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TURENNE Henri de LA TOUR D’AUVERGNE, vicomte de

Maréchal de France, (Pr, puis C) (★ Sedan, Ardennes, 11.9.1611 † Sasbach, Bade-Wurtemberg, 27.7.1675). Fils de Henri, duc de Bouillon, prince régnant de Sedan, une des portes du royaume, et d’Élisabeth de Nassau, fille de Guillaume le Taciturne. ∞ 1651 Charlotte de Caumont-La Force (★ 1623 † 1666), fille du marquis de La Force, petite-fille du maréchal La Force, duc et pair de France, et de Jeanne de La Rochefaton ; sans enfant. Élevé dans le respect  de la tradition réformée de la maison de Bouillon, selon les principes de son précepteur, le pasteur David Tilenus, professeur à l’Académie de Sedan, puis à Paris, à l’Académie de Benjamin, rivale de celle de Pluvinel, Turenne fut envoyé par sa mère aux Pays-Bas en lutte contre l’Espagne, chez ses oncles les princes Maurice et Frédéric-Henri de Nassau, hommes de guerre expérimentés. Il participa au siège de Bois-le-duc, Pays-Bas (1629). Les affaires la principauté de Sedan et de la famille de Bouillon étaient au cœur de ses préoccupations. Son père mourut en mars 1623, un traité de protection fut signé avec la France ; le 17 novembre 1631, la duchesse douairière prêtait serment de fidélité à Louis XIII. Appelé à résider en France comme garant du loyalisme des Bouillon, Turenne reçut de Richelieu le commandement d’un régiment d’infanterie et participa désormais à la plupart des campagnes militaires françaises. En Italie, sous le maréchal de La Force, il se fit remarquer au siège de Casal, puis, en Lorraine, à celui de La Mothe. Il fut nommé maréchal de camp (1635). En Alsace, il fut blessé au siège de Saverne. En 1638, au siège de Brisach, il vécut l’expérience tactique de Bernard de Saxe-Weimar © qui lui fut utile plus tard. Il se retrouva en Piémont, sous les ordres du comte d’Harcourt, futur gouverneur d’Alsace, puis en Catalogne. Il fut nommé, à intervalles rapprochés, lieutenant général, puis maréchal de France (1643). Le 4 décembre de la même année, il reçut le commandement en chef de l’armée d’Allemagne. Il occupa la vallée du Rhin de Philippsbourg à Mayence, mais essuya un échec à Marienthal. Condé lui succéda et tous deux remportèrent la victoire de Nordlingen (1645). Demeuré seul à la tête de l’armée, travaillant en liaison étroite avec l’armée suédoise de Tortenson et de Wrangel, il occupa la Bavière dont l’électeur avait rompu le traité d’Ulm. Par la victoire de Zummershausen — et l’occupation de Prague par Koenigsmarck — fut donné un élan décisif aux négociations de paix à Münster et à Osnabruck (traités de Westphalie, 24 décembre 1648). Un épisode est à retenir en dehors des bonnes relations maintenues avec la République protestante de Strasbourg, sans cesse tentée de livrer son pont aux Impériaux, la révolte de Rosen © et des troupes weimariennes, non payées et refusant de servir aux Pays-Bas. Turenne fit arrêter Rosen et ramena les troupes dans leur devoir. L’aventure de la Fronde qui opposa Turenne au gouvernement de la reine-mère Anne d’Autriche et de Mazarin intéresse l’Alsace par l’équipée du comte d’Harcourt et, à Belfort, par celle du comte de La Suze. Elle est à retenir pour ses motivations : d’une part l’attachement de Turenne à la maison de Bouillon — fidélité au lignage (R. Mousnier) —, d’autre part, le sentiment de voir ses services mal récompensés. Turenne refusa, comme non important, le gouvernement de l’Alsace que lui offrit Mazarin. La recherche contemporaine tend à diminuer l’influence sur Turenne de la duchesse de Longueville, épouse du plénipotentiaire royal à Münster. Après différentes péripéties, hostilités et ralliements, amnistie et pardon royal, la victoire des Dunes, remportée par Turenne et l’armée royale sur Condé et les Espagnols, livra Dunkerque et permit la signature du traité des Pyrénées (1659) qui confirmait à la France ses possessions alsaciennes. Devenu pendant la paix ministre d’État et gouverneur du Limousin, il exerça son influence à la Cour, où Louvois ne l’aimait guère, et réorganisa la cavalerie. Son frère, qui avait épousé une catholique et s’était converti, mourut en 1652. Il venait de réaliser, par contrat, l’échange de sa principauté de Sedan contre les duchés-pairies de Château-Thierry et d’Albret, le comté d’Evreux. Turenne s’occupa de ses neveux, facilita en 1662 le mariage du nouveau duc de Bouillon avec Anne-Marie Mancini, une des nièces du cardinal Mazarin. Il perdit son épouse Charlotte de La Force, huguenote opiniâtre, en 1666, restitua la dot aux Caumont-La Force, et, par les soins de Bossuet, rejoignit la religion catholique deux années plus tard, coup funeste pour les huguenots de France, mais apprécié du roi et du pape. Le 5 août 1669, le neveu de Turenne, le duc d’Albret, était promu cardinal à 26 ans.

La guerre de Hollande permit à Turenne, nommé en 1655 colonel général de la cavalerie, puis en 1660, maréchal général des camps et armées du roi, de retrouver les champs de bataille sur le Rhin. En 1674, il couvrait l’Alsace pendant que le roi opérait en Franche-Comté. Les rapports avec Strasbourg devinrent plus étroits. L’occupation du Palatinat entraîna une première dévastation de ce dernier. L’entrée des Impériaux en Alsace donna lieu, de la part de Turenne, à une campagne d’hiver par-delà les Vosges. La victoire de Turckheim (janvier 1675) mit en fuite l’agresseur et obligea Impériaux et Brandebourgeois à repasser le Rhin. La suite des événements revêt toute la grandeur d’une tragédie antique: d’abord la valeur des chefs des armées en présence des deux côtés du Rhin, d’une part, Raimondo Montecuccoli, comte, général, ministre de l’empereur, de l’autre Turenne, puis la mort du héros, frappé à Sasbach, en pleine poitrine, « d’un malheureux coup de canon » (Mme de Sévigné), une mort telle qu’il l’eut souhaitée, enfin l’affliction du peuple, le retour et les funérailles, à l’abbaye de Saint-Denis, demeure des rois, avant les Invalides en 1800. « Il est mort aujourd’hui un homme qui faisait honneur à l’homme », déclara Monteccucoli ; bon connaisseur en matière d’« humanité ». L’Alsace était de nouveau ouverte à l’invasion. Dans un sermon célèbre, Bossuet devait, en 1686, brosser le parallèle Condé-Turenne. Chef de guerre, fin stratège, pratiquant aussi bien le « style indirect » qui vise à priver l’adversaire de ses ressources, que le « style direct » et la guerre de mouvement, aimé de ses soldats, ménageant quand il le pouvait les populations, homme d’État quand il était à la Cour, sensible à ses prérogatives de « prince étranger » et mettant en valeur avec habileté ses biens fonciers et ses charges, mais sans être un de ces « entrepreneurs de guerre » que stigmatisent volontiers les historiens américains, dépassant les intérêts d’une « Maison » particulière, voire d’une religion, refusant d’être chef de parti, d’une simplicité extrême, Turenne est devenu, malgré lui, « un héros national » (J. Bérenger), participant de près à « la mythologie du Rhin » et familier du Magistrat de la République de Strasbourg.

Actes du Colloque International sur Turenne et l’art militaire (oct. 1975), Paris, 1978; G. Livet, L’intendance d’Alsace sous Louis XIV, Strasbourg, 1956 (rééd. augmentée, Strasbourg, 1991); J. Bérenger, Turenne. Paris, 1987 ; X. T., « Le maréchal (de) Turenne, acteur du dialogue franco-allemand », Dernières Nouvelles d’Alsace du 16.8.2000 (sur le monument érigé à Sasbach, près d’Offenbourg, en 1782 par ordre du cardinal Louis de Rohan, détruit par les nazis en 1940, inauguré le 5 octobre 1945 par le général de Gaulle, cédé à la commune de Sasbach en 2000).

Georges Livet (2001)