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SPECKLIN (SPECKLE, SPECKEL) Daniel

Inge?nieur, cartographe, chroniqueur, antiquaire, (PI) (★ Strasbourg 1536 † Strasbourg 28.10.1589 n. st.). Fils de Veit Rudolf Specklin, gra­veur sur bois († 1550), et d’Elisabeth Schnell. ∞ 26.11.1565 Susanna Wegranft, fille de Christian Wegranft et veuve de Johann Entringer. Specklin termine en 1552 son apprentissage de brodeur en soie, me?tier qu’il a exerce? jusque dans les anne?es 1570. Au cours de son tour de compagnon­nage, il s’oriente (de?s 1554 en Hongrie ?) vers l’architecture militaire, spe?cialite? en plein essor et non re?glemente?e, qu’il apprend sous la direc­tion de H. Schallauzer, puis de C. Tetti, inge?­nieurs au service de l’empereur, conseille? aussi par Lazarus von Schwendi ©, qui fera beau­ coup pour sa carrie?re. En 1561-1563, il a de?ja? des responsabilite?s sur le chantier des fortifica­tions de Vienne. Pendant les dix ans qui sui­vent, son activite? est mal connue. Il est tanto?t en Autriche et en Hongrie, tanto?t a? Strasbourg, ou? il le?ve des plans pour le Magistrat, se marie, est un temps e?conome de Hans von Fleckenstein (Archives municipales de Strasbourg, XXI 1572 f° 449v). En 1573, l’archiduc Ferdinand le charge de lever une carte de l’Alsace — la premie?re digne de ce nom, acheve?e en 1575 et grave?e (en re?duction) en 1576. Specklin travaille alors a? la citadelle d’Ingolstadt, mais, protestant et voulant le res­ter, n’obtient pas de poste stable en Bavie?re. Pendant qu’il œuvre a? un projet d’ensemble pour les fortifications d’Ulm, sa ville natale, ayant pris conscience de sa valeur, cre?e pour lui le poste de Baumeister. Il l’accepte et le conservera jusqu’a? sa mort. Cette de?cision, motive?e peut-e?tre par le patriotisme municipal et de mauvaises expe?riences faites au service des princes, s’ave?rera malheureuse. En effet, la fortification bastionne?e est ruineuse pour une ville, me?me opulente ; seuls les plus grands princes peuvent la pratiquer a? une e?chelle se?rieuse. L’Allemagne du Sud-Ouest, morcele?e en petits États aux faibles moyens, est le champ d’action le plus ingrat qui soit pour un inge?nieur militaire. La plupart des projets que Specklin pre?sentera pour moderniser l’enceinte de Strasbourg seront rejete?s en raison de leur cou?t. Sous-employe? par Strasbourg, il n’en sera que plus dispose? a? re?pondre aux fre?quentes sollicitations d’autres commanditaires (mais la? aussi, ses projets seront rarement re?alise?s) : Colmar, Ba?le, Heilbronn, les comtes de Veldenz-Lu?tzelstein (projets de canal et de mar­tinet) et de Hanau (Lichtenberg), et les Habsburg (Belfort et surtout Ensisheim, son plus important chantier). Du coup, le Magistrat, de?ja? me?fiant envers Specklin, qui est tre?s ne?gligent dans la gestion de ses affaires et passe pour avoir e?te? de?bauche? et bagarreur dans sa jeu­nesse, songe a? supprimer son poste; s’il ne l’a pas fait, c’est qu’il savait Specklin gravement malade. Pour avoir pre?fe?re? son pays natal a? l’errance, et la se?curite? (relative) d’un poste municipal aux ale?as du service des princes, Specklin s’est trouve? dans une situation tout-a?-fait exceptionnelle pour un inge?nieur militaire de son temps ; alors que ses colle?gues e?taient ge?ne?ralement de?bor­de?s, lui avait des loisirs, qu’il a consacre?s aux ouvrages qui ont fait sa notorie?te?. Le premier est son Architectura von Vestungen, un traite? d’architecture militaire — le premier en allemand — paru quelques mois avant sa mort et re?e?dite? jusqu’au XVIIIe s., dans lequel il consigne le fruit de son expe?rience professionnelle. C’est gra?ce a? ce livre de haut niveau, tre?s bien illustre?, que Specklin est reste? connu, alors que d’autres, plus ce?le?bres que lui en leur vivant, ont e?te? vite oublie?s, et qu’on peine aujourd’hui a? rede?cou­vrir leur œuvre. En effet, il est tre?s rare qu’un inge?nieur soit l’auteur unique d’une forteresse entie?re. En ge?ne?ral, l’ampleur et le cou?t de la ta?che, les a?-coups de la politique du comman­ditaire et de ses finances, l’e?volution rapide de la poliorce?tique et de l’art de fortifier font qu’une forteresse n’est jamais acheve?e et est l’œuvre de toute une se?rie d’architectes. Le plus souvent, un inge?nieur militaire — et cela vaut aussi pour Specklin — s’occupe quelque temps d’un chantier que d’autres ont commence? et que d’autres poursuivront, chacun y laissant une marque plus ou moins reconnaissable, mais aucun ne pouvant passer pour l’auteur de l’e?difice. Au mieux, il livre un projet d’ensemble, mais il reste alors a? e?tudier dans quelle mesure celui-ci a e?te? exe?cute?, et ce n’est pas facile, la majorite? des forteresses ayant e?te? profonde?­ment transforme?es et/ou finalement rase?es (cas des constructions de Specklin a? Strasbourg et Ensisheim). L’œuvre ba?ti d’un inge?nieur est donc difficile a? cerner, tandis que ses e?crits res­tent. De plus, il est plus aise? d’introduire des perfectionnements, toujours cou?teux, dans un ouvrage the?orique que dans la pratique; aussi bien les constructions de Specklin (Lichtenberg, Herrenstein, Ensisheim), et me?me ses projets concrets (Strasbourg, Colmar, Ba?le), sont-ils bien en-dec?a de ce qu’il pre?conise dans son Architectura. Pour toutes ces raisons, Specklin est probablement surestime?. Des auteurs nai?fs, pour qui le nom de Vauban re?sume a? lui seul la fortification bastionne?e, ont e?te? surpris de trou­ver nombre de ses principes de?ja? de?veloppe?s dans l’Architectura. Et de faire de Specklin un pre?cur­seur me?connu, et de Vauban un disciple de Specklin, voire un plagiaire. En fait, la fortification bas­tionne?e est au de?part une invention italienne du XVe s., a? laquelle chaque ge?ne?ration, et a? partir du XVIe s. chaque pays a contribue?, les prati­ciens oublie?s autant que les the?oriciens. L’apport de Specklin n’est pas ne?gligeable, et son traite? lui a assure? une influence durable, du moins en Allemagne et dans les Pays-Bas. Mais il manque encore une appre?ciation de sa place dans l’histoire de la fortification par un ve?ritable spe?cialiste de ce sujet.

L’autre livre qui a rendu Specklin ce?le?bre, au moins en Alsace, est sa chronique manuscrite, qui a bru?le? en 1870. Il s’agissait en fait non d’un ouvrage compose?, mais d’une masse conside?­rable (1530 p.) de notes historiques fragmen­taires, classe?es chronologiquement, de l’Antiquite? a? 1589, en vue, dit Reuss, d’une chronique future que sa mort pre?mature?e l’a empe?che? de re?diger. C’est pourtant bien ces Collectanea qu’il a soumises en 1587 au Magistrat de Strasbourg, en lui demandant l’au­torisation de les publier. La commission char­ge?e de les examiner y vit a? bon droit « un fatras de vieilles chroniques », dont le style (Specklin en convenait) exigeait de nombreuses corrections. Il n’empe?che qu’aux XVIIIe et XIXe s., Specklin a eu beaucoup de succe?s : Silbermann ©, Schneegans ©, Jung ©, Roehrich © et d’autres en ont recopie? ou re?sume? tant de passages qu’apre?s la destruction de l’original, Reuss a pu re?unir leurs extraits en un volume de 573 p. C’est que le propos initial de Specklin e?tait une topo­graphie historique ; ce n’est que peu a? peu, dit-il lui-me?me, qu’il l’a e?largi aux dimensions d’une chronique ge?ne?rale, dont le canevas s’apparente beaucoup a? celui de Koenigshofen © et de ses continuateurs. Mais il lui est reste? un inte?re?t particulier pour l’histoire monumentale, pour tout ce qui concerne la construction et les transformations des e?difices alsaciens. Mieux que toute autre, sa chronique re?pondait ainsi aux curiosite?s des historiens et « arche?ologues » romantiques. De plus, elle donnait bien des de?tails qu’on ne trouvait pas ailleurs — ce qui a contribue? d’abord a? son suc­ce?s, mais plus tard a? son discre?dit, car les pro­gre?s de l’histoire critique ont montre? que nombre de ces de?tails e?taient le?gendaires et que tous e?taient d’autant plus suspects qu’ils concernent une e?poque plus e?loigne?e du XVIe s. Rien ne prouve d’ailleurs que Specklin les ait invente?s lui-me?me, mais comme les chroniques qu’il a utilise?es ont bru?le? avec la sienne en 1870, il n’est plus possible de reconstituer la ge?ne?alo­gie des erreurs et des affabulations. Sa chro­nique exige en tout cas un regard critique, e?ga­lement en ce qui concerne l’histoire monumentale.

Specklin n’est ni un esprit universel (Schadow), ni un humaniste, ni eine Ku?nstlernatur (Woltmann). Artisan d’art de formation, il est venu a? la forti­fication gra?ce a? ses capacite?s de dessinateur (wegen seines reissens) et a appris sur le tas le me?tier, non d’architecte, mais d’inge?nieur — cette distinction e?tant un aspect de sa moder­nite?. Il mai?trise toutes les techniques du ba?ti­ment, de la topographie, de l’hydraulique, mais l’aspect artistique de l’architecture lui est e?tran­ger. C’est a? tort qu’on a cherche? a? lui attribuer, uniquement a? cause de son titre de Stadtbaumeister, la Grande Boucherie et le Neubau (qui sont de Schoch ©). Mais ce n’est pas un pur technicien. Sa passion pour l’his­toire et pour les antiquite?s — inscriptions et sculptures romaines et me?die?vales, e?glises, ruines des Vosges, etc. — fait de lui un pre?cur­seur de l’arche?ologie alsacienne. Ces inte?re?ts supposaient d’ailleurs de sa part la connais­sance du latin, que Schadow lui de?nie trop vite, et qu’il a du? apprendre a? l’a?ge adulte. C’est cette large curiosite? et cette grande capacite? d’apprendre qui ont permis a? Specklin de devenir, en autodidacte, non seulement un spe?cialiste re?pute? du ge?nie civil et militaire, mais aussi une figure de l’historiographie alsacienne, a? la fois chroniqueur traditionnel et. premier des « anti­quaires » (au sens ancien) d’Alsace.

Architectura von Vestungen, Strasbourg 1589; re?e?d. 1599,1608, 1710 (& 1736 ? ; re?e?d. photome?caniques 1971, 1972. R. Reuss, e?d., Les collectane?es de D. Specklin (Fragments des anciennes chro­niques d’Alsace, 2), Strasbourg, 1890 [paru d’abord dans Bulletin de la Société pour la conservation des monuments historiques d’Alsace, 13, 1888 & 14, 1889]. De?tail des e?crits mss., cartes & plans de Specklin : Fischer, p. 11-13.

R. Schadow, « D. Specklin, sein Leben und seine Ta?tigkeit als Baumeister », Jahrbuch Vogesen-Club, 2, 1886, 5-60 (& a? part); R. Reuss, « Analecta Speckliniana », ibidem . 196-213; idem, Collectane?es, Introduction, p. 1-21 (= Bulletin de la Société pour la conservation des monuments historiques d’Alsace, 13, 1888, 157- 177); Allgemeine deutsche Biographie, 35, 1893, p. 82-84 (H. Janitschek); O. Winckelmann, « Zur Lebens- und Familiengeschichte D. Specklins », in Zeitschrift für die Geschichte des Oberrheins, 59, 1905, 605-620 ; Sitzmann, Dictionnaire de biographie des hommes célèbres de l’Alsace, Rixheim, t. 2, 1910, p. 802 [sans valeur] ; F. Grenacher, « Vor 400 Jahre schuf D. Specklin seine Elsasskarte », Regio Basiliensis, 14, 1973, 7-20, av. fac-simile? de la carte ; R. Peter, « D. Specklin et l’art des fortifications », Grandes figures de l’humanisme alsacien (Public, soc. savante, Grandes publ. 14), 1978, 203-219 [mise au point] ; A. Fischer, « Deux me?moires de D. Specklin sur les moulins a? Strasbourg », Cahiers alsaciens d’archéologie, d’art et d’histoire, 30, 1987, p. 177-186 et 31, 1988, p. 189-193 ; idem, « Die Befestigung der Stadt, Ensisheim durch D. Specklin und Heinrich Schickhardt (1580-1610) », Zeitschrift für die Geschichte des Oberrheins, n° 136, 1988, p. 179-206 ; idem, D. Specklin (1536-1589), Festungsbaumeister, Ingenieur und Kartograph, Sigmaringen 1996 [pe?rime la plupart des travaux ante?rieurs, sauf sur Specklin chroniqueur; un peu trop admiratif] ; Th. Biller, Die Wu?lzburg, 1996, index [excellent abre?ge? de l’histoire de la fortification bastionne?e aux XVe-XVIe s.].

Portrait : gravure de Th. de Bry dans l‘Architectura, 1599, repr. in Peter, fig. 15/2 & Fischer, 200.

Bernhard Metz (2000)