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TREGER (TRÄGER) Conrad

Provincial religieux (★ Fribourg, Suisse, vers 1480 † Fribourg, Suisse, 21.11.1542). Admis au couvent des Ermites de saint Augustin de sa ville natale, probablement tout au début du XVIe siècle, ce fils de famille aisée — son grand-père et son père avaient siégé tous les deux au grand conseil de la cité — fut jugé par ses supérieurs capable de faire des études très poussées, études pour lesquelles fut sollicité l’appui financier de la municipalité en 1503. Treger séjourna de 1509 à 1513 au grand couvent de son ordre, à Paris ; il y conquit le grade de lecteur biblique et sententiaire ; de retour à Fribourg en Suisse, il y fut, dès 1513, désigné pour diriger le couvent où il avait fait profession. L’année suivante, il compléta sa formation théologique à l’Université de Fribourg en Brisgau, qui lui conféra le doctorat en 1516. En 1517, il devint prieur des Augustins de Strasbourg ; en même temps, la direction du studium lui fut confiée. Ses qualités de professeur et d’administrateur lui valurent d’être élu provincial en 1518, une charge qu’il garda jusqu’à sa mort. Une charge lourde, dont les événements devaient considérablement aggraver le poids. Vingt-six couvents étaient placés sous sa responsabilité, dont six en Alsace. La gestion de cet ensemble était compliquée par l’existence d’une congrégation dont les membres avaient adopté la stricte observance et qui jouissaient d’une certaine autonomie ; le couvent de Ribeauvillé faisait partie de ce groupement. Treger s’efforça de remédier aux défaillances, il insista sur la régularité de l’office communautaire, la qualité de la formation théologique et le discernement dans l’admission des novices. Ces préoccupations passèrent au second plan dès 1519. Le mouvement déclenché par Martin Luther, ermite de saint Augustin comme Treger, avait soulevé les passions et mis en cause la valeur de l’état religieux. Plusieurs membres de la communauté strasbourgeoise, dont Treger n’avait pas abandonné la direction après qu’il fut devenu provincial, croyaient avoir obtenu la permission de quitter l’ordre lorsqu’en juillet 1519 Rome déclara cette autorisation nulle et somma ces frères de reprendre le froc. Quatre d’entre eux, des Strasbourgeois, refusèrent de se soumettre et se réfugièrent auprès du sire de Dahn, un proche de Franz von Sickingen ©. Le Magistrat de Strasbourg joua les médiateurs, mais sans succès. Dahn se lança dans une de ces Fehdert interdites en principe depuis 1495 et réclama pour ses protégés une contribution (Brandschatzung) de 400 florins, menaçant de nuire, s’il le fallait, aux intérêts matériels du couvent. Une instance introduite devant la Cour impériale resta sans effet, de même que la mise en demeure lancée par Charles Quint en janvier 1521 ; les défroqués ne reprirent pas l’habit et l’un d’entre eux, Wolfgang Schultheiss ©, devint le collaborateur de Capiton. Que pensait Treger des positions théologiques défendues par son confrère de Wittenberg ? Capiton prétendit en 1524 que le provincial avait d’abord été favorable à l’évangélisme, qu’il avait laissé un de ses religieux s’exprimer dans ce sens, puis qu’à la suite d’un voyage à Rome, il avait changé de camp et fait déplacer celui qui avait entrepris de prêcher la doctrine nouvelle. Treger s’éleva contre ses allégations, mensongères selon lui. Ce qui est certain, c’est qu’il ne se rendit pas à Rome ; en effet, le maître général de son ordre ne lui aurait pas réclamé à deux reprises, en 1522 et 1523, les actes du chapitre provincial qui s’était tenu en 1521 à Strasbourg si Treger avait fait le voyage que lui prête Capiton ©, car comment aurait-il pu aller jusqu’à Rome et ne pas remettre à la curie généralice des Augustins le document attendu ? Ce qui ne fait pas de doute non plus, c’est la prédication dans un sens favorable à Luther qui valut à son auteur d’être déplacé par Treger en 1522. En réalité, ce qui peut avoir conduit les réformateurs à prêter au provincial des opinions proches de la doctrine luthérienne, ce sont les 30 thèses qu’il soutint en mai 1521 ; il prit parti pour « une ouverture à la grâce contre une recherche du mérite » ce qui le situait « dans la droite ligne du sola gratia de la réforme » (Bornert). Il faut remarquer cependant que Treger pouvait fort bien avoir l’intention de souligner devant les étudiants du studium l’importance décisive de la grâce, une importance que le docteur, dont les Ermites de
saint Augustin se voulaient les disciples, avait toujours soulignée ; de cette pensée, des interprétations diverses étaient possibles ; l’augustinien Treger n’allait pas nécessairement aussi loin que l’augustinien Luther. À partir de 1522, Treger fut sensible aux menaces de désagrégation institutionnelle que la Réforme faisait peser sur l’Église et sur l’état religieux. En 1523, le provincial passa le plus clair de son temps à visiter les couvents de Colmar, Bâle, Constance, Fribourg en Suisse et Mulhouse afin de colmater les brèches que le message luthérien y avait ouvertes. L’année suivante, il se lança dans la bataille théologique. Il publia chez Grüninger © à Strasbourg en mars 1524 Cent paradoxes adressés à l’évêque de Lausanne, de qui dépendait Fribourg en Suisse. Il y insistait sur l’autorité de l’Église, rappelant que c’était elle qui avait établi la liste des écrits canoniques ; une regula fidei s’imposait donc ; l’Église, dont les conciles exprimaient la volonté lorsqu’il le fallait, n’avait pas pu s’égarer comme les réformateurs le proclamaient ; il était inadmissible de distinguer l’Église invisible, ne comprenant que les prédestinés, de l’Église visible, dont la présence des réprouvés réduisait l’autorité à peu de choses ; s’en prendre à la tradition signifiait saper les fondements de la foi. Lorsqu’en août 1524, Treger trouva enfin un éditeur qui consentît à imprimer sa Vermanung adressée aux cantons
suisses, un avertissement rédigé dès le mois de mai et dont le ton était véhément — les réformateurs y étaient comparés aux hussites de Bohème —, il apparut qu’il était, avec Thomas Murner, le principal adversaire des réformateurs. Ceux-ci jugèrent indispensable de réfuter ses arguments ; les antagonistes s’étaient rencontrés au couvent des Franciscains, mais la discussion publique ne put pas avoir lieu ; pour agir sur l’opinion, il fallut donc recourir à l’écrit. Bucer © le fit dans son Handel mit Conrad Treger; Hédion, Capiton, François Lambert et un autre anonyme imitèrent son exemple ; il est probable que cette passe d’armes amena Bucer à préciser les contours de sa doctrine, en particulier pour distinguer la prédication de la parole intérieure, la première étant l’œuvre des hommes et condamnée à l’inefficacité, si la seconde prononcée par l’Esprit ne l’intériorise pas. Entre-temps, des rumeurs accusèrent Treger d’avoir fait porter hors de Strasbourg l’argent et les titres du couvent. Des commissaires, désignés par la municipalité qui, de plus en plus ouvertement encourageait les réformateurs, devaient signifier au provincial son assignation à résidence, quand le populaire se crut en droit d’intervenir ; il saccagea l’imprimerie de Murner absent de Strasbourg, arrêta le prieur des Dominicains et ne se fit pas faute d’emmener également Treger. Alors que son confrère dominicain fut relâché rapidement, il ne put regagner son couvent que le 12 octobre après avoir renoncé sous serment à toute espèce de représailles. Le 2 janvier 1525, Fribourg en Suisse l’ayant appelé, le provincial quitta Strasbourg. Il y revint brièvement afin d’éviter la dispersion du couvent des Augustins, en janvier 1526 ; il n’obtint qu’un sursis et dut constater que la conduite des religieux justifiait les plus sérieuses critiques. Jusqu’au bout, Treger lutta contre la Réforme. Il prit part aux disputes de Baden en 1526, et de Berne en 1528 ; à Berne, il s’opposa vivement à Bucer et Capiton. De toutes ses forces, il tenta d’éviter les désertions, parcourant sa province en tous sens ; il ne put que limiter l’hémorragie ; 11 couvents seulement subsistèrent qui n’étaient occupés que par une quarantaine de religieux au total. Il venait d’entamer la rédaction d’un traité sur la messe lorsque la peste l’emporta. Il avait eu la consolation de trouver en la personne de Jean Hoffmeister, le prieur de Colmar, un successeur à la tête de la province ; il avait donc pu, avant de mourir, assurer la relève.

Sitzmann, Dictionnaire de biographie des hommes célèbres de l’Alsace, Rixheim, t. 2, 1910, p. 887 ; Adeodatus Vermeulen, Der Augustiner Konrad Treger. Die Jahre seines Provinzialates (1518-1542), Rome, 1962 ; Martin Bucer, Handel mit Conrad Treger, Deutsche Schriften, Gütersloh, 1962, t. 2, p. 17-173 ; R. Bornert, Les résistances, Strasbourg au cœur religieux du XVIe siècle, Strasbourg, 1977 ; idem, La réforme protestante du culte à Strasbourg au XVIe siècle (1523-1598), Leyde, 1981 ; M. Lienhard, Un temps, une ville, une Réforme, Vermont, 1990.

† Francis Rapp (2001)