende faisait déjà succomber aux dents carnassières de ces rongeurs Alawic, le successeur immédiat de Widerold, pour avoir tenté de s’approprier les biens de l’abbaye d’Ebersmunster. La spoliation imputée à Widerold pouvait se rapporter, non aux reliques de sainte Attale, mais à l’administration temporelle de l’église Saint-Étienne : l’évêque Werner Ier © obtint en 1003 la jouissance de cette abbaye, pour mieux la relever des dommages subis en 1002 lors de l’invasion du duc Hermann II de Souabe ©. Le tableau était sans doute une représentation funéraire de Widerold : sainte Gertrude y conduisait les âmes des défunts ; les souris permettaient d’identifier l’évêque vilipendé par la rumeur.

Les sources sont résumées dans Regesten der Bischöfe von Strassburg, Innsbruck, 1908, n° 193-210, t. 1, p. 255-259. Le Chronicon Ebersheimense, chap. 19 et 21, dans Monumenta Germaniae Historica Scriptores, t. 23,1874, p. 440-441, rapporte des événements historiques vrais en leur noyau, mais confus dans leur chronologie; Lettres de Gerbert d’Aurillac à Widerold : « Die Briefsammlung Gerberts von Reims », Monumenta Germaniae Historica Epistolae, Die Briefe der deutschen Kaiserzeit, t. 2,1966, n° 193 et 217, p. 234 et 258. Gerbert d’Aurillac, Correspondance, éd. et trad. P. Riché et J.-P. Callu, Paris, 1993 (Les classiques de l’histoire de France au Moyen Âge, 35 et 36), t. 2, n° 193 et 217, p. 511-513, 582-651.

L. Spach, Lettres sur les Archives départementales du Bas-Rhin, Strasbourg, 1862, p. 137, 311, 385; Sitzmann, Dictionnaire de biographie des hommes célèbres de l’Alsace, Rixheim, t. 2, 1910, p. 991-992; M. Barth, « Die Legende und Verehrung der hl. Attala, der ersten Aebtissin von St. Stephan in Stra?burg », Archiv für elsässische Kirchengeschichte, 2, 1927, p. 89-198, surtout p. 126-131,194-198 ; R. Will, « À propos d’un tableau disparu à la cathédrale de Strasbourg et représentant la mort légendaire de l’évêque Widerold », Archives de l’Église d’Alsace, 17, 2e série 1, 1946, p. 311-315 ; A. Bruckner (hsg.), Regesta Alsatiae (Quellenband), Strasbourg, 1949, p. 508 (passim); Encyclopédie de l’Alsace, XII, 1986, p. 7738 (date du décès de Widerold) ; F. Rapp, Le Saint Empire romain germanique d’Otton le Grand à Charles Quint, Paris, 2000, p. 41-73 (relations Empire-Église sous les empereurs ottoniens).

† René Bornert (2002)