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TERROINE Émile Florent

Professeur de physiologie, nutritionniste (★ Paris 21.1.1882 † 1974). ∞ 10.6.1909 Loubove Kalaboukoff) ; 3 enfants. Biologiste de formation, il fut à Paris préparateur au laboratoire de chirurgie expérimentale de l’École pratique des hautes études, de 1907 à 1909, puis maître de conférences, de 1909 à la guerre. Il appartint au petit noyau de chercheurs qui développèrent les études de physiologie en France avant la première guerre mondiale. L’équipe menée par André Mayer comprenait Georges Schaeffer, Émile Terroine et Fred Vlès ©, et fut sollicitée par le Service chimique des armées durant le conflit. À cette occasion, É. Terroine fut secrétaire général de l’Inspection des études chimiques de guerre.

Au moment de la réouverture de l’université de Strasbourg, les doyens de Médecine et de Sciences, désireux de développer la recherche en physiologie, se concertèrent pour recruter à Strasbourg l’équipe de Mayer tout entière. Des chaires de physiologie générale, discipline dans laquelle Félix Hoppe-Seyler s’était illustré pendant la période allemande, furent créées à la faculté des Sciences ainsi qu’à celle de Médecine. La candidature d’É. Terroine à un poste de professeur fut retenue en sciences par le doyen Eugène Bataillon. Émile Terroine mit sur pied un Institut de physiologie générale, qui dans les années trente comptait déjà 46 chercheurs français et 26 étrangers. Les locaux adaptés à ses travaux (on raconte qu’il dut loger son laboratoire dans un sous-sol destiné aux cours d’escrime du temps allemand) ne furent construits, malgré ses demandes répétées, qu’en 1936. Mais il avait réussi d’emblée à avoir un public d’une vingtaine d’étudiants. É. Terroine voyagea souvent en Europe centrale et en
Belgique pour y donner des cours. En 1931, il devint assesseur du doyen Edmond Rothé ©, et démissionna de son poste par solidarité avec lui, lorsqu’il fut écarté du décanat pour raisons politiques, en 1935. Il signa en 1939 l’appel des universitaires strasbourgeois contre la guerre adressé au président de la République.

En septembre 1939, Émile Terroine participa à l’évacuation de l’université à Clermont-ferrand, puis fut autorisé à résider à Lyon à partir d’octobre 1940, pour y poursuivre ses travaux, en remplacement d’un collègue lyonnais décédé. Son laboratoire fut détruit le 26 mai 1944 dans le bombardement de l’université de Lyon. Émile Terroine apportait son concours au Mouvement National contre le racisme, aida des familles juives en détresse et cacha des résistants. Il fut arrêté par la Gestapo à son domicile lyonnais le 22 juin 1944 et conduit au fort de Montluc. Il en réchappa grâce à l’arrivée des FFI qui libérèrent la prison le 24 août. À la Libération, il reçut du commissaire de la République Yves Farge la charge de lever le séquestre du Commissariat général aux questions juives de la région Rhône-Alpes. Il entreprit d’engager une restitution rapide des biens spoliés. Puis il fut nommé à Paris, pour organiser au niveau national les procédures de restitution prévues par l’ordonnance du 21 avril 1945. Il y resta jusqu’en mai 1946. Il fut alors détaché au CNRS, où il travailla à de nombreuses commissions et à l’organisation de grands congrès internationaux. Il prit sa retraite en 1953, et fut nommé professeur honoraire de l’université de Strasbourg. Il créa le Centre national de coordination des études et recherches sur la nutrition et l’alimentation, auquel il collabora jusqu’en 1972.

À Strasbourg, Terroine consacra une partie de son temps à des études et expériences chimiques à la demande de l’armée, mais il fit surtout de l’Institut de physiologie générale un centre de recherches dans tous les domaines de la nutrition, sur tous les êtres vivants. Ses études portèrent sur le métabolisme, l’énergétique biologique, la physiologie des matières azotées et des matières grasses. L’originalité des travaux tenait au fait qu’il passait facilement de la théorie à l’application et que ses recherches concernaient la médecine aussi bien que l’agriculture et l’élevage. Il travailla sur l’alimentation humaine, sur la meilleure façon de nourrir le bétail, sur la qualité optimale des engrais azotés. Le biologiste, l’éleveur et l’agriculteur se trouvaient concernés directement. Bien des idées reçues se trouvèrent battues en brèche, mais la diététique et les questions de nutrition étant encore très éloignée des préoccupations de la société. La nouvelle discipline mit du temps à s’imposer. Les conseils prodigués par Terroine déroutaient parfois le grand public. Ainsi il raconte dans ses mémoires que, lors d’une conférence organisée par les internés de la prison de Montluc, il ne parvint pas à les convaincre que leur ration quotidienne de soupe épaisse fournie par la Croix-Rouge était tout à fait suffisante du point de vue calorique et nutritionnel et qu’ils n’avaient pas à craindre pour leur santé sur ce plan-là. La vulgarisation scientifique avait à vaincre de fortes réticences.

Lauréat de l’Académie des Sciences (2 fois), de l’Académie de Médecine, de la Société de biologie, du Collège de France ; officier de la Légion d’honneur; chevalier du Mérite agricole ; officier de l’Instruction publique ; médaille de la Résistance française; chevalier de l’ordre de Léopold ; chevalier de la Couronne d’Italie; croix de grand-officier de l’ordre de Saint-Sava (Yougoslavie).

La synthèse protéique, 1952, Le métabolisme nucléique, 1960 ; Dans les geôles de la Gestapo, Souvenirs de la prison de Montluc, 1944 ; Archives départementales du Bas-Rhin. 168, AL, dossier Terroine ; J.-M. Mantz (dir): Histoire de la médecine à Strasbourg, 1997, p. 499; Duranton dir.: Les sciences en Alsace, 1989, p. 270; P. Weiss, « L’œuvre scientifique », L’Alsace depuis son retour à la France, vol. 1, Strasbourg, 1932; Douzou Laurent, Voler les juifs, Lyon 1940-1944, 2002; site web: picardpl.ivry.cnrs, fr/coulomb.html.

Françoise Olivier-Utard (2006)