Famille d’artistes, de pasteurs et de médecins, originaire de Dillingen an der Donau, Bavière.
- Heinrich l’Ancien,
artiste, écrivain, médecin, imprimeur, (C, puis P) (★ Dillingen 1490 † Vienne 1556), sans doute le troisième enfant de Konrad Vogtherr, oculiste et chirurgien, et de sa première épouse, Anna. Deux de ses frères atteignirent une certaine renommée : Georg (★ 1487 11539), prêtre, puis réformateur de Feuchtwangen, près d’Ansbach, et Bartholomeus (★ vers 1495 † 1536), chirurgien et oculiste de l’évêque d’Augsbourg, Christoph von Stadion. Marié trois fois, la première fois sans doute vers 1511-1512, et père de 10 enfants, dont deux sont connus : Heinrich le Jeune © 2 et Wolfgang, prédicateur à Oedenburg (Sopron), Hongrie. La formation de Vogtherr reste inconnue, mais on peut supposer qu’il fréquenta l’école latine de Dillingen ; il fit probablement son apprentissage en tant que peintre et graveur à Augsbourg, peut-être dans l’atelier de Burgkmair, un des principaux introducteurs des formes Renaissance en Allemagne. Sans doute devint-il maître vers 1510, sa première gravure monogrammée portant cette date. Le monogramme HS à la croix, qu’il utilisa jusqu’à son arrivée à Strasbourg, doit être interprété comme Heinricus Satrapitanus, latinisation de son nom courante dans les milieux humanistes de l’époque. Travaillant pour l’illustration de livres à Erfurt de 1510 à 1513, puis à Leipzig de 1514 à 1517, il eut sans doute aussi des activités picturales, mais le seul témoignage encore existant de cette époque, un Martyre de saint Erasme, sans doute commande d’Albrecht von Brandenburg, est d’attribution discutable. Arrivé à Augsbourg en 1517, il continua son activité d’illustrateur au service de la plupart des imprimeurs de la ville et fut, dès 1520, un des principaux pourvoyeurs de gravures de propagande en faveur de la Réforme, marquées par un anticléricalisme virulent et souvent humoristique, qu’il conserva sa vie durant. À partir de 1522, il travailla à un immense Jugement dernier dans l’église paroissiale de Wimpfen/Neckar, commande de Dietrich von Gemmingen, introducteur de la Réforme dans le Kraichgau, tout en continuant son activité d’illustrateur. En même temps, il fit paraître sous son nom latinisé ou sous des pseudonymes des pamphlets anti-catholiques, dans lesquels les thèmes luthériens se mêlent à des accents hérités de la Theologia teutsch, qui en font un des premiers spiritualistes de l’époque de la Réforme ; il semble d’ailleurs avoir été à Wimpfen l’animateur d’un cercle pratiquant un christianisme très intériorisé, hostile à toute institution ecclésiale, tout en étant lié à Erhard Schnepff, chapelain de Dietrich von Gemmingen et futur réformateur du Wurtemberg. La fin de ses travaux picturaux à Wimpfen a dû coïncider avec les débuts de la guerre des Paysans dans la région (avril-mai 1525) ; toujours est-il qu’on trouve un « Heinrich Maler von Wimpfen », qui est très probablement l’artiste, comme capitaine dans la bande du Neckartal-Odenwald aux côtés de Götz von Berlichingen, puis en juin dans la bande du Hegau, devant Radolfzell ; obligé de fuir devant l’arrivée des troupes princières, il arriva à Strasbourg où il obtint le droit de bourgeoisie le 15 mai 1526 et devint très vite un des illustrateurs attitrés d’une grande partie des imprimeurs strasbourgeois. À partir de ce moment-là, son monogramme devint HV, puis HVE (= der Eltere) quand son fils devint maître à son tour. Outre des pages de titre et de nombreuses marques d’imprimeurs, il illustra des ouvrages très divers: cartes géographiques, schémas anatomiques (il publia notamment, en 1538, une Anathomia féminine qui semble bien être le premier spécimen connu d’image anatomique à rabats), créatures mythologiques, animaux, médaillons de personnages historiques, etc…, et fut aussi le créateur de nombreuses armoiries gravées et des feuilles volantes illustrées relatant des faits-divers « prodigieux ». Mais il s’est surtout affirmé comme illustrateur biblique prolifique et original (Nouveau Testament harmonisé, J. Grüninger, 1527 – Bible, W. Köpfel, 1530 – Nouveau Testament, W. Rihel, 1537 – Paul Pambst, Loosbuch…, B. Beck, 1546). Enfin son Kunstbüchlein, réalisé en collaboration avec son fils Heinrich le Jeune © 2 et édité par lui-même en 1538, lui assura une renommée certaine, puisqu’il fut réimprimé à de nombreuses reprises jusqu’après 1610. C’est, un des premiers exemples de ces livres de modèles destinés aux artisans d’art dont le XVIe siècle était friand ; on y trouve des têtes, des mains ; des pieds, des coiffures, des armes, des écus, des colonnes, etc…, le tout d’une inspiration souvent fantasque, typiquement maniériste et qui témoigne d’une connaissance approfondie des styles de différentes époques. En arrivant à Strasbourg, Vogtherr n’abandonna pas ses conceptions spiritualistes ; diverses sources montrent qu’il était en rapport avec Schwenckfeld © et il est cité au synode strasbourgeois de 1533 comme ne contestant pas la doctrine, mais
quelques-unes de ses conséquences pratiques : baptême des enfants, obligation de participer à la Cène, comportement de certains pasteurs. D’autre part, il publia en 1539 son dernier écrit, le Christliches Losbuch, sorte de compendium de la vie chrétienne, qui insiste sur l’éthique tout en relativisant les sacrements et ne fait pratiquement pas mention de l’Église institutionnelle. Les possibilités de travail périclitant à Strasbourg après 1540, Vogtherr commença une longue errance qui le mena, entre 1542 et 1546, à Spire, Augsbourg, Bâle et surtout Zurich, avec des retours périodiques à Strasbourg ; ce fut néanmoins une période de grande créativité, avec notamment une belle carte de Grèce, parue chez J. Oporinus à Bâle en 1544, et surtout un ensemble d’œuvres très variées, parues chez Christoph Froschauer, le grand imprimeur zurichois, chez qui il séjourna en 1545-1546 : illustrations bibliques, cartes géographiques, vues de villes, allégories, etc…, le tout cumulant dans l’illustration d’un des monuments de l’édition suisse du XVIe siècle, la Chronique de Johann Stumpf, dont Vogtherr fut le maître d’œuvre et dans laquelle il démontra l’étendue et la variété de son talent, tout en ne faisant pas mystère de la persistance de son anticléricalisme. Revenu à Strasbourg courant 1546, il mena encore a bien les illustrations du Thierbuch édité par B. Beck ©, mais il semble bien que ce fut là sa dernière grande commande. Ayant eu l’occasion de réaliser pour Charles-Quint et son frère Ferdinand de grandes armoiries gravées, peut-être à l’occasion de la diète d’Augsbourg de 1547, il fut, selon les chroniques familiales, invité à Vienne par Ferdinand en tant qu’artiste et médecin de la Cour, sans que des sources précises l’attestent ; en tout cas, on le retrouve à Vienne à partir de 1550, où les rares gravures conservées attestent d’un déclin ou peut-être d’un désintérêt évident. Une dernière commande, les illustrations pour un ouvrage de Petrus Canisius, futur chantre de la Contre-Réforme, témoignent d’un humour anticlérical persistant dans les deux gravures représentant l’Eucharistie et l’Extrême-Onction : Vogtherr se tira d’affaire en donnant aux prêtres des visages stupides. Malgré cette fin assez mélancolique, qui témoigne des difficultés des artistes allemands face au peu de commandes, surtout dans les années 1540-1570, Vogtherr peut être considéré comme un artiste typique des républiques urbaines d’Allemagne au XVIe siècle.
Principaux ouvrages imprimés : H. Satrapitanus P., Ain Fruchtbar büchlin, wie ain Christen mensch in Got widerumb neüw geporen…, [Augsbourg, M. Ramminger] 1523 ; H. Satrapitanus P., Ain christlich büchlin, wie man sych inn guten wercken halten…, [Augsbourg, M. Ramminger] 1523 ; rééd. [Strasbourg, héritiers Schürer] 1523 ; Hainricus Spelt, Ain ware Déclaration…, [Augsbourg, H. Steiner] 1523 ; Hainricus Satrapitanus Pictor, Ain Cristliche anred unnd ermanung… [Augsbourg, H. Steiner] 1524 ; Haynricus Spellt, Der Ainfeltig glaub, Augsbourg, H. Steiner, 1524 ; Hainrich Spelt, Ain Newes gutes seliges Jahre…, [Augsbourg, H. Steiner, fin 1525 ou début 1526] ; H. Vogtherr père et fils, Ein Frembds und wunderbars kunstbüchlin…, Strasbourg, H. Vogtherr, 1538 ; H. Vogtherr, Eyn schöne Und Gotselige kurtzweil, eines Christlichen Lossbuchs…, Strasbourg, H. Vogtherr, 1539.
Allgemeine deutsche Biographie, vol. 14, 1896, p. 192-194; J. Ficker, O. Winckelmann, Handschriftenproben des XVI. Jh., Strasbourg, 1905, II, p. 101 ; F. Vogtherr, Geschichte der Familie Vogtherr, Ansbach, 1908, p. 60-82 ; Realenzyklopedie für protestantische Theologie und Kirche, vol. 20, 1908, p. 728-730 ; Sitzmann, Dictionnaire de biographie des hommes célèbres de l’Alsace, Rixheim, t. 2, 1910, p. 927-928 ; H. Koegler, « Die Schrötersche Druckerei in Basel, 1594-1635 (mit Notizen über H. Vogtherr) et Erster Versuch eines Kataloges der Holzschnitte Heinrich Vogtherr des Älteren », Anzeiger furschweizerische Altertumskunde, NF, 1920, vol. 21, p. 220-225 et vol. 22, p. 61-63 ; M. Geisberg, « Heinrich Satrapitanus und Heinrich Vogtherr », Buch und Schrift, 1, 1927, p. 96-100 ; H. Röttinger, « Die beiden Vogtherr », Jahrbuch für Kunstwissenschaft, 2e cahier, 1927, p. 164-184 ; H. Zimmermann, « Beiträge zum Werk einzelner Buchillustratoren der ersten Hälfte des sechzehnten Jahrhunderts », Buch und Schrift, 1, 1927, p. 39-91 ; Hans Rott, Quellen und Forschungen zur südwestdeutschen und schweizerischen Kunstgeschichte im 15. und 16. Jahrhundert, Stuttgart, I, 1936, p. 227-228 ; Thieme-Becker, Allgemeines Lexikon der bildenden Künstler von der Antike bis zur Gegenwart, Leipzig, vol. 34, 1940, p. 499-507 ; Charles Wittmer et J. Charles Meyer, Le Livre de bourgeoisie de la ville de Strasbourg 1440-1530, Strasbourg, II, 1954, n° 8133 ; M. Krebs, H. G. Rott, Quellen zur Geschichte der Täufer, Elsass, I. Teil, Stadt Strassburg 1522-1532, Gütersloh, 1959, p. 176 ; J. Funke, Beiträge zum graphischen Werk Heinrich Vogtherrs des Alteren, Diss. phil., freie Univ., Berlin, 1967 ; M. Usher-Chrisman, Bibliography of Strasbourg imprints 1480-1599, New Haven, Londres, 1982, p. 394 (passim) ; R. W. Gassen, « Die Laien Bibel des Strassburger Druckers W. Rihel – Kunst, Religion, Pädagogik und Buchdruck in der Reformation », Memminger Geschichtsblätter, Memmingen, 1983-1984 ; J. Rott, Investigationes historicae, I, 1986, p. 119, 121 ; F. Muller, « Les premières années (1526-1530) de l’activité de Heinrich Vogtherr à Strasbourg », Revue d’Alsace, n° 113, 1987, p. 129-150 ; M. Lienhard, S. F. Nelson, H. G. Rott, Quellen zur Geschichte der Täufer, t. 16, Elsass IV. Teil, Stadt Strassburg 1543-1552, Gütersloh, 1988, p. 552-554, 598 (passim) ; F. Muller, « Heinrich Vogtherr der Ältere (1490-1556), Aspekte seines Lebens und Werkes », Jahrbuch des Historischen Vereins Dillingen an der Donau, XCIIe année, 1990, p. 173-276 ; idem, Heinrich Vogtherr l’Ancien. Un artiste entre Renaissance et Réforme, Wiesbaden, 1997 (Wolfenbütteler Forschungen, vol. 72) ; idem, Artistes dissidents dans l’Allemagne du seizième siècle : Lautensack-Vogtherr-Weiditz, Baden-Baden, 2001 (Bibliotheca Dissidentium, vol. 21).
Portrait: autoportrait gravé en page de titre du Kunstbüchlein (1538 et éditions strasbourgeoises ultérieures).
- Heinrich le Jeune,
artiste, (C, puis P, puis C ?) (★ Erfurt? 1513 † Vienne début 1568). Sans doute premier fils de Heinrich Vogtherr l’Ancien © et de sa première épouse, ∞ 21.3.1541 Sybilla Steinmaier; 12 enfants. Les débuts de l’activité de Vogtherr sont difficiles à déterminer; il fut très probablement apprenti chez son père à Strasbourg dans les années 1526-1529 et collabora à l’œuvre de celui-ci dans la décennie 1530-1540, ce dont atteste son autoportrait en tête du Kunstbüchlein à côté de celui de son père, mais il est très difficile de départager entre ce qui revient à chacun, le même problème se posant pour les autres œuvres de cette période, sauf en ce qui concerne les illustrations bibliques pour Rihel, dans lesquelles on peut distinguer deux mains différentes parmi les images revenant à l’atelier de Vogtherr Après son établissement à Augsbourg en 1541 et l’adoption d’un monogramme distinct de celui de son père, il est possible de lui attribuer un certain nombre de bordures ornementales et de feuilles volantes gravées de belle qualité, dans l’esprit de la Renaissance allemande, parfois inspirées de Dürer ou de Cranach : sujets satiriques, armoiries, ainsi que de rares œuvres religieuses. Il a certainement été peintre, ce qu’attestent les sources viennoises postérieures, mais aucune œuvre n’a été identifiée. L’activité artistique d’Augsbourg ne suffisant sans doute plus à le faire vivre, il s’installa, à la suite de son père, à Vienne, sans doute vers 1552, sans abandonner ses relations avec Augsbourg, où sa femme paraît avoir continué à diriger l’atelier. À Vienne, son activité picturale semble avoir été assez soutenue: fresques, portraits, œuvres religieuses, à côté de travaux alimentaires de peinture en bâtiment et de quelques commandes d’illustration de livres. Son œuvre reste encore très peu explorée.
Allgemeine deutsche Biographie, vol. 14, 1896, p. 194-196 ; F. Vogtherr, Geschichte der Familie Vogtherr, Ansbach, 1908, p. 82-86 ; Sitzmann, Dictionnaire de biographie des hommes célèbres de l’Alsace, Rixheim, t. 2, 1910, p. 928 ; H. Röttinger, « Die beiden Vogtherr », Jahrbuch für Kunstwissenschaft, 2° cahier, 1927, p. 164-184 ; Thieme-Becker, Allgemeines Lexikon der bildenden Künstler von der Antike bis zur Gegenwart, Leipzig, vol. 34, 1940, vol. 34, 1940, p. 504-507.
Portrait : autoportrait gravé en page de titre du Kunstbüchlein (1538 et éditions strasbourgeoises ultérieures).
Frank Muller (2002)